samedi 23 novembre 2019

La société des miroirs infinis


On a tous plus ou moins entendu parler du "stade du miroir" décrit par le psychanalyste Jacques Lacan. Ce moment de la vie, entre 6 et 18 mois, où le petit homme découvre, subitement, son image dans un miroir. C'est un instant jubilatoire parce que l'enfant prend tout à coup conscience de son individualité, de son identité: il est distinct du monde qui l'entoure, il a un corps propre, séparé de celui de sa mère. C'est une expérience unique (que ne fait pas l'animal) source de fascination, à l'origine de notre narcissisme. C'est à partir de là que non seulement on commence à s'aimer soi-même (à aimer plus ou moins son corps tel qu'on l'imagine) mais surtout à vivre sous le regard de l'autre en lui exposant son corps.


Cette expérience fondatrice de l'identité humaine, elle apparaît bien simple aujourd'hui. Parce qu'on vit dans des sociétés où les miroirs se sont démultipliés presque à l'infini.



L'expression la plus triviale, c'est évidemment le selfie. Le journal "Le Monde" rapportait ainsi récemment que le musée du Louvre avait accueilli 10,2 millions de visiteurs en 2018 (plus grande fréquentation mondiale), ce qui traduit une progression de près de 25 % par rapport à l'année précédente. Ça pose désormais un énorme problème de gestion des flux d'autant qu'une grande partie de ces visiteurs a pour préoccupation première de se prendre en selfie devant la Joconde ou la Vénus de Milo, ce qui génère de monstrueux embouteillages.

L'Amour de l'Art, c'est donc une passion bien ambiguë: est-ce l'Art ou une affiche de soi-même que l'on aime ?


Et c'est pareil pour les voyages. Pourquoi voyage-t-on à vrai dire, pourquoi crapahute-t-on sous le soleil écrasant des Pyramides d’Égypte ou de la Cité interdite de Pékin ? Pour en tirer des centaines de selfies et de portraits dont je vais inonder mes proches. Chaque possesseur de smartphone réaliserait ainsi en moyenne plus de 3 000 clichés annuels. Peu importe à vrai dire le lieu fréquenté, l'essentiel, c'est que je vais adresser aux autres des projections-miroirs de moi-même, conformes à l'image que je souhaite offrir.


Mais plus que les selfies, c'est la fréquentation des réseaux sociaux et des sites de rencontre qui est impressionnante. Facebook rassemble 2,3 milliards d'utilisateurs actifs par mois et Instagram 1 milliard. C'est considérable à l'échelle de la population mondiale (7,6 milliards), c'est le signe d'un bouleversement profond des mentalités, de l'imaginaire et même de la libido. Les réseaux sociaux nous tendent un miroir qui exerce une véritable fascination et celle-ci est en train de remodeler, silencieusement, le psychisme et la sexualité des hommes.


Il faut bien le dire : en s'exposant sur Facebook, Instagram, on est d'abord happés, hypnotisés, par le regard de l'autre qui nous contemple derrière son écran. Il y a une jubilation, une jouissance profonde, à donner à voir son existence, à se mettre en scène pas seulement face à des proches et des amis mais à la foule des anonymes.


Vivre sous le regard de l'autre, les femmes connaissent déjà cela mais l'expérience se trouve démultipliée, approfondie, avec Internet et s'ouvre même aux hommes. On se prend à imaginer ceux qui nous regardent. On les perçoit d'ailleurs comme rarement bienveillants mais plutôt comme hostiles, des méchants, des pervers. Néanmoins, on leur jette en pâture notre corps et nos émotions, on leur balance notre belle image à la gueule, on essaie de deviner la façon dont ils s'en repaissent, leur dégoût ou leur lubricité, on a l'impression de triompher d'eux et de leur hostilité. Tout cela est profondément addictif, nous remue jusqu'aux tréfonds.


Internet, les réseaux sociaux, c'est donc d'abord le prolongement inédit du narcissisme de notre enfance. Le narcissisme, en effet, plus qu'un amour de sa propre image, est d'abord une expérience du regard, du regard de l'autre. On s'aime moins soi-même que l'image exhibée de son corps.

On rentre ainsi dans une nouvelle ère, un nouveau formatage du psychisme, celui d'un "narcissisme de masse" lié à la révolution numérique.


A de nombreux égards, c'est positif. Pour être heureux, pour se sentir bien, il faut tout de même s'aimer un peu soi-même. Et puis, chercher à exprimer son identité sur un support individuel, c'est tout de même mieux que de la vivre par rapport à un collectif où le moi se dissout dans le nous : la Parti, la classe sociale, le genre, la communauté, la nation.


Le vrai problème avec les réseaux sociaux, c'est que l'individu a vite fait de se perdre et de se prendre dans les rets de l'imaginaire, de s'enfermer délibérément dans la cage du rêve et de l'illusion. Une cage narcissique dont on ne cherche surtout pas à sortir car elle est insidieusement réconfortante. C'est le narcissisme mortifère qui épuise notre sexualité et notre libido.


Exprime-t-on d'ailleurs sa souffrance, ses peurs et ses angoisses, tout ce qui signe notre part d'humanité, sur les réseaux sociaux ? Est-ce qu'on arrive à y énoncer sa singularité propre, son désir ?

On peut vraiment en douter. Il s'agit plutôt, en exhibant sa vie privée sur les réseaux sociaux, en la présentant sous un jour poli et reluisant, de montrer à quel point on est tout puissant, à quel point on n'est pas affecté, justement, par la faiblesse humaine et sa réalité :  la peur, la crainte, la faille, l'accident, le manque.


A cet égard, les réseaux sociaux deviennent le support d'une compétition narcissique impitoyable. S'y exhiber, c'est d'abord montrer combien on est heureux et jouit de la vie. Et cette jouissance est d'autant plus grande qu'elle se veut exclusive : rien n'est plus agréable que de savoir, en comparaison, les autres malheureux ou en difficultés. C'est le prototype même de la terrifiante jouissance du Marquis de Sade : jouir à proportion du malheur des autres.


Instagram est exemplaire sur ce point. On sait bien qu'il est surtout le support d'expression des conflits relationnels et amoureux. Plus cruel, il n'y a pas. Après une rupture amoureuse, on se dépêche ainsi de diffuser plein d'images de soi pour bien enfoncer l'autre: regarde, pauvre minable, comme je suis heureux sans toi, regarde tous les chouettes amis que j'ai pu trouver, tous les beaux voyages que j'ai faits, tous les projets que j'ai réalisés. Je n'ai vraiment pas eu de mal à te remplacer... Et on joue évidement le même jeu avec la famille, les amis, les voisins.


Sauf qu'on n'est pas soi-même si fort que ça. On finit par se sentir pas très à l'aise dans cet exposition clinquante de soi sur la Toile. Et on se met à guetter avec anxiété le nombre de "Likes" et de commentaires approbateurs. Ça devient vite la surenchère permanente. Combien as-tu d'amis, de followers, de visiteurs, de messages ? Si ça baisse, on se sent déprécié, dévalorisé, le pauvre type qui n'intéresse personne.


La Toile révèle ici ce qu'elle est réellement. Non pas l'écran de projection de notre individualité, de nos rêves et de nos désirs, mais une instance sévère et cruelle qui nous juge et exige que nous soyons des copies conformes. On peut ainsi comparer avec justesse les réseaux sociaux à un Surmoi freudien répressif et normalisateur. C'est la logique ultime du narcissisme infantile dans le cadre de laquelle on n'éprouve de plaisir et de bonheur que dans la seule réponse au désir de l'Autre.


C'est l'Autre, anonyme et omniprésent, le Père sévère, le Père fouettard, qui, sur les réseaux sociaux, me dicte qui je suis et qui je dois être. D'expression authentique de ma singularité, de mon désir, il n'y en a guère. On cède trop vite au formatage et à la banalisation de l'imaginaire. C'est réconfortant dans un premier temps mais bien vite les peurs et les angoisses qui nous accablent reviennent nous assaillir pour ronger les barreaux de la trop belle cage narcissique dans laquelle nous nous sommes enfermés.


Alors faut-il renoncer aux réseaux sociaux, les jeter par-dessus bord, pour parvenir à se retrouver un peu soi-même ? Pour échapper à la compétition des egos. Peut-être pas ! La frustration, la répression du désir, n'est pas forcément leur mot ultime. Tout dépend beaucoup de nous en fait. On peut aussi refuser de se laisser absorber dans le grand magma collectif. Chercher des échappatoires, des interstices au travers des quels parviendra à se faufiler ce qui fait notre singularité. Reconstituer ce qui fait que l'on a un parcours de vie à nul autre pareil, découvrir sa logique profonde, c'est cela qui est intéressant en fait. C'est surtout ce qui permet d'avoir une vision plus juste de soi-même. Ça peut même être le support d'une sublimation pour faire œuvre d'Art.


Images de Diego Velasquez,1599-1660, ("Vénus au miroir"), Wladyslaw Slewinski (1856-1918), Julio Romero de Torres 1874-1930 ("Le péché"), Bill Brauer, Paul Delvaux, Helmut Newton, Wladimir Lukianowicz, Gerda Wegener 1886-1940), René Magritte, Kees Van Dongen, Julio Romero de Torres, Frantz Von Stuck (1863-1928): "la Méduse".

Ce petit texte se veut également un hommage à la philosophe-psychanalyste Clotilde Leguil dont je recommande particulièrement les ouvrages, toujours clairs et précis. Notamment "L'être et le genre" et ""Je", une traversée des identités".

14 commentaires:

Richard a dit…

Bonjour Madame Carmilla

Les découvertes continent souvent un bonne dose de hasard. Voilà quelques semaines, j'ai découvert un livre japonais de Ichiro Kishimi et Fumitake Koga. C'est le titre qui a titillé mon attention : Avoir le courage de ne pas être aimé. Je trouvais ce titre à la fois mystérieux et intrigant.

Vous étiez sans doute en train de terminer l'écriture de votre texte, alors que je terminais la lecture de ce bouquin, qui traite de la philosophie et de la psychologie d'Alfred Adler. Ce qui relève d'une étrangeté singulière chez moi qui ne lit jamais ce genre d'ouvrage tellement que je suis ignorant à propos de la psychologie ou la psychanalyse.

Je l'ai lu pour deux raisons : premièrement pour le titre : et deuxièmement, pourquoi cet ouvrage a eu un succès d'édition au japon ? Je me suis demandé pourquoi les japonais s'étaient précipités ce livre ? J'ai même pensé que peut-être, les japonais étaient devenus des adeptes de la pensée magique.

Souvenez-vous Carmilla, qu'un jour j'ai répondu à l'un de vos textes, par un tout petit bout de phrase : (Vaut mieux être bien détesté, que mal aimé.) Quelle ne fut pas ma surprise de lire dans ce livre ce paragraphe :

« Il est indéniablement pénible de ne pas être aimé. Si c'était possible, on aimerait vivre sans jamais déplaire. On veut assouvir ce besoin de reconnaissance. Mais se conduire de façon à toujours être aimé, c'est vivre en se privant de liberté, et en plus c'est impossible. Il y a un prix associé au fait de vouloir exercer sa liberté. Et le prix à payer pour avoir la liberté dans nos relations interpersonnelles, c'est de na pas toujours être aimé. » 
Ichiro Kishimi et Fumitake Koga
Avoir de courage de ne pas être aimé
Page -185-

Je devrais peut-être me mettre à une lecture plus sérieuse de la psychologie.

Madame Carmilla, vous allez arriver à vos fins : me faire lire Freud.

La dernière phrase vous l'aurez compris est une plaisanterie.

Richard St-Laurent

Richard a dit…

Je retiens la septième photo.

Dites donc vous avez joué à Rockwell.

Habituellement, je lis votre texte en premier, puis à ma deuxième lecture, j'accorde plus d'attention à vos images.

Difficile de ne pas s'arrêter sur cet photo même à la première lecture, car ce corps nu de dos est magnifique et impossible de le manquer il occupe le tiers de la photo.

Mais ce corps nu n'est pas le sujet principale de la photo, je dirais qu'il serait tout à fait accessoire, un peu comme un acteur de soutient au cinéma ou au théâtre, ce n'est pas non plus le photographe que l'on distingue dans le miroir qui sert de fond d'écran, pas plus que la composition entière, ou encore les conditions misérable de ce studio qui semble particulièrement froid. (Le photographe porte un manteau d'automne). Dur le métier de modèle ! Non, ce n'est rien de tout cela. Le sujet, le véritable sujet, de cette photo, c'est cette petite dame assis dans un fauteuil pliable en toile icône des metteurs en scène.

C'est une petite dame toute simple, vêtue de noir, tellement humble et timide, qu'elle en devient très discrète avec ses godasses qui n'ont rien à voir avec les escarpins. Le genre de personne qui passe inaperçue, qu'on ne remarque pas, qu'on aurait pas idée de glisser dans une composition ou d'aborder dans la rue.

Elle est là assise, la tête soutenue dans sa main gauche, un peu comme le penseur de Rodin. Elle regarde le modèle nu qui pose devant la glace. C'est elle le personnage principal de cette photo.

Lorsque je l'ai aperçu, je me suis demandé immédiatement :

«  À quoi pense-t-elle ?

Cette photo illustre mon dernier commentaire sur votre texte de la semaine dernière. Vraiment, vous avez joué à Rockwell.

Confirmez-moi que vous avez fait exprès.

Bonne fin de journée Carmilla

Richard St-Laurent

Carmilla Le Golem a dit…

Merci Richard,

Au risque de vous décevoir, je précise que je n'ai pas posté intentionnellement cette image du grand photographe Helmut Newton (1920-2004) voué aujourd'hui aux gémonies par les féministes.

Cette image, en abîme, s'inspire du célèbre tableau de Velasquez "Les Ménines" (le peintre se représentant en train de travailler sous le regard de l'autre). Mais vous avez raison de souligner que le personnage important est en fait la petite femme assise qui regarde. C'est, je crois, l'épouse elle-même d'Helmut Newton.

S'agissant de la psychanalyse, elle continue d'avoir en France une influence intellectuelle significative même si de moins en moins de gens se font psychanalyser. Il y a encore une importante édition d'ouvrages de psychanalyse. Particularités : la psychanalyse est enseignée dans les départements de philosophie des universités et elle se concentre sur les œuvres de Freud et Lacan. C'est une discipline qui m'a toujours intéressée et j'ai suivi, comme dérivatif à des études très techniques, une formation universitaire en la matière. Je ne dis pas ça pour me vanter mais simplement pour préciser que j'ai une relative légitimité pour en parler. Je pense que la psychanalyse (qui se différencie complétement de la psychologie) apporte des réponses indépassables sur le comportement humain. Mais à vrai dire, j'ai surtout lu Freud et je connais mal les autres théoriciens (Adler, Ferenczi, Jung).

Bien à vous,

Carmilla

Richard a dit…

Bonjour madame Carmilla !

Qu'est-ce qu'on fait avec toute cette bande de névrosés narcissiques ?

On les envoie tous en psychanalyse ?

Ça me fâche, lorsqu'on n'est même plus capable de tenir une discussion intelligente d'homme à homme dans la réalité, parce qu'on est interrompu par une sonnerie, pire, lorsque vous êtes au théâtre, au concert, ou encore au cinéma et qu'il y a un de ces bidules qui vient troubler notre ravissement. Nous avons perdu le sens des convenances, de la mesure et du respect ?

Est-ce un manque d'éducation ?

Changement de propos.

Il semblerait que c'est le sud de la France qui est en train de subir les foudres météorologiques, vents violents et pluies abondantes. C'est un automne vraiment rude. Hier, je suis aller faire une reconnaissance en forêt, je n'y étais pas retourner depuis la grosse tempête du 1er novembre, arbres déracinés, cassés, décapités, je vais avoir de l'ouvrage pendant des mois.

Bonne fin de journée Carmilla

Richard St-Laurent

Carmilla Le Golem a dit…

Merci Richard,

La multiplication des névrosés narcissiques ?

Je crains que ce ne soit le début du processus. De plus en plus, on va vivre des existences virtuelles. De plus en plus, le réel et ses contrariétés, ses aspérités, vont s'effacer. L'exigence du tout, tout de suite, de la satisfaction immédiate, va devenir impérieuse.

Guérir d'une addiction, ce n'est pas facile. On le sait bien avec l'alcool, le tabac, la drogue. Ça procure tout de même un certain plaisir, ça permet de se réconcilier pendant un certain temps avec soi-même. Et les réseaux sociaux, c'est probablement beaucoup plus addictif que ces "petits vices".

La difficulté, c'est que ça n'élimine pas l'angoisse et qu'elle revient au contraire encore plus forte peu après. Ça n'augure rien de bon: dans un monde virtuel, la violence devient sans limites, la haine s'exprime sans contraintes. C'est plus inquiétant que le réchauffement climatique et je ne crois pas que la psychanalyse puisse y faire grand chose. Les drogués qui décrochent, c'est rare.

S'agissant du climat, il est vrai qu'il y a eu, durant l'été en France, une très grande sécheresse. Maintenant, c'est le contraire et il pleut sans arrêt depuis un bon mois. En revanche, en Europe Centrale et jusqu'à Moscou, il continuait de faire beau et chaud. C'est seulement maintenant que ça commence à changer.

Bien à vous,

Carmilla

Richard a dit…

Est-ce un processus de domestication mortelle ?
La question me semble pertinente après votre solide commentaire. Les personnes en état de pouvoir n'hésitent pas à embarquer dans cette galère. Comment ne pas s’interroger lorsque un président d'un état passe du temps sur les réseaux sociaux ? Sa fonction c'est de gouverner, de diriger, et peut-être essayer d'imaginer une certaine conception de l'avenir. Pas de faire du social, afin de soigner sa popularité. Gouverner, dans un certain sens, c'est prendre le risque de déplaire, et cela ne s'assume que dans la réalité. Que se soit les réseaux ou les drogues, voilà qui ressemble à une fuite. Un dénie de la réalité qui finit par nous paralyser. L'exemple de la pauvreté des débats publiques me déçoit. Les chambres des communes, les parlements et les Assemblées Nationales se sont transformés en foire d'empoigne, et lorsque la séance est terminée, on s'arrête sur le parvis pour cracher sa haine, se refaire une beauté, exciter ses partisans. À un autre niveau, je participe à certaines assemblées délibérantes, comme par exemple, les Assemblées Annuelles des Caisses Populaires Desjardins. Je constate que ça patine lentement au niveau des idées et de l'expression de ces idées lorsqu'on abandonne son bidule électronique, pour s'exprimer de vive voix haut et fort, devant tout le monde présent. Ça c'est l'expression la plus singulière de la liberté et de la démocratie. Ce qui n'a rien à voir avec les lynchages des réseaux sociaux. Cela requière un certain courage de se lever, de se rendre au micro et de s'exprimer, encore plus si votre idée est impopulaire. Toujours le risque de déplaire, de ne pas être accepté, de ne pas faire partie du troupeau. En politique, quoi qu'on en dise, nous ne sommes pas là pour plaire ; nous sommes là pour régler des problèmes, gouverner, prendre des décisions. Il y a bien d'autres domaines où la séduction peut s'exprimer.
Dans notre univers du tout à électricité, j'en sais quelque chose en tant que Québécois habitant une province où l'on chauffe les maisons avec cette source d'énergie ; une panne électrique devient un événement majeur. Je sais que c'est déplaisant, de ne pas pouvoir faire cuire ses repas, de se laver, de se réchauffer, et gâtés comme nous les sommes, si la panne se prolonge, la grogne ne met pas beaucoup de temps pour se manifester. Est-ce un processus de domestication mortelle ? Couper l'électricité et les communications nous ramène au Moyen-Âge. Je vois ces pannes comme un genre de leçon que nous offre le hasard de la vie. Le temps de retrouver son silence, de constater que nous avons une vision nocturne, de redécouvrir un véritable souffle humain nous traverser, de pouvoir réfléchir sans se presser. Mes cinq journées de panne électrique se transformèrent en délicieux silence régénérateur.

Bonne nuit Carmilla
Richard St-Laurent

Richard a dit…

J'ignore si vous connaissez Niall Ferguson, historien britannique, spécialisé dans l'histoire de l'économie et de la finance.

Pour aborder Piketty, je suis en train de me réchauffer en lisant : La Place et la Tour, réseaux, hiérarchies et lutte pour le pouvoir. (Odile Jacob)

Bouquin intéressant qui raconte la dualité entre réseaux et hiérarchies
Si vous ne l'avez pas lu, je vous le recommande.

Manière de mettre la table pour Piketty.

Merci pour vos commentaires

Richard St-Laurent

Carmilla Le Golem a dit…

Merci Richard,

On a rarement analysé cela mais il me semble que la montée générale du populisme a été favorisée par l'expansion des réseaux sociaux.

Ceux-ci ont pour principal mérite d'abolir les hiérarchies. Chaque citoyen peut y interpeller un puissant en ayant le sentiment d'être sur un pied d'égalité. Mais très vite la modestie s'efface, on se laisse griser, l'hubris et le délire narcissique l'emportent. Ne subsistent plus que la haine et le rejet unanime des élites.

Je trouve ça très inquiétant pour l'avenir démocratique de nos sociétés. On a tout de même besoin d'experts et l'opinion du plus grand nombre ne peut servir d'étalon. En ce sens, je crois en effet à la démocratie représentative et à la délégation de certaines décisions. L'opinion populaire n'est sans doute pas plus juste que celle du technicien. Dans ce contexte, Trump est bien, en effet, un élu des réseaux sociaux: son impulsivité, imprévisibilité, sa confiance dans le bon sens populaire.

Je crois en effet qu'il est souvent salutaire de se déprendre, de se déconnecter, de la rumeur du monde et des médias. On a alors l'impression de revivre, d'être moins bête et de penser un peu par soi-même. On est vraiment trop prisonniers des technologies.

Je connais Niall Ferguson. J'avais beaucoup aimé: "L'irrésistible ascension de l'argent", un peu moins "Civilisations". Son point de vue est beaucoup plus vaste et cohérent que celui de Piketty qui n'a en tête que les inégalités et leur légitimation. Je n'avais pas encore remarqué: "La Place et la Tour". Je vais bien sûr le lire.

Bien à vous,

Carmilla

Richard a dit…

Bonjour Carmilla

Ne manquez pas Niall Ferguson, cet ouvrage est une vaste réflexion sur les réseaux et les hiérarchies, et hier soir j'en était justement à notre sujet de cette semaine sur les réseaux sociaux, le narcissisme, l'addiction, le tout, naturellement, servi avec des analyses économiques.

Ce qui est intéressant c'est qu'il évoque une multitude de réseaux tout au long de l'histoire, mais aussi des retours des pouvoirs hiérarchiques. Il y a comme un jeu du balancier. Chacun à ses forces et ses faiblesses dans cette course au pouvoir qui n'est jamais totalement gagnée. Il touche autant au franc-maçons qu'à la pègre, qui sont aussi des réseaux, tout comme les réseaux de renseignements, les privilégiers, il touche en autre autre La Maison des Rothschild, aux diverses révolutions en passant par les façons de faire la guerre. Aussi comment un réseau peut se transformer en hiérarchie, et qu'une hiérarchie peut s'effondrer.

Les chapitres ne sont pas très longs, par contre, ils sont d'une densité peu commune. Personnellement, j'en aurais pris plus.

Pour vous qui ne manquez pas d'inspiration, cela pourrait être encore plus inspirant pour vos textes.

Je n'en dit pas plus, à vous la découverte, et surtout bonne lecture.

Bonne fin de journée

Richard St-Laurent

Carmilla Le Golem a dit…

Bien sûr Richard,

C'est, je l'ai précisé, un historien de l'économie que je connais et aime bien.

Cependant, je suis aujourd'hui sur l'extraordinaire "Fabrique des salauds" de Chris Kraus. Ses 887 pages prennent tout de même un certain temps.

Bien à vous,

Carmilla

Richard a dit…

Bonsoir Carmilla !

La Fabriques des salauds de Kraus que je ne connaissais pas, une grande lecture, que j'ai bien aimé.

Vous allez être servie au niveau de la transgression.

Qui plus est, cela se passe dans une région du monde que vous connaissez bien.

Vous m'en direz des nouvelles.

Bonne nuit

Richard St-Laurent

Anonyme a dit…

"Chercher des échappatoires, des interstices au travers des quels parviendra à se faufiler ce qui fait notre singularité. Reconstituer ce qui fait que l'on a un parcours de vie à nul autre pareil, découvrir sa logique profonde, c'est cela qui est intéressant en fait. C'est surtout ce qui permet d'avoir une vision plus juste de soi-même. Ça peut même être le support d'une sublimation pour faire œuvre d'Art."

Sublime.
Je vous l'emprunte.

Bien à vous.

Alban

Carmilla Le Golem a dit…

Merci Richard,

Je connais bien en effet les lieux évoqués et notamment la Lettonie et Riga. C'est effectivement un très grand livre.

Carmilla

Carmilla Le Golem a dit…

Merci Alban,

Mais le sublime, ce n'est vraiment pas ce que je recherche.

Je préfère voir les choses par leur envers qui n'est pas toujours très reluisant.

Je constate que votre photo d'introduction est maintenant le porche de la cathédrale d'Amiens.

Bien à vous,

Carmilla