samedi 22 juin 2019

Ecrivains voyageurs


Il y a longtemps que je ne vous ai pas parlé de mes lectures récentes. On m'avait fait remarquer que ça donnait l'impression de chercher à masquer une panne d'inspiration.

Peut-être mais, chez moi, la vie quotidienne et personnelle est continuellement mêlée, associée, aux livres. Quand je me remémore par exemple un voyage ou bien des instants heureux ou malheureux, je les associe également aux livres qui m'accompagnaient. Et puis comment ne pas parler de ce qui a pu m'enthousiasmer ?

Alors tant pis, je vous recense aujourd'hui ce que j'ai aimé ces derniers mois mais je limite ça à la littérature de voyage. C'est de circonstance avec l'approche des vacances.


- Emmanuel RUBEN: "Sur la route du Danube". Un bouquin formidable, une magnifique randonnée à vélo tout le long du Danube, de l'embouchure à la source, d'Odessa à Fribourg en Brisgau. Ça complète très bien le livre-référence de Claudio Magris, trop universitaire et surtout oublieux des Balkans. Avec Emmanuel Ruben, on a d'abord un peu d'aventure et on découvre les villes provinciales de pays injustement méconnus, la Serbie, la Bulgarie, la Roumanie notamment. On n'a qu'une envie: refaire le même voyage peut-être pas à vélo (quand il pleut, c'est trop déprimant) mais au moins en train.


- Christian GARCIN et Tanguy VIEL: "Travelling". Il s'agit carrément, cette fois ci, d'un Tour du Monde. Mais en se fixant deux contraintes: en moins de 100 jours et sans jamais prendre l'avion. On commence donc par traverser l'Atlantique, puis les États-Unis, le Pacifique, la Chine, le Japon, la Russie puis Riga, Auschwitz et Paris. C'est un mélange curieux de lenteur (les longues traversées en cargo d'un ennui abyssal) et de vitesse (les USA, la Chine, la Russie en quelques jours). Des fulgurances aussi et plein de choses singulières, inattendues. Samuel Beckett est judicieusement cité: "On est cons, mais pas au point de voyager pour le plaisir".


- Chantal THOMAS : "East Village Blues". Chantal Thomas est l'une de mes écrivains français préférés. On la connaît surtout comme une spécialiste du 18 ème siècle mais ce livre ci détonne carrément dans sa production. Elle y évoque sa jeunesse aventurière ( fugueuse et voyageuse) et sa découverte de New-York et plus particulièrement de l'East Village, au milieu des années 70. Une époque où tout le monde se rêvait poète, où se croisaient Allen Ginsberg, William Burroughs, Andy Warhol, Lou Reed et le Velvet Underground. Magie d'une époque ouverte à tout, magie d'un livre qui est une leçon de liberté et d'évasion. Un livre indispensable à tous les amoureux de New-York.


- Amin MAALOUF: "Le naufrage des civilisations". Des livres plus ou moins fumeux, souvent très érudits, sur l'islamisme radical, il y en a déjà eu des tonnes d'écrits. Amin Maalouf a pris le parti de la simplicité. Il évoque sa vie propre, d'abord au Levant (Égypte, Liban, Syrie). Ce Levant, autrefois havre de paix et de cohabitation harmonieuse, qui a enregistré les premières secousses du monde arabo-musulman (notamment en Égypte après la prise du pouvoir par Nasser). Le livre de Maalouf est très vivant, très concret, mais aussi très convaincant dans son explication des événements qui se sont enchaînés. Il émet en particulier l'hypothèse neuve d'un "grand retournement". Cette idée de "grands retournements" que vivraient, périodiquement, les sociétés m'apparaît très féconde: même en Europe, on en fait l'expérience.


- Jean-Marie BOUISSOU: "Les leçons du Japon - Un pays très incorrect". Vous voulez en savoir plus sur le Japon, notamment après l'affaire Ghosn. Pas d'hésitation, ce livre est fait pour vous. Il aborde, avec une grande pédagogie, tous les aspects de la société japonaise. Il ne cache rien des difficultés rencontrées (crise endémique, normalisation de pensée) mais il souligne aussi qu'en dépit de  ces difficultés, le Japon demeure un pays très agréable à vivre: un "paradis des services et de la courtoisie". La très bonne idée de ce livre, c'est aussi de comparer le Japon et la France. On a beaucoup de leçons à recevoir parce que le Japon, c'est, le plus souvent, une "anti-France".


- Jennifer LESIEUR: "Tu marcheras dans le soleil". C'est une biographie consacrée au célèbre écrivain-voyageur britannique Bruce Chatwin décédé prématurément en 1989. La vie de Chatwin est réellement fascinante, un éloge du voyage et de la création. Un véritable livre d'aventures qui doit nous inciter à relire "En Patagonie", "Le chant des pistes" et "Qu'est-ce que je fais là" (mon préféré).


- Andrea MARCOLONGO: "La part du héros". J'avais dit beaucoup de bien du premier livre d'Andrea Marcolongo: "La langue géniale". Celui ci est, peut être, encore meilleur par sa dimension humaine et poétique. A priori, il apparaît rébarbatif: il s'agit de revisiter le mythe des Argonautes (Jason et la Toison d'Or). C'est en fait une réflexion personnelle sur le courage d'aimer: "la victoire ne tient souvent qu'à une étincelle. Celle avec laquelle nous devons mettre le feu à nos peurs, à nos hésitations, à nos doutes pour enfin tout laisser derrière nous".



- Jean TALON: "Explorateurs, touristes et autres sauvages". Un autre auteur italien qui relate plein d'histoires incroyables et merveilleuses, celles des rencontres entre "sauvages" et civilisés: un thème très actuel. Un petit livre magnifique qui donne à réfléchir. Je recommande vivement ce livre qui est un vrai bouquin d'ethnologie (Jean Talon a une solide formation en la matière) à la fois drôle et déroutant.


- Lauren ELKIN: "Flâneuse". Une américaine (journaliste littéraire) qui consacre ce livre à un simple plaisir: celui de la déambulation dans des villes. Pour le goût simple de s'ouvrir aux rencontres et aux souvenirs. De très belles pages consacrées à Paris, New-York, Londres, Venise. Un point de vue absolument iconoclaste et féroce sur le Japon et Tokyo. Le pouvoir émancipateur, le potentiel créatif, d'une "bonne balade".
 

- Peter FRANKOPAN: "Les nouvelles routes de la soie". Le centre économique et politique du monde est en train de basculer. L'avenir n'est plus en Europe ou en Amérique du Nord mais en Asie. Ce basculement, ce virage vers l'Est, tout le monde n'en a pas encore pris conscience mais Peter Frankopan l'esquisse magistralement. Le trait est peut-être forcé mais à nous d'être vigilants.
 

- Alexandre LEVY: "Carnets de la Strandja - 1989-2019 d'un mur à l'autre". La Bulgarie, ce pays mystérieux, et sa frontière avec la Turquie. Une frontière qui avait été démantelée au lendemain de la chute du communisme puis érigée à nouveau avec l'afflux migratoire. On revisite ici l'Histoire ou plutôt les histoires des Balkans, entre Est et Ouest, Orient et Occident. C'est aussi l'histoire de la jeunesse de l'auteur durant la Guerre Froide.



- Maylis DE KERANGAL: "Kiruna". Y-a-t-il au monde, après Norilsk en Russie, un lieu plus singulier et désolé que Kiruna en Laponie suédoise ? L'une des plus grandes mines de fer encore exploitées. Comment y vit-on ? Un livre qui est un reportage littéraire mais qui s'attache aussi à dresser le portrait des hommes et des femmes qui ont fait l'histoire de ces lieux.


- Christophe et Nathalie PRINCE: "Nietzsche au Paraguay". On le sait, la sœur de Nietzsche, Elisabeth, et son mari, le docteur Förster, ont eu le projet fou de créer au Paraguay une nouvelle Allemagne concrétisant une utopie aryenne et antisémite. L'expédition a rapidement tourné au désastre (maladie, folie, violence) et Förster finira par se suicider. Ce livre est le récit halluciné et épouvanté de cette expédition. On se croirait dans un film de Werner Herzog ("Aguirre" ou "Fitzcarraldo"). Remarquable et poignant.


 Je suis fan des couvertures du New-Yorker, toujours poétiques et fulgurantes.

10 commentaires:

Richard a dit…

La beauté de la tragédie de la condition humaine.

Bonjour madame Carmilla !

Découvrir la plénitude dans la beauté de la tragédie humaine ressemble à s'y méprendre à une randonnée à pied dans les montagnes de l'Afghanistan comme dans : Le Grand Jeu de Peter Hopkirk. Quelle découverte et quelle lecture que cet ouvrage. Maintenant, je désire tout lire de Hopkirk. En moins de cinq jours je suis passé au travers de cet ouvrage de 523 pages qui relate la concurrence entre l'Empire Russe et Britannique pour occuper et dominer l'Asie centrale. Pour faire suite, sur vos propos, en ce qui concerne la guerre des sexes, ma passion du savoir a vogué sur les souffrances de ces jeunes et brillants officiers tous frais sortis des hautes écoles militaires, sans oublier non plus, les souffrances de tous ces peuples qui occupaient ces espace depuis très longtemps. Aussi brillants qu'ignorants ces jeunes officiers assoiffés de gloires et d'avancements se sont lancés au travers des montagnes afghanes afin de découvrir et surtout de savoir ce qu'ils ignoraient. Plusieurs ne sont jamais revenus. Est-ce dire que j'ai jouis par procuration de la souffrance d'autrui ? L'ouvrage est passionnant et ces souffrances, ces doutes, ces peines, ces trahisons, ces mensonges peuvent s'apparenter à vos dires lorsque vous parlez de la guerre des sexes. Les russes voulaient agrandir leur territoire et même dominer le monde à cette époque, et, les britanniques voulaient protéger la perle de leur Empire c'est-à-dire l'Inde. Comme d'habitude chez l'humain, tous se sont lancés tête baissé dans l'aventure et dire que la Russie et l'Angleterre avaient été des alliers au cours des guerres napoléoniennes qui venaient de se terminer en ce début du XIXe siècle. Pendant un siècle les russes comme les anglais ne se feront pas de cadeau. Ce qui rend ce jeu géopolitique passionnant. Ils soulevèrent des peuples qui ignoraient tous qu'ils participaient à un jeu qui leur échapperait. Tous se méfiaient de tous. Les trahisons ne se comptaient plus. Le mot vérité n'avait plus aucune signification. La confiance n'avait jamais exister. À chaque page je me demandais qui planterait le couteau dans le dos de l'autre ? Le plus ahurissant, c'est l'expédition des russes au début de l'hiver 1839-40 sous les commandements du général Perovski parti d'Orenbourg pour aller conquérir Khiva à tout près de 2,000 kilomètres au sud-est. Déplacer 5,000 soldats en plein hiver sur cette distance sans route ce n'est pas une mince affaire. Ce n'est plus du courage, c'est de la folie, genre courage morbide. Il fallait des milliers de chameaux et de chevaux pour trimbaler, armes, canons, munition, poudre, nourriture, résultat, ils ont été obligé de faire demi-tour pour revenir à Orenbourg dans un état piteux. L'hiver avait sauvé Khiva. J'imagine nos athlètes modernes pris dans de telles conditions. Ils ne feraient pas mieux que ces pauvres russes et cosaques.

Richard St-Laurent

Richard a dit…

Vous avouerais-je que j'ai une prédilection pour ce genre de littérature géopolitique. J'ai passé une bonne partie de ma vie à ravitailler des camps dans le nord du Québec ce qui fait que je ne suis pas étranger aux problèmes de logistiques. J'ai toujours été fasciné par les explorateurs qui parcouraient le monde et que dire des tous ces français qui ont fait l'Amérique, de l'Atlantique au Pacifique, de la Baie d’Hudson au golfe du Mexique, qui ont pris contacte avec les peuples autochtones et qui ont tissé des liens. Je pense à Pierre-Esprit Radisson, Médard Chouart des Groseillers, Pierre Le Moyne d'Iberville, Étienne Brûlé, Samuel de Champlain, qui ont arpenté cette Amérique qui leur en a fait voir de toutes les couleurs. Ce monde fascinant de l'exploration et de la misère m'a toujours attiré dans ce principal voyage qui est celui d'aller au bout de soi-même. C'est sans doute, en dépit de toutes les découvertes, le véritable voyage celui de connaître ses propres limites. J'ai retrouvé cela dans : Le grand Jeu. C'est une immense jouissance que celle d'avoir parcouru une longue distance à pied, d'avoir réussi un vol difficile, de s'être lancé sur une rivière sauvage en canot, d'avoir participé à la lutte d'un feu de forêt et surtout de l'avoir éteint. Au cœur de toi-même tu sais ce que tu as fait, pas besoin de félicitation ou de médaille encore moins d'applaudissement. Je dirais que c'est bon pour la confiance en soi, mais aussi pour l'humilité. À l'image de tous ces explorateurs, je sais que j'aurai eu beaucoup de chance au final. Tout tient à si peu de chose lorsqu'on y réfléchi. Des 5,200 hommes parti pour Khiva plus de 1,000 avaient péri. Moins des 1,500 chameaux rentrèrent vivants des 15,000 au départ. Le tout sans qu'un coup de feu ne soit tiré sur Khiva. Ce qui me rappelle l'aventure de Benedict Arnold qui avait remonté la rivière Kennebec dans le Maine avec 1,100 hommes de troupe pour déboucher au lac Mégantic source de la rivière Chaudière, qui mène à Québec. Des 1,100 hommes au départ, il n'en restait plus que 600 complètement épuisés avant d'aller rejoindre les forces de Richard Montgomery pour attaquer Québec au début de l'hiver 1775-1776 lord de la guerre d'indépendance des États-Unis. Nous pouvons faire des liens dans l'histoire, les russes qui envahissent l'Afghanistan en 1979 et les américains au Vietnam en 1962. Toutes des expéditions qui ont tourné au désastre. Qu'est-ce qui reste de tout cela, de toutes ces souffrances, de ces estropiés, de ces morts ? Au total pas grand chose comme dans tous les conflits humains au cours de notre longue évolution. Certes, cela a donné des beaux récits comme : Le Grand Jeu, tout comme : Les sept piliers de la sagesse de Lawrence, mais à chaque fois que je lis ces histoires, j'ai une pensé pour ceux qui ont soufferts ou qui sont morts.

Richard St-Laurent

Richard a dit…

Hier soir je visionnais un documentaire de l'armée canadienne tourné ici dans la région, alors que le Canada était en guerre en 1939. Dans le cadre du (British Commonwealth Air Training Plan), le gouvernement canadien avait fait construire des écoles d'aviations à la grandeur du pays, et il en ont construit un à Saint-François-Xavier-de-Brompton. C'était un terrain d'aviation en plein champ bordé de hagards et de casernes pour les étudiants pilotes qui provenait de tout le (Commonwealth), bien sûr des Canadiens, mais aussi des Sud-Africains, des Australiens, des Néo-Zélandais et même des Britanniques et des Américains y venaient pour l'instruction de base avant d'être transférer ailleurs pour leur spécialisation. Sur l'une des prises de vue, on peut voir un jeune blondinet qui ne devait pas faire vingt ans. Sur son épaule nous pouvions lire : New Zeland. Je me demande ce qu'est devenu ce jeune homme ? A-t-il été consumé dans les horreurs de la Deuxième Guerre mondiale ? Est-il toujours vivants ? Si c'est le cas, il doit être très vieux. Quelle a été sa vie après ce passage dans l'aviation ? Ce n'était pas banal de faire le voyage entre la Nouvelle Zélande et le Canada en 1939-40 pour venir y recevoir une formation de pilote puis partir pour l'Europe.
Certes, il me reste plus rien de cet aéroport, les hangars et les bâtiments ont tous été démolis après la fin de la guerre. Les champs sont retournés à l'agriculture. Le calme est revenu. Reste que le devoir de mémoire, qu'il y a eu à cet endroit des hommes qui sont passés pour aller ailleurs rencontrer leur destin. Ce qui ne devait pas être différent en Allemagne ou en Russie où des jeunes hommes semblables apprenaient à voler pour tuer. C'est brutal de le dire ainsi, mais c'est exactement cela. On s'imagine qu'il ne se passait rien en Amérique et surtout au Canada si peu peuplé comme les Canadiens pensent souvent que le restant du monde n'existe pas et qu'il ne se passe rien ailleurs.
Le Grand jeu nous rappelle que les Anglais autant que les Russe vendaient des armes aux Afghans, envoyaient des conseillers militaires, les entraînaient, afin d'assurer leur pouvoir. Ce qui nous rappelle que cela n'a pas changé, qu'il y a toujours un pays prêt à vendre des armes et à envoyer des instructeurs. Bien sûr, il n'y avait pas d'aviation au XIXe siècle, mais l'armement de terre a évolué rapidement, on est passé du mousquets à poudre noir à la carabine à chargement par la culasse. Que dire de l’artillerie ? Hopkirk nous dévoile au travers des périples diplomatiques et guerriers l'évolution des progrès techniques. Imaginez un message que vous veniez d'écrire à Kaboul que vous remettiez à un courrier qui partait à pied pour se rendre aux Indes. Est-ce que votre lettre allait arriver au destinataire ? Rien de moins sûr. Vers 1860 est arrivé le télégraphe. Une autre révolution dans les communications.
Richard St-Laurent

Richard a dit…

C'est une chose que de vouloir commercer, vendre ou acheter ; s'en est une autre que de désirer transformer une civilisation. Convertir les croyances, instaurer des régimes politiques dit démocratiques, renverser des pouvoirs pour y mettre des dirigeants fantoches, (dans ce domaine les Britanniques excellaient) contrairement aux Russes qui voulaient entièrement dominer et soumettre. Comment ne pas constater la différences des cultures anglaises et russes ? C'est un point de vu intéressant dans cet ouvrage de Hopkirk. Les anglais possédaient un diplomatie fine, avaient une meilleure vue d'ensemble et essayaient autant que possible de ne pas se fourrer dans des situations inextricables, quoi qu'eux aussi ont fait des erreurs. Il faut se souvenir de la retraite d'Afghanistan en 1841 de l'armée britanniques ce qui allait résulter en massacre dans les passes. Ce qui n'était pas plus glorieux que l'expédition Perovski. Qui plus est, il semblait très difficile de savoir où se terminait le territoire de la Perse et où commençait l'Afghanistan. Les frontières semblaient très élastiques. Même les notions de frontières telles que nous les concevons me semblent très diffuses entre les Perses et les Afghans. Prenons l'exemple de Herat. Est-ce que c'est en Afghanistan ou bien en Perse ? Si nous examinons les cartes géographiques de l'époque, cela me semble très confus. Le Parmirs ça comment où et ça se termine où ? D'autre part, le Turkménistan, l'Ouzbékistan et le Kazakhstan allait passer sous domination Russe. Je puis comprendre que les Russes en ont eu plein leurs bottes de ces territoires. La dictature du prolétariat dans ces régions n'avaient pas plus de valeur que le christianisme. La pratique de l'esclavage semblait monnaie courante. Sans oublier qu'après avoir tuer quelqu'un on le démembrait souvent. Hopkirk évoque même des cas de cannibalismes. À défaut de manger du porc on peut bouffé de l'homme. Il y a une photo dans mon exemplaire, où l'on peut voir Sir Louis Cavagnari assis parmi des chefs afghans à Kaboul vers 1879 peut de temps avant d'être massacré. Le moindre qu'on puisse affirmer c'est que le sourire devant la caméra ne fait pas parti de la culture afghane, voilà pour les chefs, restent à imaginer le reste de la bande. Disons que je n'aurais pas coucher à la noirceur avec ces types. Je suis sûr qu'ils couchaient avec leurs couteaux et leurs sabres et plus tard avec leurs pistolets. Maintenant, nous pouvons comprendre qu'ils se fassent sauter à coup de bombes à Kaboul et ailleurs en Afghanistan. Ces cultures particulières pour nous occidentaux, leurs manières de penser et de faire, que nous ne faisons qu'effleurer par des lectures et quelques bouts de films sont beaucoup plus profondes et intenses et le mot barbare ne les couvrent pas.
Richard St-Laurent

Richard a dit…

Malgré des relations politiques difficiles, tous ces peuples d'Asie centrale, même s'ils s'en tenaient à leurs croyances et religions étaient des gens curieux, et lors de certaines négociations, particulièrement avec les anglais, ils s'informaient, posaient des questions pertinentes comme par exemple : Comment les anglais pouvaient accepter qu'une femme les gouverne ? La jeune Reine Victoria commençait son long règne. (Est-ce qu'en Asie centrale il y a déjà eu une femme qui a régné ?) Quel goût a la porc ? Même s'ils ne consommaient pas de cochon, qui demeurait proscrit, ils s'informaient sur la saveur de cette viande. Certains parmi ces peuples étaient assez éveiller pour s'intéresser à l'étranger. Comment un pays si petit pouvait dominer le monde ? Les Perses comme les Afghans se sont rendus compte assez rapidement de la puissance de l'Angleterre. Par contre, ils pouvaient changer d'humeur assez rapidement et vous envoyer en résidence surveillé ou encore en prison, ou le 5 étoiles de la détention, le trou. On creusait un trou dans la terre assez profond pour que vous ne puissiez pas remonter par vos propres moyens, et lorsqu'on voulait vous sortir de ce trou, on vous lançait une corde. Ainsi, on pouvait vous lasser pourrir dans le trou pendant une longue période. Les conditions sanitaires devaient être terribles !

L'autre aspect intéressant de cet ouvrage, ce sont les langues. J'ai toujours beaucoup d'admiration pour les personnes qui parlent plusieurs langues et souvent les négociateurs Britanniques étaient choisis comme explorateurs parce qu'ils apprenaient les langues facilement. Ce qui ma rappelle ce chef de la révolte des Métis dans l'ouest canadien vers 1870-80. Gabriel Dumont parlait huit langues indiennes couramment en plus du français et de l'anglais, par contre, il était illettré, il n'a jamais su ni lire, ni écrire. Pourtant c'était à sa manière un redoutable chef de guerre, un passeur, un trafiquant de fourrure, un commençant habile, et un merveilleux cavalier, sans oublier sa compréhension fine des enjeux politiques et militaires de ce vaste territoire, beaucoup plus pragmatique que Louis Riel la figure emblématique des Métis. Sans doute qu'en Asie centrale à la même époque, on pouvait retrouver ce genre d'homme. Personnages fascinant d'une autre culture qui demeurent souvent mes favoris.

Voilà qui est très excitant voir passionnant.

Merci Carmilla pour cette suggestion de lecture pertinente.

Je vais relire : Les sept piliers de la sagesse.
Il me semble que le temps s'y prête bien et ça s'accorde parfaitement avec : Le Grand Jeu.

Richard St-Laurent

Carmilla Le Golem a dit…

Merci Richard,

"Le Grand Jeu" compte, pour moi, parmi les livres les plus extraordinaires que j'ai lus. J'ai surtout été sensible au courage inouï de tous ces hommes qui ont, à l'époque, parcouru une Asie hostile. Leur fin de vie a souvent été tragique et misérable.

Dans le prolongement du "Grand Jeu", vous pouvez lire: "Le retour d'un Roi - La bataille d'Afghanistan" de William DARLYMPLE aux éditions Noir sur Blanc. Ce texte est consacré à l'envahissement, en 1839, de l'Afghanistan par les Anglais suivi de leur dramatique déroute. Là encore, c'est un véritable roman d'aventures.

Vous pouvez également lire: "Khiva" de Frederick G. BURNABY et "Voyage d'un faux derviche en Asie Centrale 1862-1864" d'Armin VAMBERY. Deux livres incroyables, rédigés au 19 ème siècle, que l'on trouve aujourd'hui en poche: Phébus et Payot.

De Peter Hopkirk, je vous recommande "Bouddhas et rôdeurs sur la route de la soie" et surtout "Sur le toit du monde - Hors-la-loi et aventuriers au Tibet". Les 2 se trouvent en poche: Picquier poche.

Les frontières de l'Asie Centrale ont, en effet, été toujours très mouvantes. Dans la pratique, on y parlait soit une langue turque soit le persan et souvent les deux à la fois. C'est toujours le cas aujourd'hui. En Afghanistan et surtout à Hérat, le persan est dominant.

Bien à vous

Carmilla

Anonyme a dit…

Bonsoir Carmilla,
comment allez-vous?
Merci pour vos compte-rendus de lecture.
J'avais écrit un commentaire mais il n'est pas passé. Peu importe.
Je lis moins que vous et si je dois en choisir un pour accompagner mes pérégrinations, il s'agira sans hésiter de "La part du héros". Parce que ça dit tout du voyage. Il faut beaucoup aimer pour voyager vraiment ; c'est alors l'occasion, c'est vrai, de mettre le feu aux peurs, aux doutes, aux atermoiements. Ils se dissolvent dans l'inconnu, dans le hasard. Voyager est une métaphysique particulière, un artisanat aussi, de la solitude et de la disponibilité.
Vous qui appréciez la littérature du voyage, le voyage et l'anthropologie, connaissez-vous Pierre Clastres? Quand j'ai lu "La société contre l'Etat", cela m'a renversé. C'est tellement bien écrit pour un universitaire. On entend dans ses descriptions anthropologiques le chant des guerriers du fond des âges, mêlant une poésie figurative et une rigueur conceptuelle qui font de l'ouvrage un rare moment de lecture. Enfin pour moi.
Je voulais aussi remercier Richard pour ses messages si généreusement détaillés qu'ils m'ont donné envie de lire "Le Grand Jeu".
Bien à vous tous.
Portez-vous bien.
Alban

Carmilla Le Golem a dit…

Merci Alban,

Je vais toujours bien, c'est dans mon caractère.

Je connais Pierre Clastres et "La société contre l’État". C'est un livre qui circulait chez tous les étudiants qui se voulaient politisés.

C'est très bien en effet. C'est une belle vision "romantique" des sociétés dites primitives. Mais aujourd'hui, j'ai deux objections: c'est un peu bizarre, cette pré-science qu'auraient ces sociétés "primitives" des ravages potentiels de l’État. Et puis, Pierre Clastres ne considère l’État que comme répressif, oppresseur, détenteur du monopole de la violence. Ce n'est plus ça aujourd'hui: l’État sait être protecteur et maternant. Il est devenu éducateur et normalisateur, il façonne des citoyens tous identiques. L’État est maintenant diffus, omniprésent et éparpillé au-delà de ses supports institutionnels. Il est surtout devenu l'instrument du conformisme généralisé et on ne s'en rend même pas compte.

Le petit livre de Jean Talon que je recommande dans mon post (Explorateurs, touristes et autres sauvages)consacre justement un chapitre à Clastres et à sa rencontre des Guayakis. C'est un petit livre d'ethnologie très agréable et instructif.

Le livre d'Andrea Marcolongo est magnifique, très poétique. Cette universitaire italienne, à la personnalité fascinante, rencontre un immense succès de librairie.

En ce qui concerne enfin "Le grand Jeu", je vous assure que vous n'en regretterez pas la lecture. Je signale qu'il vient d'être rrédité en poche.

Bien à vous,

Carmilla

Anonyme a dit…

Bonjour Carmilla,

J'espère que vous allez toujours aussi bien malgré la chaleur parisienne. Cent km plus au Nord, la température n'excède pas 28 degrés. Un délice.

Vous avez rhabillé Clastres pour l’hiver ! Rires

Je suis d’accord avec vous. Le choix du titre est idéologique, et la référence à l’Etat, confrontée au mode de vie des Amérindiens peut paraître anachronique. L’ouvrage a été construit en 1974 dans un contexte d’interrogation générale sur le rapport entre pouvoir et liberté en Occident. Clastres est avant tout un contestataire de l’Etat et de tous ceux qui ont prétendu que son émergence dans les rapports sociaux était à la fois nécessaire et pour ne pas dire "naturelle". Mais je sais que je ne vous apprends rien.

Il ne s’agit pas selon moi d’une pré-science qu’auraient eu les primitifs de l’Etat au sens strict du terme, mais de la façon dont ces ethnies ont édifié un rapport social particulier visant à ce que l’érection des phénomènes de coercition et de domination n’advienne pas. L’Etat est donc délibérément défini par l’auteur de façon extensive pour servir à dessein sa critique, soit comme phénomène de coercition, ce qu’il n’est pas exclusivement, c’est vrai, d’autres institutions de pouvoir pouvant également, et par ailleurs, intégrer le périmètre du concept. Il s'agissait aussi pour Clastres de se positionner, et donc d'être "visible", dans le champs universitaire de sciences humaines dominées par les structuralistes et les évolutionnistes. Une querelle d'écoles, et donc de contestation des postures de pouvoir, en quelque sorte. Un truc très humain.

Pour le reste, il n’est pas exclusivement question de pouvoir, de domination ou de contrainte dans l’ouvrage, mais également des symboliques du chant et de la danse, de rapport à l'autre, des fonctions de l’oisiveté, de la place de l’homme dans le grand tout, de la violence et de la guerre, de la chasse. Et ce sont ces passages qui ont été pour moi renversants.

Merci pour vos références. Je viens de commander les deux livres.

Bien à vous.

Alban

Carmilla Le Golem a dit…

Merci Alban,

Il faudrait que je sois bien prétentieuse pour rhabiller Clastres. J'ai moi-même beaucoup aimé "La société contre l’État" et j'ai d'ailleurs toujours ce livre dans ma bibliothèque (il faudrait sûrement que je le relise).

Simplement, les biais d'analyse sont très importants en matière d'ethnologie (ce que démontre très bien le livre de Jean Talon sus-évoqué). On a tendance à appliquer ses propres grilles et le livre en apprend alors plus sur nous-mêmes que sur la société concernée. On peut avoir la même interrogation à propos de l'autre livre d'ethnologie à succès de l'époque, celui de Marshall Sahlins: "Age de pierre, âge d'abondance". Il est justement préfacé par Clastres et il soutient que les sociétés dites "primitives",loin d'être des sociétés de pauvreté et de pénurie sont des sociétés d'abondance et de loisirs ("vive la décroissance"!).

Ce sont de très beaux livres, très séduisants mais inséparables du contexte de leur époque: celui de la pensée 68 et de l'aspiration libertaire (ce qui n'est pas négatif à mes yeux) avec l'appel au renversement d'un "monstre froid", l’État.

Et puis je m'interroge toujours sur le prolongement concret que peut avoir dans ma vie un livre que j'ai aimé. Le livre de Clastres, je ne sais pas. J'ai du mal à le transposer dans l'analyse politique contemporaine. Peut-être que "les gilets jaunes" avaient lu Clastres (mais ce n'est vraiment pas sûr) quand ils appelaient à prendre l’Élysée.

Je ne cacherai pas enfin que la canicule est pour moi éprouvante. Je suis quelqu'un du froid et de l'ombre et sûrement pas du soleil et de la lumière. Je ne peux même pas me réfugier à la piscine tellement il y a de monde.

Bien à vous,

Carmilla