samedi 30 novembre 2019

Honteux-Humiliés


On a tous vécu des expériences de honte-humiliation. Elles ont façonné durablement notre personnalité et on s'en est plus ou moins bien remis.


Étrangement, ce sont des événements que l'on n'évoque pratiquement jamais. On préfère entretenir un grand silence là-dessus. Et il n'y a pas non plus beaucoup de littérature consacrée à ça.


Pourtant, bien plus que des événements heureux, ce dont on se souvient le plus précisément et avec le plus d'intensité dans notre vie, ce sont des expériences de honte-humiliation.  Il s'agit même de souvenirs cuisants.

La honte et l'humiliation, c'est étroitement imbriqué. Disons que l'humiliation ne va pas sans la honte, elle en est l'affichage aveuglant aux yeux de tous, la spectacularisation.


Certes, il y a la honte et l'humiliation sociales dont on nous rebat les oreilles aujourd'hui. Tous ces gens, tous ces "écrivains" (Annie Ernault, Edouard Louis) qui se déclarent issus de classes défavorisées (ce qui est toujours relatif) et qui ruminent cela tout leur vie parce que ça excuserait leur ambition médiocre. Ça ne fait bien sûr pas de bonne littérature mais ça constitue du moins la forme légitime de l'expression de la honte.


Il y a aussi la honte-humiliation du mauvais élève, du cancre. Celle-ci est sans doute plus douloureuse, une  marque au fer rouge définitive, parce qu'on en porte malgré tout l'entière responsabilité.  J'ai heureusement échappé à cela mais, dans mes rêves les plus fréquents, je me vois obligée de repasser les examens que j'ai réussis mais, cette fois-ci, j'échoue lamentablement. Entre les bons et les mauvais élèves, s'établit tout de suite une effrayante ségrégation jamais condamnée tant elle apparaît normale, presque naturelle. Quelquefois aussi pourtant, se noue, entre le cancre et le fort en thèmes, une espèce de sympathie réciproque comme s'ils se sentaient tous deux porteurs d'une même révolte contre le système.


Mais il y a surtout, me semble-t-il, une honte-humiliation beaucoup plus profonde, constitutive, dès notre plus jeune âge, de notre identité. Elle touche à notre sphère la plus intime. Sa caractéristique, c'est qu'en soi, rien ne la justifie mais on l'éprouve quand même.  On se sent honteux et coupables alors qu'il n'y a pas de raison profonde. Et si on nous humilie, on se dit que c'était justifié et qu'il y avait une bonne raison à cela. De ce point de vue, le mouvement "Me-too" est sans doute une expression de cette honte-humiliation primaire, son retour du refoulé.


La honte et l'humiliation, elles concernent d'abord la construction de notre corps, son expression organique et sexuée. Je m'en suis ressouvenue cet été quand j'ai accueilli dans mon appartement un gros chat mâle. Il me regardait quand j'étais nue et puis il adorait se blottir contre moi la nuit. Je me suis sentie obscène, ça me troublait, comment me percevait-il ?


Il y a d'abord toutes mes excrétions. Faire pipi, caca, ça ne devrait concerner que les mecs, les jolies filles devraient en être dispensées. Je me souviens avoir fait pipi dans ma culotte à l'école. Depuis cette humiliation, je ne porte que de jolis dessous et ma hantise, c'est de les souiller. Pour ça, je suis une vraie musulmane, j'ai sans cesse besoin de laver mes fesses et je suis vraiment dégoûtée par les Occidentaux et leur papier. Pourquoi, d'ailleurs, les bidets disparaissent-ils et les douches, aux U.S.A., sont-elles fixes ? Les jeunes Japonaises font, paraît-il avec succès, commerce de leurs culottes non lavées. Est-ce que je serais capable de faire ça ?


Il y aussi la sudation. J'ai peur de puer, d'incommoder par ma mauvaise odeur. Je crois que je déteste en grande partie la chaleur parce que je transpire et que j'en ai honte. Du monde communiste, j'ai le souvenir des odeurs puissantes et infectes liées à la pauvreté et au manque d'hygiène.

Après viennent les règles. Il faut le dire, c'est une véritable humiliation. On se sent chamboulées, on a peur de laisser partout des traces de sang, on hésite à répondre à une invitation, à aller au cinéma, à prendre le train (c'est pour ça heureusement, je pense, que les fauteuils sont souvent rouges). Surtout, ça doit rester absolument secret, il faut que personne ne s'en rende compte.


S'enchaîne l'initiation à la vie sexuelle. On a d'abord honte de son apparence physique, on est convaincues d'être mal foutues, de manquer de seins, de ne pas avoir un beau cul. Mais on a tellement peur de passer pour une coincée qu'on cède facilement aux sollicitations. Après avoir un peu bu, on se laisse sauter par à peu près n'importe qui et on fait n'importe quoi. Le lendemain matin, c'est glauque. Et puis souvent, entre filles, on vit toutes l'humiliation de se faire, un jour, piquer son mec par sa copine. Curieusement, on vit toujours ça très mal, probablement plus mal que la même chose entre hommes.


Il faut ajouter que, quoi qu'en dise l'idéologie de la libération sexuelle et de sa félicité, on ne rigole pas tant que ça parce que la défloration, la sodomie, la fellation, c'est tout de même bien vécu comme une humiliation. On est sommées d'être sans tabous mais on nous demande surtout de pratiquer des figures imposées. L'orgasme obligatoire, ça aurait pour condition de se faire prendre par tous les trous, comme on dit si élégamment. Comme on tient à sa réputation de bon coup, on s'y plie mais c'est en maugréant contre l'ennui de ce scénario invariable de la performance.


Ensuite, il y a, je pense, l'humiliation de se faire mettre en cloque, de tomber enceinte, de devenir progressivement une grosse baleine qui affiche tristement sa liberté perdue et ne séduit plus personne.


Toutes ces humiliations primaires, ça se redouble bien sûr de multiples petites humiliations sociales. J'ai échappé à la honte et la souffrance (peut-être la plus profonde de toutes) de la fille moche mais, à l'inverse, j'étais submergée de  remarques et sollicitations obscènes que, le plus souvent, je ne comprenais pas. On se moquait aussi de mon nom imprononçable et de ma façon précieuse de parler (j'ai conservé ça dans toutes mes langues). Surtout, j'avais honte de mon apparence vestimentaire: ma mère s'obstinait à m'habiller comme une petite fille modèle russe, avec jupe, chemisier et tresses, alors que toutes les filles étaient en jeans, cheveux flottants et baskets. Et puis, j'ai subi l'humiliation de professeurs sadiques de danse et de piano qui n'avaient jamais eu d'élève aussi bouchée et pataude que moi.


C'est un parcours féminin bien sûr mais je crois qu'il a son exact pendant chez les mecs, peut-être en plus glauque et plus sinistre mais surtout avec une plus grande violence physique et verbale. Et puis, une fille suscite tout de même davantage la compassion et l'intérêt. Mais qu'en est-il du pauvre type dont tout le monde ricane, radicalement exclu de la compétition amoureuse ? Ou bien, il se laisse dériver dans une indifférence amorphe, ou bien il s'emplit de haine et de rage. Si les hommes sont plus violents que les femmes, s'ils deviennent des tueurs, c'est peut-être par esprit de vengeance.


Quoi qu'il en soit, hommes et femmes, parvenus à l'âge adulte, partagent un même sort face à l'humiliation. Dans la vie professionnelle, on se fait ainsi humilier par ses chefs, on accepte des tâches débiles, des réunions multiples et infinies, des horaires sans fin, des gratifications ridicules. Surtout, on accepte de jouer un rôle, d'être des acteurs, de s'habiller, de parler, d'écrire, d'analyser de manière conforme, de se lover dans le moule de la société dite "participative".

Enfin, l'humiliation, elle se poursuit dans la vieillesse avec la dégradation généralisée de notre corps et elle s'achève dans la mort,...ultime expérience d'humiliation.


Tout au long de notre vie, nous sommes ainsi façonnés par la honte et l'humiliation. Elles constituent la matrice cachée de notre personnalité. On voudrait donner de soi une image éthérée, immatérielle, mais cette belle construction a un envers: le sordide, l'obscène, l'inavouable, qu'elle s'efforce de refouler. J'en ai personnellement une conscience très forte et je sais aussi que si je m'attache à donner une image sophistiquée de moi-même, c'est à proportion des sentiments de honte et d'humiliation qui me parcourent. Le goût de la déchéance, du masochisme, en fait ça me travaille profondément, probablement comme un peu tout le monde.


Tout ça, c'est l'humiliation subie, celle dont on accepte, à l'extrême rigueur, de parler à quelques proches, les meilleurs copains et copines, quelques amants.

On subit, on est mortifiés, on est victimes.

Mais ce dont on ne parle absolument pas, ce que l'on n'aura jamais l'honnêteté de reconnaître, c'est que l'on participe nous-mêmes au mécanisme de l'humiliation et qu'on y prend grand plaisir.


L'humiliation est partout dans la société humaine; elle est la plus forte expression de la pulsion de mort exercée à l'encontre d'autrui. Mais il est clair qu'il n'y a pas d'un côté quelques monstrueux persécuteurs et de l'autre une masse immense d'innocentes victimes. 



Persécuter, participer à la persécution, on adore tous ça, on s'en délecte mais on ne veut pas l'avouer. C'est d'abord le monde des médias saturé d'images de vexations et d'abaissement. On adore se payer la tête des autres. D'abord les stars et les vedettes bien sûr: rien que des nuls et des pervers. Les stars, elles ne sont pas là en fait pour être admirées et faire rêver mais surtout pour être publiquement humiliées; ça nous met en joie quand elles sont traînées dans la boue, on prend un plaisir fou à les haïr par médias interposés: Michael Jackson, Kim Kardashian ou plus près de nous, Bernard Henri-Lévy, Michel Houellebecq. 


Les hommes politiques, c'est pareil. Peu importe leurs discours, on ne retient d'eux, de toute manière, que des anecdotes. De Cédric Villani par exemple, candidat à la Mairie de Paris et médaille Fields en mathématiques, ce qui est tout de même respectable, on a déjà dit que son araignée, il l'avait dans le cerveau, qu'il était un schizo, qu'il s'habillait comme un épouvantail, qu'il était un marginal complet et surtout qu'il n'y connaissait rien (même pas capable de citer les noms des joueurs du PSG); en bref, c'est un pauvre idiot et une médaille Fields, ça n'est pas grand chose. L'important, en fait, c'est qu'on puisse vomir sa haine sur les hommes politiques et qu'on puisse assister au spectacle de leur humiliation.
 


Avec nos proches, on n'est pas beaucoup plus indulgents. Notre patron, notre Directeur Général, on est à l'écoute des rumeurs les plus sordides le concernant, on va jusqu'à rêver qu'il se casse la gueule, que sa boîte coule et qu'il fasse de la prison pour escroquerie. Tout ça pour le plaisir de pouvoir dire "je vous l'avais bien dit" et tant pis si on perd nous-même notre boulot. Quant à nos copains, nos copines, il ne faut pas qu'ils la ramènent trop. On aime bien les voir se prendre une gamelle, économique ou sentimentale, qu'ils se retrouvent dans la dèche absolue au point d'implorer notre assistance.


Il faut le reconnaître: le fonctionnement social repose sur des rapports d'humiliation dont on est tour à tour victimes bien sûr mais aussi...acteurs. C'est bien noir évidemment et ça n'incite pas à croire en la naturelle bonté de l'homme et sa faculté d'empathie décrites par Jean-Jacques Rousseau.

Est-ce qu'on peut aller jusqu'à dire, cependant, qu'on n'est tous qu'une grande bande de sadiques, d'un côté, et de masochistes, de l'autre, qui s'auto-entretiennent les uns les autres dans un jeu infiniment réversible ? Est-ce que tout ça est complétement gratuit et mauvais ?


C'est troublant parce qu'il faut aussi constater que "je suis souvent plus humilié(e) que l'humilié(e) par l'intermédiaire de mon regard sur lui". C'est la honte du voyeur.

Et d'ailleurs, l'humiliation a aussi une fonction rédemptrice. Chaque femme le sait parce que cela est assez fréquent : après avoir été humiliée, on se sent étrangement calme, apaisée. S'exposer à l'humiliation, c'est aussi s'en libérer. Je sais que je vais faire hurler les féministes mais avoir parfois été maltraitée par des crapules, des voyous, des "types pas nets", m'a aussi rendue plus forte.


Le jeu terrible de l'humiliation aurait donc aussi une vertu pédagogique.

En fait, on ne peut pas imaginer une société sans humiliation parce que celle-ci fait partie du processus de civilisation. Elle est presque un rite de passage pour que nous nous débarrassions de notre "hubris", de notre orgueil.

La honte, l'humiliation, c'est en fait "un four par lequel passe l'âme humaine pour en ressortir polie, vernissée et durcie".

Images de Félix Labisse (1905-1982), peintre surréaliste. Il tombe progressivement dans l'oubli, c'est peut-être dommage.

J'imagine que ce post ne plaira pas à tout le monde. J'entretiens peut-être une certaine complaisance pour le "glauque" mais mon intention première, c'est de proposer un autre point de vue.

Sur la question de l'humiliation, il y a un livre incontournable paru en 2012 :

- Wayne Koestenbaum: "Humiliation"

On peut aussi se référer aux thèses de Georges Bataille (1897-1962) selon lesquelles la culture, la civilisation, ont pour envers incontournable, telle la belle fleur qui prend ses racines dans le fumier, l'obscène, l'inavouable, la nuit animale, sur lesquels elles se construisent et qu'elles refoulent.


10 commentaires:

Richard a dit…

Bonsoir Carmilla
L'humiliation ne se lave que dans la vengeance. Je ne l'ai jamais vu et vécu autrement. Pendant un siècle et demi, les Québécois a été éduqué dans l'humiliation, par des communautés religieuses de frères et de sœurs, qui étaient eux-mêmes humiliés par leurs supérieurs. Je déteste la soumission, c'est une atteinte à la liberté, et surtout la mienne qui m'est très chère. Je n'avais pas beaucoup de compassion pour ces religieux qui se soumettaient, cela me répugnait, autant que certains de mes camarades qui par manque d'ambition se sont retrouvés dans l'armée, un autre genre d'humiliation. Je me serais certainement fait la peau d'un sergent chef si j'avais été dans l'armée, mais ce fut plus délicieux, je me suis fait la peau du directeur adjoint du collège alors que j'étais étudiant. J'ai pris conscience assez rapidement que ces professeurs et ces religieux, malgré leur savoir, étaient des pauvres types à l'horizon bouché.
Ce directeur adjoint en faisait baver à tout le monde. La première fois que nous nous sommes détestés, c'était parce que nos regards s'étaient croisés. Et, quels regards ! Ça mérite un point d'exclamation. Il y a des gens comme cela, qui n'ont même pas besoin d'ouvrir la bouche, ils sentent que le type qui les regarde, c'est un ennemi. Nous étions des ennemis silencieux. Se sont les meilleurs ennemis. Comble de hasard, vers la fin de l'année, j'ai été élue président du conseil étudiant. Ce qui m'ouvrait la porte au comité conjoint composé des deux directeurs adjoints et d'un nombre égale de professeurs et d'étudiants de mon conseil. Notre mission c'était de réviser à chaque fin d'année scolaire le règlement de discipline de l'institution pour l'année suivante. Naturellement, j'avais mon conseil derrière moi, plus quelques professeurs, je savais que j'avais la majorité autour de la table. Notre but, changer quelques articles du règlement, qui je le savais, tenait à cœur au directeur adjoint. Le tout était présidé par le Principale de l'établissement qui supervisait ce directeur adjoint plus les professeurs. C'était le patron de la boîte si l'on peut dire, qui ne me portait pas nécessairement dans son cœur, mais je salue son honnêteté, il s'en est tenu à son rôle de président. Nous sommes sortis victorieux. Ce fut une soirée mémorable. Un grand exercice de démocratie que j'ai savouré avec délice. Conclusion de l'affaire, ce directeur adjoint a été mis à la retraite. Il n'humilierait plus personne. J'avoue que cela sent la vengeance à plein nez. L'humiliation n'est pas une obligation pas plus que la soumission. Ce fut la plus grande leçon que j'ai appris au collège, une leçon qui allait me servir la vie durant. La démocratie cela sert bien nos buts si nous pouvons nous servir diligemment de nos institutions. Effectivement l'humiliation ne se lave que dans la vengeance, mais il y a bien des manières d'exercer la vengeance pour laver l'affront.

Merci Carmilla, votre texte qui m'a rappelé une de mes expériences de ma vie, je ne pouvais irrésistiblement pas m'empêcher de la raconter.

Bonne nuit, que le vent vous porte.

Richard St-Laurent

Carmilla Le Golem a dit…

Merci Richard,

Votre témoignage est émouvant-intéressant.

Effectivement, au cours de notre vie, on fait de multiples expériences d'humiliation: sociales, institutionnelles, sexuelles, sentimentales.

Il y a en particulier une grande violence, non-dite et non reconnue, des institutions: l'école, l'hôpital, l'armée, l'administration. Et puis, il y a toutes les relations inter-individuelles (famille, voisins, amis, amants) souvent cruelles et effroyablement compliquées.

On en ressort souvent lessivés ou révoltés mais parfois aussi plus forts.

Ce qui m'étonne, c'est qu'on se souvient très bien de ces événements qui nous ont profondément marqués et qui sont souvent fondateurs. Cependant, quand on est amenés à parler de soi, on ne les évoque quasiment jamais, sauf à des amis très proches. C'est comme si on en avait honte ou comme si on considérait que les avanies subies étaient normales voire méritées.

Bien à vous,

Carmilla

Richard a dit…

Humilié et Offensé !

Bonsoir madame Carmilla.

Votre texte touche toutes les facettes de l'humiliation et de la honte qui en découle. Il est à lire et à relire. Il n'y a pas beaucoup de personnes que je connaisse, qui ont le courage d'en parler comme vous le faites.

Comment ne pas revenir à ce roman de Dostoïevski, Humilié et Offensé ? Lecture à revisiter.

Je demeure perplexe à chaque fois qu'on interroge des allemands ou des japonais sur leurs méfaits de la dernière Guerre mondiale. Est-ce qu'ils ont occulté leur honte ? Qui plus est, tous ceux qui sont accusés pour crimes contre l'humanité par les tribunaux internationaux présentement, semblent adopter la même indifférence. Je ne sens pas leur culpabilité, ni leur honte. Ils semblent complètement insensibles aux meurtres et aux massacres qu'ils ont commis. C'est comme s'ils avaient biffé une partie de leur existence.

Comment pardonner l'impardonnable ?

C'est une question qui me hante et dont je n'ai jamais trouvé de réponse.

Bonne nuit

Richard St-Laurent

Carmilla Le Golem a dit…

Merci Richard,

Je ne reçois, à vrai dire, pas que des messages flatteurs. On me juge souvent aussi complaisante et morbide. Mais peut-être se méprend-t-on sur ma démarche.

J'ai bien sûr pensé à Dostoïevsky pour le titre de mon post.

C'est vrai que je n'ai pas ici abordé la question trop vaste du bourreau et de sa victime. Ce qui me semble sûr, c'est qu'aucun lien ne s'établit entre eux. J'avais, de ce point de vue, jugé le film de Liliana Cavani, "Portier de nuit" avec Charlotte Rampling, assez répugnant.

Le bourreau me semble en effet d'abord indifférent. Il perçoit l'autre comme un objet. Mais cette "choséification" des humains ne devient-elle pas la caractéristique de nos sociétés ?

En Allemagne, au Japon, pour ce que j'en sais, c'est le déni, l'occultation. La présente génération estime ne pas être coupable des crimes de ses parents. Certes, mais elle a néanmoins, je pense, une obligation morale.

Bien à vous,

Carmilla

Richard a dit…

Humilié et offensé II

Bonjour Carmilla

Faire dans le morbide, le glauque, la déchéance et le masochisme, ce n'est pas donné à tout le monde. C'est un univers qui m'est complètement étranger. Labisse me laisse de marbre, il n'aurait aucune place dans ma tanière. La dernière image, a une odeur de fond de tonneau qui s'apparente au ku-klu-kan, seulement les personnages sont en noir, remplacez ce noir par le blanc... Déjà que je n'aime pas beaucoup les messes classiques, les messes noires, très peu pour moi merci. Tout cela dans le fond m'apparaît bien futile, mais je comprends votre point de vu. C'est tout simplement que je ne comprends pas ces choses, qu'elles me sont étrangères. Je dirais que se sont les messes noires des humiliés, qui s'humilient entre eux. Attention aux débordements, il y a toujours un populiste qui traîne dans les parages.

Devant l'humiliation et la haine qu'elle peut entraîner, je réponds présent. Moi aussi je veux comprendre pourquoi un être humain est pris dans les f aisseaux de la haine d'un autre personnage. Je ne peux pas accepter les violences des crapules et des voyous, parce que cette violence m'apparaît comme une injustice. Ces grandes gueules s'attaquent à plus faibles qu'eux.

Lundi dernier à Montréal, a eu lieux un de ces événements glauques, qui n'arrive jamais à Stoke ou à Wotton, mais qui se produit la plus part du temps dans les grandes villes. Un livreur circulait avec sa camionnette lentement sur une rue sans doute à la recherche d'une adresse. Une auto s'est arrêtée près de lui, et le conducteur à sorti son arme et l'a flingué pour finalement prendre la fuite. C'est à la fois morbide et glauque. Le jeune livreur, par chance, n'a été que blessé. Ce type qui a tiré n'est pas différent à mes yeux, de ces SS, qui envoyaient des personnes nues à la mort. Ils les dévêtaient pour les humilier, avant de les assassiner. Combien de populistes que je rencontre, qui ne rêvent que de porter les armes ?

J'irais encore plus loin, tout cet univers morbide touche notre état de droit ; auquel, selon vos propos, vous êtes attachée; mais, non seulement cela peut l'affecter, mais peut le liquider cet état. Je le considère comme une menace. Erich Fromm dans son ouvrage : La Passion de détruire, touche à l'aspect de ce sujet morbide de détruire et de provoquer de la souffrance. Il évoque que des fois, il faut utiliser la violence défensive. En un mot, il faut se défendre. Lorsque Sylviane Agacinski évoque la défense des plus faibles, des plus vulnérables, dans son ouvrage : L'homme désincarné, elle aussi évoque cet état de droit pour protéger les plus faibles.

Bonne fin de journée Carmilla

Richard St-Laurent

Anonyme a dit…

Bonsoir Carmilla,

Edouard Louis est un désastre que j’ai malheureusement du rencontrer. Il est pire en vrai que dans ses livres victimaires, ce qui n’est pas peu dire ; un malotru, mal élevé, sûr de lui. Tout ce que l’université génère de mauvais en termes de mandarinat et de médiocrité.

Je ne suis pas certain pour l’avoir vécu avec mon fils qu’on porte toujours l’entière responsabilité d’être un mauvais élève. On a bien sûr sa part de responsabilité, mais c’est un peu plus complexe. Quoi qu’il en soit, l’expérience, comme vous le dites, est douloureuse, parce que stigmatisante à un âge où on peut vite verser vers l’irréparable.

Il me semble que le sentiment de honte et la sensation d’humiliation dépendent de la part d’amour-propre, voire peut-être d’orgueil, que l’on décide de donner au monde. Je n’ai aucune difficulté avec mon corps, enfin je ne crois pas ou alors ce n’est pas entravant, mais je suis un mec. Je me suis éclaté dans des camps de naturistes et faire caca dans les bois en m’essuyant avec des feuilles de sycomore ne m’a jamais dérangé plus que cela (à condition de pouvoir me laver ensuite).

L’humiliation sentimentale c’est autre chose. C’est plus vif parce que ça interroge nos failles narcissiques et que, souvent, celui qui manipule la honte dans nos fragilités est un redoutable salopard. De ce point de vue, je suis d’accord avec Richard, on ne s’en sort que dans la guerre à outrance. C’est la seule condition à la restauration et au rétablissement de l’équilibre. Mais chacun n’est pas forcément armé pour mener une vengeance au long cours, surtout si elle est menée avec élégance, ce qui renverse alors l’humiliation en la déposant dans les mains merdeuses de celui qui croyait pouvoir nous baiser sans vaseline (désolé pour ces mots un peu crus).

Quant à la compétition amoureuse dont sont exclus les pauvres types qui vont alors nourrir une vie de haine, je crois que vous extrapolez. L’indifférence à la guerre sexuelle n’a rien d’amorphe. Elle peut même être perçue comme une forme de sublimation, ou à défaut comme une expression de vie en dignité. Les femmes gagneraient beaucoup en renonçant à l’idée qu’elles sont indispensables à certains hommes.

Bien à vous.

Alban

Richard a dit…

Bonjour monsieur Plessys

Les femmes gagneraient beaucoup en renonçant à l’idée qu’elles sont indispensables à certains hommes.

J'abonde dans votre sens de votre réflexion Alban

À retenir et à méditer.

Salutations distinguées

Richard St-Laurent

Richard a dit…

Bonjour Carmilla.

Ça y est, c'est parti, j'ai commencé la lecture de : Capital et idéologie.

Hier soir, j'ai traversé la longue introduction, 68 pages d'introduction, ce n'est pas rien et nous sommes loin du baratin conventionnel.

Seulement dans cette introduction, j'ai retenu plusieurs passages pertinents. J'y reviendrai. Je sens que nous allons avoir des échanges vifs et passionnants.

Piketty me semble un homme honnête, il ne coure vers la gloire, il tente tout simplement d'expliquer son point de vu, ce qui est bienvenue et rafraîchissant dans cette époque de masses médias omniprésents, mais vide de sens.

J'aime son réalisme parce qu'il s'attache au fait.

Il n'a que faire du spectacle.

Bonne fin de journée Carmilla

Richard St-Laurent

Carmilla Le Golem a dit…

Merci Richard,

J'espère en effet que mes propos n'emportent pas votre entière adhésion. Et je ne suis pas moi-même sûre de leur vérité. Mon objectif n'est pas le consensus mais l'interrogation.

Je pense toutefois, à rebours d'une vision angélique du monde, que l'humiliation fait bien partie des mécanismes sociaux de dressage ou d'éducation. On la subit souvent mais on en est aussi également les acteurs. Sans aller jusqu'à exercer une violence, est-ce qu'il ne nous arrive pas, simplement, de dire du mal de ses voisins, de ses amis, de recenser leurs défauts, de se moquer d'eux, de les traîner dans la boue ? On est moins sympathiques et bienveillants qu'on ne l'affirme et qu'on ne cherche à le paraître.

Si ça peut vous rassurer, je n'ai pas de goût particulier ou de complaisance pour le masochisme. Simplement, plus ou moins comme tout le monde, j'ai vécu, je l'avoue, de nombreuses expériences d'humiliation. Je ne me sens pas victime pour autant et ça m'a également éduquée, renforcée.

S'agissant de Félix Labisse, il a tout de même été l'une des figures importantes de la peinture surréaliste. Je reconnais qu'il apparaît aujourd'hui daté mais je ne crois pas qu'on puisse lui prêter de sombres penchants politiques.

Quant à Piketty, je ne sais pas s'il est honnête. Il porte également, comme nous tous, sa part d'ombre ainsi qu'en attestent ses démêlées judiciaires avec son ancienne compagne. Quant aux faits, on sait bien qu'ils sont manipulables, interprétables. On peut les adapter à une idée préalable.

Bien à vous,

Carmilla

Carmilla Le Golem a dit…

Merci Alban,

J'avoue qu'Edouard Louis est le genre de personnage que je fuis le plus vite possible. Brandissant son statut de victime, plein de haine mais aussi plein d'arrogance. Il exècre la société française mais elle lui a tout de même permis de faire des études universitaires. Un personnage qui serait anecdotique si on ne le considérait pas aujourd'hui comme un grand écrivain.

L'humiliation, vous avez raison, on y est sans doute plus ou moins sensibles. Et puis, ça s'estompe avec l'âge. Il y a également la vie professionnelle qui vous apprend à ne prêter guère attention à toutes les horreurs que l'on peut raconter sur vous.

Il n'empêche que ce sont des expériences cuisantes. Et vous avez encore raison de préciser qu'il ne s'agit pas seulement d'expériences corporelles et sexuelles mais aussi d'expériences symboliques et affectives. Combien de fois, ne se sent-on pas écrasés, psychologiquement, par l'autre, par sa morgue et sa suffisance ?

Quant à l'humiliation sentimentale, je suis en revanche radicalement opposée à la vengeance. Aussi odieux qu'il ait pu être, l'autre nous a malgré tout révélé quelque chose de nous-même, il nous a appris à mieux nous connaître. La vengeance, c'est alors le refus de se reconnaître dans sa complexité, ce qui est contre-productif.

Quant aux femmes qui se sentent indispensables aux hommes, je ne me sens pas du tout concernée. J'aime qu'on me fiche la paix et, en conséquence, j'essaie de fiche la paix aux autres.

Bien à vous,

Carmilla