samedi 9 novembre 2019

Le Lyon de Galicie


Quand, venant de Pologne, on sort de l'immense gare ferroviaire Art Nouveau de Lviv (qui signifie "lion" en slave), on a tout de même un choc : des rues défoncées, des murs lépreux, des taxis sans compteur. On n'est plus dans l'Union Européenne, on est bien dans l'un des pays les plus pauvres d'Europe. C'est pitoyable : même le Kosovo et l'Albanie seraient plus riches. Heureusement, il y a la Moldavie qui nous permet d'éviter la dernière place. Quand on pense qu'Hitler et Staline (qui n'y connaissaient rien en économie, il est vrai) considéraient l'Ukraine, avec ses "terres noires", comme le pays clé de la richesse de l'Allemagne nazie ou de l'Union Soviétique. Belle leçon d'économie en effet : l'agriculture, les matières premières, l'industrie lourde, ça ne suffit pas en réalité.


On tombe vraiment de haut parce que la ville de Lviv était, paraît-il, au début du 20 ème siècle (elle s'appelait alors Lemberg en Autriche-Hongrie), l'une des plus belles et des plus modernes d'Europe : un grand Opéra (construit sur le modèle de l'Opéra Garnier parisien), de véritables "Champs-Elysées", une multitude de lieux de culte de toutes les religions, des hôtels de luxe, de vastes quartiers Jugendstil.


Aujourd'hui, plus personne en Europe ne connaît Lviv (je n'ose jamais dire d'où je suis originaire) même si la ville compte 1 million d'habitants. Fait significatif : je n'ai rencontré, au cours de mon séjour, aucun touriste d'Europe de l'Ouest (Français, Allemands, Britanniques, etc...). Seuls des Polonais (très nombreux en revanche) et les inévitables groupes chinois ont le courage de venir jusqu'ici.


La dégringolade, ce sont évidemment 45 ans d'économie soviétique qui l'ont assurée avec une redoutable efficacité. Il est important de rappeler cela à l'heure où l'on commémore les 30 ans de la chute du Mur, où il y a de plus en plus de nostalgiques du "bon vieux temps" et où l'on dénonce la société de consommation en prônant la "décroissance" et un partage accru des richesses.


L'Union Soviétique avait réalisé tout cela avec un "grand succès". On n'avait pas de voisin à envier parce qu'on était tous misérables. Mais c'est quand même avec un serrement de cœur que je pense à ces années 90 que j'ai un peu connues, enfant, celles qui ont suivi la chute du Mur. La ville de Lviv était carrément lugubre: on s'entassait dans des taudis, on subissait d'incessantes coupures d'eau et d'électricité, on se chauffait avec un poêle à charbon, on était habillés comme des clowns, on mangeait des pâtées informes sur lesquelles un chien moyen tordait le nez. Le téléphone, ça n'existait quasiment pas ou ça ne marchait pas. Les transports, il fallait presque accéder par les fenêtres aux voitures quand on avait réussi à acheter un billet. Il n'y avait, bien sûr, ni café ni restaurant digne de ce nom. Et surtout, je me rappelle que tout était d'une crasse et d'une saleté invraisemblables. L'Union Soviétique, c'était l'absence d'hygiène, la puanteur et les immondices.


Alors, les contempteurs de l'hyper-capitalisme ou du système ultra-libéral dans les quels on vivrait aujourd'hui me font bien rigoler. Ou plutôt non : j'ai carrément envie de leur cracher à la figure. Aussi piteuse qu'apparaisse Lviv aujourd'hui, je la trouve, de toute manière, infiniment plus belle et agréable qu'elle n'était il y a 30 ans. Elle est surtout devenue extraordinairement vivante et animée.



Je suis moi-même impressionnée par la multitude de cafés magnifiques, de restaurants chics (que l'on peut fréquenter à toute heure), de boîtes de nuit démentes, de musiciens et artistes de rues. On trouve même des boutiques de luxe qui peuvent susciter plein de débats philosophiques : est-il moral, par exemple, que la marque de lingerie "La Perla" vende une simple culotte au prix de tout un salaire mensuel ? Quant aux berlines allemandes de luxe, on en croise presque autant qu'en France, alors qu'elles sont théoriquement inaccessibles.

 
Ce qui m'impressionne aussi, c'est que mes compatriotes sont tous devenus trilingues : ukrainien, polonais (en forte progression), russe (en régression; du moins, on se fait de plus en plus envoyer promener si l'on parle russe : retourne chez ton Poutine, on me dit). Facile me direz-vous, c'est tellement proche. C'est vrai mais c'est aussi très facile de tout mélanger (c'est mon cas).



Surtout, l'Ukraine c'est un pays de femmes et il faut reconnaître qu'elles apportent beaucoup d'éclat et de gaieté au sein de la morosité ambiante. Je ne vais pas idéaliser. C'est tout de même une société machiste avec une séparation très forte des sexes (ce qui ouvre, paradoxalement, certains espaces de liberté). La théorie du genre, on est à mille lieux de cela. Mais les femmes en Ukraine (comme dans la plupart des pays slaves) ne se vivent pas en infériorité, elles ont même une conscience aiguë de leur pouvoir sur les hommes. Elles savent bien que ce sont elles, en définitive, qui choisissent et décident.  


Alors, elles jouent franchement le jeu de la séduction et n'hésitent pas à parader dans la ville. Ce n'est pas un hasard si "la Vénus à la fourrure" de Masoch et la femme-idole de Bruno Schulz hantent les rues de Lviv. Les Ukrainiennes sont, sur ce point, complètement différentes des Françaises mais la grande différence avec la France, c'est qu'aussi sexy s'affichent-elles, personne ne va leur tomber dessus ou même simplement les siffler dans la rue. Me too, on ne connaît pas trop, simplement parce que les femmes sont toujours un peu redoutées et respectées.



Mais il faut que je sois complétement honnête. C'est quand même très difficile d'être une femme en Ukraine parce que la compétition y est terrible. L'apparence physique est primordiale et la force des codes de séduction est impitoyable. Les très belles filles parfaitement pomponnées, ce n'est pas ça qui manque et si on est simplement moyenne, ça doit être désespérant. Cela étant, la solidarité féminine est peut-être plus forte et les jalousies moins féroces. Les groupes de copines de tous âges (c'est aussi une différence avec la France), ça structure beaucoup la vie sociale comme on peut le constater dans les restaurants et les cafés. Les "sorties entre filles", c'est une véritable habitude et ça sert d'exutoire.



Il est vrai cependant que les Ukrainiennes sont surtout connues à l'Ouest pour alimenter les réseaux de la prostitution. C'est un peu étrange parce que, de même qu'en Russie,  la prostitution et la pornographie sont interdites en Ukraine (l'avortement et la GPA sont en revanche autorisés). Le touriste occidental risque donc d'être déçu parce qu'il ne trouvera aucun "quartier chaud", tout juste quelques boîtes "soft" de strip-tease et des boutiques d'accessoires (il y a en revanche des boîtes de nuit d'"enfer"). 


Bien sûr, tout cela est facilement contourné par Internet mais l'ambiance générale des rues n'a quand même rien à voir avec Hambourg ou Amsterdam. Les mentalités, en général, sont plutôt prudes et chastes. Il n'y a pas du moins cette éducation érotique française transmise par la littérature. J'ai quand même noté qu'on commençait à s'intéresser à la psychanalyse (parce qu'on s'est rendu compte que les parents de Freud étaient originaires d'Ukraine occidentale).


Et surtout, il faut bien reconnaître que l'humeur n'est vraiment pas à la rêverie amoureuse, aujourd'hui, en Ukraine. Un sujet principal domine les conversations : la guerre, la guerre, la guerre... C'est déprimant, épuisant. On n'imagine pas à quel point ça peut creuser des inimitiés, déchirer des familles, transformer des amis en ennemis. Chacun y va de son point de vue, de sa solution, plus ou moins absurde ou extrémiste.


La lassitude devient immense : cinq ans, c'est long, très long ... avec le sentiment, surtout, que le reste du monde, et notamment l'Europe de l'Ouest de l'Europe, s'en fiche complétement.


Macron et Merkel sont considérés comme les "idiots utiles" de Poutine. Pourquoi ont-ils d'ailleurs été désignés pour conduire les négociations de paix ? Sans doute parce que Poutine sait bien qu'ils sont de grands "léthargocrates" pour reprendre l'expression du philosophe allemand Peter Sloterdjik. Des dirigeants  peut-être sophistiqués mais dépourvus de volonté et dont le souci premier est de ne "rien faire", rien surtout qui puisse déplaire, en premier lieu à Poutine. Il est clair que Macron et Merkel souhaitent se débarrasser du problème de l'Ukraine en lui demandant de faire un maximum de concessions à la Russie. Le "plan Steinmeier" est, à cet égard, un "enfumage" de  première catégorie.


Peut-être l'Ukraine sera-t-elle bientôt contrainte de signer un accord sous la pression de Macron et Merkel. Mais il n'y aura sûrement pas de quoi pavoiser. Quelle sera la crédibilité de l'Union Européenne si elle lâche négligemment les pays qui ont proclamé leur adhésion à ses valeurs ? Et quelles sont justement les valeurs de l'Europe si elle donne raison à l'agresseur et à celui qui bafoue le Droit ?


De toute manière, il ne s'agira pas, dans ces conditions, d'une paix durable. Le prix de cette guerre, le "prix du sang", a été trop lourd pour "passer l'éponge" et se réconcilier : 15 000 morts et 1,5 million de personnes déplacées.


Surtout, l'économie est dans une situation désastreuse même si elle ne s'est miraculeusement pas effondrée. Le salaire moyen en Ukraine ressort ainsi à 250 euros par mois. C'est évidemment un chiffre à nuancer par un coût de la vie qui est au moins deux fois inférieur à celui de la France; de plus, la plupart des ménages sont propriétaires de leur logement.  Il n'empêche que le niveau des rémunérations est tellement bas qu'il conduit la population à se détourner des activités légales. Mieux vaut être trafiquant que salarié.


L'autre problème majeur, c'est que le pays se vide dramatiquement. Sur un territoire sensiblement plus grand que la France, il y avait 52 millions d'Ukrainiens en 1992. Il n'y en aurait plus aujourd'hui que 44 millions : les effets d'une faible natalité, d'une forte mortalité et d'une émigration massive. On ne manque donc pas de place aujourd'hui en Ukraine mais jusqu'où cela va-t-il aller ?



Ce qui est sûr, c'est qu'on n'a pas fini d'entendre parler de l'Ukraine. Macron et Merkel pensent peut-être pouvoir cacher la poussière sous le tapis mais l'amertume est trop grande. Aussi longtemps que n'aura pas été trouvée une solution honorable concernant le Donbass et la Crimée (aujourd'hui économiquement non viable car privée d'eau), sera entretenue une guerre larvée avec la Russie.


C'est impossible me direz-vous. Pas du tout ! Il suffit d'une volonté un peu forte de l'Europe: rappelons en effet que les sanctions prises à l'encontre de la Russie sont aujourd'hui insignifiantes. Les accroître sensiblement (en suspendant par exemple son accès au secteur bancaire international) changerait sûrement la donne.

































Photos de Carmilla Legolem à Lviv. L'avant-avant-dernière photo serait celle de l'immeuble où est né Sacher Masoch mais on n'a pas de certitudes.

Si vous vous intéressez à la Galicie orientale, je vous recommande les quelques livres suivants :

- Bruno SCHULZ (1892-1942) : "Les boutiques de cannelle" et "Le sanatorium au croque-mort". Un des grands noms de la littérature polonaise et européenne. Il faut également absolument se reporter à l’œuvre graphique de Bruno Schulz. La fascinante femme idole. C'est mieux que Balthus !

- Olga TOKARCZUK: "Les livres de Jakob". Prix Nobel 2018.

- Yuri ANDRUKHOVYCH: "Douze cercles". La figure la plus populaire et la plus controversée de la littérature ukrainienne contemporaine. C'est toujours très drôle et loufoque.

- Sofia ANDRUKHOVYCH: "Felix Austria". La fille de son père mais une littérature bien différente. Le livre nous transporte dans une Autriche-Hongrie heureuse, un monde tolérant mais disparu du début du 20 ème siècle.

- Andreï KOURKOV : "Le concert posthume de Jimi Hendrix". Le célèbre auteur du "Pingouin". Le "concert posthume" est un livre déjanté qui se passe justement à Lviv.

- Zanna SLONIOWSKA: "Une ville à cœur ouvert" (vient de paraître en poche). Une éducation sentimentale ukrainienne dans la ville de Lviv. Zanna Sloniowska est une jeune Lvovienne qui écrit en polonais.

- Joseph ROTH (1894-1939). Tout le monde a lu, bien sûr, "La Marche de Radetzky" mais ce n'est pas, à mes yeux, son meilleur livre. Je recommande également "Hôtel Savoy" et "La crypte des capucins".

-Soma MORGENSTERN (1890-1976) : le grand écrivain de la Galicie orientale, ami de Roth et d'Alban Berg. Célèbre pour sa fameuse trilogie "Etincelles dans l'abîme" récemment rééditée en poche.

- Leopold Von Sacher Masoch (1836-1895). Il n'y a pas que "la Vénus à la fourrure". Masoch a également écrit de nombreux "Contes Galiciens" qui constituent de véritables documents ethnographiques. Sur Masoch lui-même, il y a deux livres principaux: Gilles Deleuze : "Présentation de Sacher-Masoch le froid et le cruel" et Bernard Michel : "Sacher Masoch 1836-1895". C'est la biographie qui fait autorité, malheureusement difficile à trouver aujourd'hui.

Je terminerai ce post effroyablement long en précisant que j'ai été très mécontente de l'attribution des prix littéraires cette année. C'était tout de même le centenaire de l'attribution du Prix Goncourt à Marcel Proust. On aurait pu choisir une littérature novatrice. Mais non ! On a retenu des bouquins que même notre vieille grand-mère trouvera classiques. Des livres qui font du bien comme on dit. Jean-Paul Dubois, c'est gentil, émouvant, peuple, mais on ne fait pas de bonne littérature avec de bons sentiments. Le pire, c'est Sylvain Tesson. C'est encore plus irritant que "Dans les forêts de Sibérie": le grand délire écolo, la Nature, l'Espace, l'Animal, avec des majuscules. L'esprit anti-moderne à son acmé porté par un style boursouflé.

J'aurais tellement aimé qu'on couronne Olivier Rolin, Emma Becker, Violaine Huisman. C'était tout de même plus audacieux et dérangeant.




14 commentaires:

Nuages a dit…

Tout ça est vraiment magnifique. Ça me donne immédiatement envie d'y aller. Une très belle ville d'Europe centrale pas encore ravagée par le tourisme de masse.
Je me déciderai bien un jour à y aller, même seul.

Anonyme a dit…

Bonsoir Carmilla,

vous avez réalisé de très belles photos, avec une préférence pour la 8ème. On sentait très bien cette atmosphère (en particulier dans les cafés) grâce au lien vers les vidéos de Melle Zoobko.

Très heureux que le personnage de l'empereur ectoplasmique macronien se révèle enfin, en chef de guerre (en tongs) et père de l'Europe, mais sans enfants.

Lviv a croisé quelques Français la semaine dernière, en supporters ahuris de l'AS Saint-Etienne. Certains ne sont pas rentrés d'ailleurs, ayant eu maille à partir avec la police locale, ce qui est à mourir de rire (2-2, même si vous vous en foutez royalement).

S'agissant des prix littéraires, je dois avouer que je m'y intéresse peu. Je vais commencer "Dernières nouvelles de Sapiens" de Condemi et Savatier. J'ai feuilleté Dubois chez Martelle aujourd'hui, ça m'a fait bailler. Mais le pire, je suis entièrement d'accord, restera à jamais l'attribution du Renaudot à Tesson. J'avais lu, il y a quelques années, "Sur les chemins noirs"... et ce fut... un désastre littéraire, pire qu'Edouard Louis et Yann Moix, c'est dire. Pourquoi ? entre Mercantour et Contentin, à travers le Lubéron, la vallée du Rhône, les Causses, le Cantal, les marches de Bretagne, on ne reconnait ... RIEN. Rien, à part le nombrilisme d'un imposteur.

Bon week-end.
Bien à vous.

Alban

Carmilla Le Golem a dit…

Effectivement Nuages,

Si vous aimez les lieux dépaysants et encore préservés du tourisme de masse, l'Ukraine est toute indiquée pour vous. C'est même un pays très facile, on trouve partout hôtels et moyens de transport; c'est en plus bon marché. On peut facilement rester 4/5 jours à Lviv, Odessa, Kiev sans s'ennuyer et, croyez-moi, il y a de la photo à faire. Dans les grandes villes, beaucoup de gens parlent un bon anglais. J'ajouterai enfin que le pays est très sûr et qu'il ne peut rien vous y arriver (sauf si vous voulez vous rendre dans le Donbass).

La campagne est aussi très intéressante du moins si l'on aime les ambiances années 50 de l'ancienne Europe. Mais ça risque d'être un peu plus sportif, d'une part en raison de l'état des routes, d'autre par à cause des difficultés de communication (les gens ne parlent plus que russe ou ukrainien).

Il est préférable de s'y rendre au printemps ou à l'automne: non seulement pour éviter les grands froids et les fortes chaleurs mais aussi pour profiter de l'importante animation urbaine nocturne.

Je pourrai bien sûr vous fournir des tuyaux si vous persévérez dans votre projet.

Bien à vous,

Carmilla

Carmilla Le Golem a dit…

Merci Alban,

La photo, j'essaie d'en faire mais je ne suis jamais réellement satisfaite. Il faut pouvoir s'y consacrer vraiment et bien préparer ses prises de vues. Mais je fait toujours ça un peu à la volée.

La 8ème photo a été prise dans le quartier arménien. Depuis plusieurs siècles, réside en effet à Lviv une importante communauté arménienne. Il y a aussi beaucoup d'Uniates, de catholiques et d'orthodoxes. Quant à la communauté juive, il n'en subsiste plus que des traces et des souvenirs.

Macron n'est sans doute pas très inspiré en ce qui concerne la Russie et l'Ukraine mais je ne pense pas que ça préoccupe beaucoup les Français. Pourtant protéger l'Ukraine, c'est d'abord défendre l'Europe et ses valeurs face au risque systémique du délirant projet eurasiatique de Poutine. En ne sanctionnant pas la violation du Droit international, l'abandon de l'Ukraine récompenserait l'agresseur et l'autoriserait à poursuivre l'usage de la force.

Je ne savais pas en effet que Saint-Étienne avait joué à Lviv. Mais l'équipe la plus célèbre en Ukraine est le Dynamo de Kiev qui a eu, dans les années 80, des joueurs extraordinaires (Blokhine notamment)qui constituaient l'ossature de l'équipe d'URSS qui, à cette époque, était très forte. L'équipe d'Ukraine peut se révéler dans les années à venir. Elle est malheureusement imprévisible et même si elle est toujours dangereuse, elle est capable du meilleur comme du pire.

Quant à Sylvain Tesson, je ne dirai pas que tout est mauvais. J'ai bien aimé certains de ses livres ("L'axe du loup", "Bérézina", "Un été avec Homère")mais il se laisse souvent emporter par une idéologie écologiste et anti-moderne. Ses livres sont bien dans l'air du temps et ne révolutionnent rien sur le plan littéraire.

Bien à vous,

Carmilla

Richard a dit…

Bonjour Carmilla et bon retour !
Paradoxe des paradoxes que votre questionnement sur votre retour. Est-ce vous auriez mieux fait de demeurer en Ukraine ou en Iran ? Est-ce qu'on est moins malheureux là-bas ? Comme des millions de gens sur cette terre vous demeurez dubitative entre l'attachement romantique et les impératifs économiques. Par contre, j'affirme, que vous avez le meilleur des deux ou trois mondes, vous gagnez bien votre vie, Paris ce n'est pas si mal, vous bénéficiez de deux mois libres par années pour voyager, ce qui vous donne des perspectives intéressantes sur diverses civilisations. Enfin, ce fameux bonheur dont parle tellement le monde, nous oublions souvent que nous le transportons en nous-mêmes.
J'ai appris que Tokarczuk avait gagner son prix Nobel à la radio. Je suis vraiment content pour elle, car après avoir lu (Les livres de Jakob), je ne pouvais que lui souhaiter que du bon. C'est une grand livre, à relire, ce qui va sans doute se reproduire dans ma vie ; et ça c'est grâce à vous Carmilla, parce autrement j'aurais passé à côté de cet ouvrage. Ce fut toute une découverte. J'affirme que c'est l'un des grands livres que j'aurai lu cette année.
Dans votre liste, je retiens, Olivier Rolin, Extérieur Monde, parce que cela sent le voyage et aussi l'atmosphère particulière du sentiment d'appartenir à cette humanité. Je vous en donnerez des nouvelles.
Je ne manquerai pas aussi de lire Capital et Idéologie de Piketty de la première à la dernière page. J'ai acheté le livre vendredi dernier, lu quelques pages qui m'ont vivement intéressées, après je l'ai glissé sous ma pile parce que j'ai d'autres ouvrages à parcourir avant de me glisser dans cette jouissance. Comment, le dire autrement ?
Pendant que vous étiez en Ukraine, j'ai lu pratiquement d'une traite : La reconstructions des Nations et ce fut le même émerveillement que les autres lectures précédentes de Timothy Snyder. Je suis entré là-dedans comme un couteau dans le beurre. Je ne me suis pas ennuyé une seconde.
Alors sous cette avalanche de violences j'ai essayé de comprendre tous ces massacres autant en Galicie qu'en Volhynie, car j'ignorais que les Polonais et les Ukrainiens s'étaient livrés à une guerre civile entre eux, jusqu'en 1948. Faut reconnaître que dans les livres d'histoires, du moins ceux que j'ai lu en Amérique du Nord, n'en parle pas. Alors, je me suis lancé dans la lecture de : La part de l'ange en nous, par : Steven Pinker. Un autre voyage de mille pages qui se veut un essais sur la diminution de la violence depuis des millénaires.
Mais je suis resté sur ma faim
Richard St-Laurent

Richard a dit…

La question lancinante qui me revenait continuellement était : Est-ce que la violence chez l'être humain est innée ou acquise ? Pinker est un linguiste doublé d'un historien potable, mais ce n'est ni un philosophe ni un psychiatre, quoi que les trois derniers chapitres de : La part de l'ange ressemble à un genre d'explication. Alors, j'ai fait une pirouette en par en arrière pour replonger dans le passer et retrouvé Erich Fromm auteur des années -1930-1970- et j'ai lu : La Passions de Détruire, anatomie de la destructivité humaine. Premièrement pour constater l'évolution de la pensée en ce qui concerne la violence, et, deuxièmement le fondement et la nature de cette violence. Ce fut un étrange voyage, dans les années 70 où l'on n'écrivait pas comme aujourd'hui parce que les connaissances et les informations ont augmentées depuis. En lisant l'ouvrage de Pinker parsemé de ses nombreux graphiques, je lui ai retrouvé une certaine parenté avec Piketty, au niveau de la langue, de la manière de penser et de sa méthodologie, visiblement ces gens-là on reçu la même formation ; ce qui est tout le contraire de Fromm qui ne disposait pas des mêmes outils et de beaucoup moins d'informations. Cependant, Fromm ressort plus fort parce que c'est un psychanalyste et un philosophe. Fromm va beaucoup plus vers l'acquis et évite de spéculer sur l'innée. Il explique beaucoup mieux l'agressivité défensive. Il ne rejette pas toutes les violences. Il ne se contente pas seulement de la chimie du cerveau parce qu'il englobe l'humain dans son (entièreté).
Il y a un espace entre la biologie et la réalité, qui s'appelle la conscience où ni Pinker ni Harari ne s'attardent. Cette bonne vieille conscience qui commence où et se termine quand ? Voilà des frontière poreuses. Malgré toutes nos découvertes scientifiques depuis l'époque de Fromm, nous pataugeons toujours dans les mêmes eaux.
Cette lecture fut une longue digression, j'étais très loin de la superficialité des prix littéraires. Le jour je bûchais, le soir je lisais, toujours dans la même intensité.
Pour en revenir en Snyder, je l'ai trouvé très intéressant une fois de plus. Je relirais : La reconstruction des nations, n'importe quand.
J'ai été surpris d'apprendre que les Ukrainiens attendaient la libération de la part des Allemands afin de promouvoir leur indépendance, ils ont même eu une division SS. Les Polonais eux attendaient les Russes pour se libérer des Allemands. C'est quand même étrange ce chassé-croisé.
Dites-moi Carmilla, lorsque vous allez chez vous en Ukraine, est-ce qu'on évoque encore cette douloureuse époque ?

Richard St-Laurent

Richard a dit…

Dans votre texte sur la Galicie Occidentale, la photo 23 de ce gros bâtiment en bois m'a vivement impressionné. Quelle est la nature de cet édifice ? C'est quoi, cette belle cabane ? On ne construit plus ainsi aujourd'hui.
Qui plus est pour un mois d'octobre, il y a encore des feuilles dans les arbres de Galicie et je soupçonne que la température était très agréable.
En ce 11 novembre le ciel se couvre sur le Québec, et l'on pourrait connaître notre première tempête de neige de la saison entre 20 à 30 cm au cours de la nuit prochaine. Suite logique de notre dernière tempête ou le 31 octobre nous avons reçu 80mm de pluie en 12 heures et le 1er novembre où nous avons connu des vents de 100km/h. Il n'y a eu que deux victimes, l'une écrasé par un arbre alors qu'il prenait des photos et un autre qui a été heurté par un objet transporté par le vent. Panne générale d'électricité à cause des arbres qui sont tombés sur les fils, un million de Québécois dans le noir. Il aura fallu une semaine aux monteurs de ligne pour tout remettre en état. J'ai quand même passé cinq jours sans électricité. On s'est fait rudement secoué, mais nous sommes chanceux, nos vieux bâtiments en bois on résisté, aucune toiture ne s'est envolée, nous sommes tous vivants sauf pour les deux victimes.
Ce qui est étrange, c'est que ça commence comme l'an dernier à pareil date. L'hiver va-t-il revenir en force, après avoir vécu un été très ordinaire ? Pour les jardins ce fut ordinaire sans plus.
J'ai délaissé pour quelques jours mes essais arides pour une récréation. Je suis en train de lire : La fabrique des salauds de Chris Kraus.
Franchement, je n'en sors pas.
Merci pour toutes vos photos, je puis comprendre votre nostalgie.
Richard St-Laurent

Carmilla Le Golem a dit…

Bonjour Richard,

Ravie de votre retour. Je commençais à craindre qu'il ne vous soit arrivé quelque chose.

Durant tout mon séjour, à l'exception des premiers jours avec de la pluie et du gel, j'ai bénéficié d'un temps extraordinaire, ensoleillé et presque chaud (20°). Depuis mon retour à Paris, il pleut en revanche continuellement mais ça n'a sans doute rien à voir avec ce qui s'est passé au Québec.

La météo change sensiblement sur l'Europe Centrale. Autrefois, l'hiver s'installait dès le 1er novembre avec de la neige et du froid. Aujourd'hui, il n'y a pas toujours de la neige à Noël à Moscou. Quant aux étés, ils sont souvent torrides.

Pour ce qui me concerne, j'ai bien conscience d'être privilégiée. Je ne manque pas de m'interroger là-dessus. Il y a sans doute une part d'injustice et de chance, je le reconnais. J'essaie parfois de me justifier : j'ai subi le système éprouvant des concours. Et puis, mes fonctions professionnelles réclament tout de même certaines compétences techniques et des nerfs solides. Tout le monde ne peut pas se substituer à moi au pied levé. [Je précise quand même que je n'ai pas 2 mois de congés dans l'année (j'ai pris deux fois un peu plus de 15 jours pour l'Iran et l'Ukraine)]. Mais je sais bien, au total, que mon destin pourrait être infiniment plus misérable : le Hasard dans la vie est quelque chose de fascinant.

La photo 23 que vous évoquez est celle de la synagogue (en cours de construction) du village Isaac Bashevis Singer que l'on est en train de recréer à Bilgoraj dans le Sud-Est de la Pologne. Ce sont des investisseurs privés qui ont décidé de rendre hommage au Prix Nobel 1978 de littérature en recréant l'environnement de sa ville natale. C'est un projet controversé (en raison de son aspect mercantile) dont la réalisation s'étalera plusieurs années. Je trouve néanmoins que certains des premiers bâtiments construits (tous en bois et dont la synagogue immense) sont très beaux.

Je vous conseille en effet de lire Olivier Rolin et Piketty. Chris Kraus, je l'ai acheté dès sa sortie mais je ne l'ai pas encore attaqué.

Je vous répondrai ultérieurement (faute de temps ce matin) sur les autres sujets que vous avez abordés.

Bien à vous,

Carmilla

Richard a dit…

Bonjour Carmilla !

Merci de votre sollicitude.

N'ayez crainte, il m'arrive toujours quelques chose.

Mais je tiens à vous rassurer.

Une jour il m'arrivera quelque chose de fatale.

En attendant, je regarde la neige tomber dans le silence.

Plénitude et ravissement total.

Nous l'avons eu notre 30cm de neige !

Je me sens intensément vivant........

Bonne fin de journée.

Richard St-Laurent

Carmilla Le Golem a dit…

Bonjour Richard,

L'essentiel, c'est en effet d'entretenir sa force de vie, de ne pas succomber à l'"à quoi bon ?", de percevoir le monde comme toujours nouveau.

Pour poursuivre mes propos d'hier, je souscris en effet à l'essentiel des propos de Pinker. Je crois à cette idée de progrès issue des Lumières: les choses n'étaient certainement pas mieux avant.

Il faut bien reconnaître cependant que la civilisation impose une répression accrue de nos instincts profonds et qu'il peut y avoir un brusque retour du "refoulé" et de la violence.

La bonté naturelle de l'homme n'existe pas. C'est la thèse de la psychanalyse et du... christianisme. Je sais que vous n'êtes pas très porté là-dessus mais peut-être pourriez-vous jeter un œil sur un recueil de textes de Sigmund Freud: "Anthropologie de la guerre". C'est paru en poche et ça regroupe: "Malaise dans la civilisation", "Considération actuelle sur la guerre et la mort" et "Pourquoi la guerre ? Lettre à Albert Einstein".

Même s'il croit au progrès, Freud a une vision très noire de l'homme. Il explique ainsi, dans ces textes, qu'il y a en nous des pulsions originaires qui nous portent au meurtre, au cannibalisme et à l'inceste. Quant au prochain, il n'est nullement objet d'amour mais tentation de "satisfaire contre lui sa propre agressivité,...de s'emparer de ses biens, de l'humilier, de le faire souffrir, de le martyriser, de le tuer".

La civilisation impose une répression à ces impulsions passionnelles. Mais il vient un moment où ça n'est plus supportable. Beaucoup d'hommes jugent intolérables les contraintes de la civilisation, ce qui conduit à la guerre et au déchaînement de la folie meurtrière. Il y a, pour certains, "le plaisir de la guerre", c'est une effrayante réalité.

Ce point de vue est peut-être contestable mais réfléchissons un peu. Que se passerait-il si l'on décrétait que tous les crimes commis un jour donné, le 1er décembre prochain par exemple, seront absous ? Pour ma part, je me dépêcherais d'aller m'enfermer dans un bunker.

Par ailleurs, je connais bien sûr les massacres qui ont eu lieu entre des groupes polonais et ukrainiens. Mais c'était dans un contexte effroyable et c'était attisé par les nazis puis par les soviétiques (dans le cadre du transfert des populations imposé par Staline après 1945).

C'était une époque de désespoir complet et ça n'était pas, à proprement parler, une guerre.

Je souligne par ailleurs que les Polonais, pas plus que les Ukrainiens, n'attendaient des Russes qu'ils les libèrent. Ils savaient bien que les Soviétiques, qui les avaient déjà agressés en 1939 en collaboration avec les Nazis, n'avaient pas d'autre intention que de les écraser, ce qu'ils ne se sont pas privés de faire.

Le gros problème, c'est que les Soviétiques, puis les Russes aujourd'hui, se sont attachés à recouvrir d'une chape de plomb ce passé tragique. On va célébrer l'an prochain le 75 ème anniversaire de la victoire. J'aimerais que ce soit l'occasion de rétablir certaines vérités. Les criminels soviétiques valent bien les criminels nazis.

Bien à vous,

Carmilla

Richard a dit…

Bonjour Carmilla

J'aime le blanc

Même si je n'en porte jamais

Toute cette neige blanche évoque en moi la paix.

Celle que l'on souhaite

comme celle que nous retenons par la manche.

Je me plais à penser

Toute cette blancheur pour moi.

Est-ce si loin de ce sujet de la violence que nous évoquons présentement ?

Cette paix c'est comme la démocratie, un chemin difficile et même pénible, qui nous appelle aux dépassements, aux remises en questions, et qui nous font tâter de la souffrance et de la déception. Pourtant, je ne vois pas d'autres chemins, d'autres solutions. Effectivement au niveau des statistiques Pinker à raison, plus il y a un état de droit fort, là où les conditions économiques, sanitaires et politiques s'accroissent et s'installent à demeure, moins il y a de violence. Ça se sont les chiffres. Mais, celui qui est victime de violence, lorsqu'il souffre, il n'a que faire des statistiques. Il est difficile de faire entendre raison à celui qui souffre. La souffrance n'a pas oreille et c'est encore pire lorsque l'irrésistible envie de vengeance s'empare de l'humain.

Peu importe ce qui arrivera. Qu'allons-nous faire de nos instincts, de nos pulsions, lorsque l'Histoire nous déconcertera avec des événements que nous n'aurons ni désirés, et peut-être même pas provoqués ? Sujet qui est élaboré dans : La fabrique des salauds, mais aussi largement étudier dans : La reconstruction des nations.

Je ne veux pas parraitre macabre, mais il y a un bout de texte dans : La reconstruction des nations qui m'apparaît important dont je vais transcrire à la page suivante.

Richard a dit…

« Une femme revenant chez elle trouva les hommes pendus à des arbres, la peau détachée des muscles, le cœur arracher de la poitrine. D'autres, hommes, femmes et enfants, gisant sur le sol, avaient été brûlés au point de devenir méconnaissables. Elle put identifier son jeune fils grâce au morceau de pain qu'elle avait mis dans sa poche plus tôt ce jour-là. À cet égard, il est frappant de constater que les survivants polonais de la terreur volhynienne et galicienne firent parfois dans leurs Mémoires des distinctions qui s'effacèrent ensuite quand leurs noms devinrent des nombres et leurs histoires de l’Histoire. Avec le temps, les souvenirs personnels inoubliables contribuèrent à l'oubli national. Prêter aux souvenirs individuels c'est discerner non seulement les éléments faux des mémoires nationales, mais aussi la souffrance collective qui rend les mythes nationaux inévitables. Même lorsque les victimes d'un nettoyage ethnique préservent un sentiment d'identité ambiguë, comme cela arrive parfois, ou ont des histoires nuancées à raconter, comme c'est souvent le cas, leurs récits sont invariablement réduits à leurs éléments les plus commun et les plus terrifiants dès l'instant qu'ils sont mis en circulation dans une société nationale. Adaptation et réécriture érodent et affinent.

Timothy Snyder

La reconstruction des nations

Page -324-

Richard a dit…

Il appert que nous n'aurons pas d'autres options que de vivre avec nos instincts, d'être conscient de ce que nous sommes, afin de regarder la réalité en face.

Oui, les hommes s'ennuient et ceux qui s'ennuient le plus aiment souvent faire la guerre, ce qui les changent de leur morne quotidien. Les sadiques ne manquent pas de se glisser dans la parade et même s'ils sont peu nombreux, ils contaminent tous le monde comme une patate pourrie dans un caveau de pommes de terre.

Je me demande souvent et surtout lorsque j'ai lu cet ouvrage de Snyder : Qu'est-ce que j'aurais fait dans des circonstances semblables ? Voilà qui est troublant.

Nous sommes tous interpellés.

Plus j'avance en âge, plus je prends conscience de notre nature profonde, de l'importance des gestes que nous posons, de la chance que nous avons de vivre dans cet heureux hasard qui m'a fait naître sur une terre paisible, dans une société de droit que nous critiquons souvent à tort, sans oublier que la politique, et bien, c'est nous tous, ce qui devrait nous inciter à la responsabilité.

Snyder décrit vers la fin de son ouvrage, le rapprochement des Ukrainiens et des Polonais dans les années 1990. Malgré leur lourd passé commun, il semblerait que ces deux peuples se sont rapprochés. Qu'est-ce que vous en pensez Carmilla ?

Ici le soleil s'éclate, la neige brille, par -13 degrés, une vraie belle journée d'hiver.

Bonne fin de journée Carmilla

Richard St-Laurent

Carmilla Le Golem a dit…

Merci Richard,

Pour faire simple, je dirai que la civilisation, la culture, ça repose aussi sur un processus de domestication de l'homme. C'est la thèse, peut-être contestable (cf les analyses de Marcel Gauchet), développée, sous des formes diverses, par Nietzsche,Freud et Michel Foucault.

La société démocratique, c'est donc aussi, sous certains aspects, une société disciplinaire. Elle s'appuie moins, selon les thèse de Foucault, sur le pouvoir d'un État centralisé que sur un pouvoir fragmenté (des micro-pouvoirs) avec des institutions propres: l'école, la Justice, les prisons, les hôpitaux... Je ne peux pas dire que je partage entièrement ce point de vue (je suis disciple des Lumières) mais il nous permet de réfléchir à la formidable banalisation, normalisation, de nos vies.

Dans cette perspective, la thèse de Pinker est, peut-être, exagérément optimiste. On peut constater, en effet, que la civilisation, la société démocratique, génèrent également frustration et révolte. La Paix perpétuelle n'est vraiment pas assurée parce que beaucoup d'hommes cherchent à se libérer des contraintes de la civilisation. La guerre est même inévitable selon Freud.

S'agissant de la Pologne et de l'Ukraine, j'ai déjà précisé (ce qui est généralement ignoré en Europe de l'Ouest) que l'Ukraine faisait très largement partie (jusqu'aux portes de Kiev) du territoire polonais jusqu'à la fin du 18 ème siècle. L'influence et l'attraction polonaises sont donc au moins aussi fortes que celles de la Russie. Ça se retrouve dans l'architecture des villes, la cuisine et même les langues. L'attraction polonaise est aujourd'hui encore plus vive parce que la Pologne représente l'Europe pour les Ukrainiens. Ils y émigrent aujourd'hui en masse parce que c'est un pays où ils s'adaptent sans difficultés. De plus, la Pologne distribue assez facilement (c'est peu connu) des "cartes de Polonais (Karta Polaka) en Ukraine. Au total, je ne pense vraiment pas qu'il y ait d'inimitié aujourd'hui entre Ukrainiens et Polonais. Au contraire même.

Ce sont, de toute manière, deux pays à l'Histoire profondément tragique. Dans le domaine de l'horreur subie, il est difficile de faire mieux. Les mentalités en sont définitivement façonnées. A l'inverse, il y a les pays qui ont exercé l'horreur et la terreur: la Russie, l'Allemagne. Ça établit tout de suite une ligne de démarcation.

Bien à vous,

Carmilla