samedi 15 février 2020

L'argent révolutionnaire


Il y a, en France, un véritable tabou concernant l'argent. C'est à tel point que c'en est gênant. Pas question de demander à quelqu'un, à brûle-pourpoint, combien il gagne et paie d'impôts ou comment il place ses économies. Ça apparaît presque obscène.

La règle est celle du silence et de la dissimulation.


Il est vrai aussi que les rancœurs et les jalousies sont exacerbées. La haine des riches et des élites est devenue florissante. Dans les entreprises, on déblatère sans cesse, collègues de bureau, syndicalistes, sur les chefs et leur train de vie supposé pharaonique. Vos voisins, ils observent votre voiture et votre mise.

Mieux vaut ne pas dire qu'on "a réussi" dans sa petite entreprise. On vous soupçonne alors d'immoralité, d'être égoïste, sans scrupules.


Curieusement, la seule richesse admise, la seule qui semble morale, c'est celle que l'on a héritée. Avoir du bien "de ses parents", surtout s'il s'agit d'immobilier et pas d'"actions", ne semble pas poser de problèmes.

Ça prouve qu'on n'est peut-être pas si égalitaires que ça et qu'on est encore très imprégnés de l'esprit "Ancien Régime". Je me dis souvent  qu'en France, les "petits marquis" continuent de pulluler, rêvant de vivre retirés dans leur gentilhommière, à l'écart du tumulte du monde mais bénéficiant d'une considération "naturelle".


Parce qu'il faut bien le dire : l'argent est sans doute haïssable. Un mauvais maître quand il devient seule finalité de l'existence. Une grande part de la littérature du 19 ème siècle (Balzac et Zola) est ainsi alimentée par la dénonciation de l'argent corrupteur.

Tout cela, c'est vrai mais il faut aussi avoir à l'esprit que l'ascension de l'argent, elle est finalement très récente. On peut la dater de la Révolution industrielle et de... la Révolution Française.


Avant, sous l'Ancien Régime, les choses étaient claires: votre naissance établissait votre place dans la société sans espoir d'en changer. Quant à l'argent, il était limité, il y avait peu d'échanges monétaires.

Après la Révolution, l'argent s'est répandu et est devenu un formidable moteur de bouleversement des classes sociales. Tout à coup, un "manant", un "domestique", "un employé", pouvaient, s'ils faisaient preuve d'audace et d'esprit d'entreprise, devenir, un jour, des puissants et considérer "les nobles" avec condescendance. Cette destruction de l'ordre ancien a sans doute été un énorme bouleversement psychologique dont on continue, je crois, d'éprouver les effets. Dans la haine des riches, il y a souvent la nostalgie d'un temps où les choses étaient fixes, légitimées par la naissance. Un riche, il manquerait forcément de bon goût, d'éducation, essaie-t-on de se justifier. Il n'aurait que des préoccupations bassement matérielles, il n'aurait, en un mot, aucune noblesse d'esprit. Être un parvenu, c'est ainsi, en Europe, la faute majeure, impossible à effacer.


Il faut avoir l'honnêteté de le reconnaître: il y a une puissance révolutionnaire de l'argent qui bouleverse les hiérarchies existantes. Qu'il génère des inégalités, qu'il soit le nouveau marqueur des classes sociales, sans doute ! Mais du moins ces inégalités sont-elles provisoires à la différence de celles liées à la naissance. L'argent est devenu cet aiguillon permanent d'une vie où, désormais, plus rien n'est fixe et où chacun se trouve exposé aux risques de la déchéance ou de la réussite. L'argent, grand moteur de l'histoire, des ses gloires et de ses fracas.

J'ajouterai même que l'argent est inséparable de la démocratie. Sans aller jusqu'à évoquer le Cambodge de Pol-Pot qui avait supprimé l'argent, on peut rappeler que la société soviétique était une société quasiment sans argent. La monnaie ne permettait d'à peu près rien acheter et personne ne voyait l'intérêt d'épargner. Mais finalement, il manquait surtout, en Union Soviétique, la puissance du rêve, cette puissance que pouvait concrétiser l'argent.


A titre personnel, je me suis souvent interrogée sur ma légitimité à gagner de l'argent en France. Est-ce que je ne devrais pas plutôt me contenter d'emplois modestes mais vertueux, dans l'enseignement, l'humanitaire, le social ? Me faire la plus humble, discrète, désintéressée, possible.

Et puis, je me suis rendu compte que l'argent, ça me permettait d'acquérir une identité sociale. Mon premier souci, ça a ainsi été d'acquérir un logement, de trouver un endroit qui pouvait me définir, où je pouvais me retrouver. Et puis aussi d'être débarrassée de l'angoisse d'être un jour sans abri.


C'est mon instinct propriétaire qui est peut-être aussi un instinct identitaire et l'expression d'une crainte de l'avenir. J'ai besoin d'un minimum de sécurité pour pouvoir me sentir moi-même.

De ce point de vue, je diffère de ceux qui dépensent sans compter, qui "craquent" ou "brûlent" de manière somptuaire tout ce qu'ils possèdent. C'est le joueur de Dostoïevsky ou bien la romancière Françoise Sagan. Dans cette folle consumation de leur richesse, il y a peut-être le refus d'assumer une identité stable, définie une fois pour toutes. Comme un négatif, cette attitude artiste, cette posture, me fascine, je l'avoue, même si je ne sens pas capable de l'emprunter.


Tableaux de Thomas Couture, Albrecht Dürer, Quentin Mettys, Marius Van Reymerswaele, Jérôme Bosch.

Dans le prolongement de ce post, outre "De la démocratie en Amérique" d'Alexis de Tocqueville, je recommande vivement  :

- "Les seigneurs de l'argent - Des Médicis au bitcoin " de Guillaume Maujean. Ça vient de sortir. Ce sont les portraits des grands financiers qui ont façonné l'histoire économique du monde. Ce n'est bien sûr pas le genre de bouquin que lira un disciple de Piketty, mais j'ai trouvé ça personnellement fascinant. Plein d'histoires extraordinaires portées par des types hors du commun et sans doute moins odieux qu'on ne l'imagine. C'est très facile à lire et ça peut être une bonne initiation à la Finance.

12 commentaires:

Richard a dit…

Pourquoi nous parlons plus de l'argent que de l'amour ?
Bonsoir Carmilla !
Il appert que si Carlos Ghosn avait été dépourvu autant en argent qu'en relation, il moisirait encore dans les geôles japonaises. Impossible de croire qu'il s'est envolé comme un petit oiseau innocent. Au passage est-ce que les japonais le laissèrent filer sans ramasser un petit pactole tout en s'enlevant une écharde du pied ? Parce que pour la justice japonaise c'était embarrassant. Pour sortir de ce genre d'impasse il faut plus que des moyens. Cette histoire rocambolesque, magnifique mélange de diplomatie secrète et d'argent, rend ce personnage vraiment intéressant. Qui a payé qui ? Combien ? Et qui sont les intervenants dans cette exfiltration ? On ne connaît quatre : Japon, Turquie, Liban, et La France, mais je présume qu'il y en à d'autres. Depuis, du Liban, Ghosn prépare sa vengeance. Ça promet pour la suite des opérations ; pourquoi pas en passant un repas avec Thomas Piketty ? Bien entendu, pas de dispute, on sépare les additions.
Combien il y a de ressortissants français qui croupissent dans des prisons au travers le monde et qui vont y demeurer parce qu'ils n'ont pas les moyens financiers, ni les réseaux solides ?
Comment ne pas parler d'égalité ou d'inégalité ?
Nous sommes là, atterrés, bavant d'envie devant les richesses de certains, pourtant ce n'est que de l'argent, argent dont ont dit souvent qu'il pourrait perdre toute sa valeur. On évoque souvent le fameux billets verts américains, parce qu'il y a beaucoup de transactions à travers le monde qui s'effectuent avec cette monnaie. Juste un exemple, le pétrole se transige en argent américain. Nous pouvions lire dans le journal La Presse cette semaine, que L'Euro éprouve certaine difficulté face au dollar américain.
Ici aussi, on ne parle que d'argent, de surplus budgétaires, de profits ; mais au cours de cette semaine nous avons beaucoup entendu parlé de la vente de feu chez Bombardier qui est criblé de dettes. Bombardier c'est un gros morceau non seulement au Québec, mais aussi au Canada. Tous ces magnifiques appareils vont être ramassés par Airbus. Et ce ne sont pas juste des avions, mais tout un savoir, on n'a qu'à penser à tous ces ingénieurs qui ont travaillé sur ces projets. Si les ingénieurs sont brillants, les administrateurs brillent par leurs incompétences.
Comme de quoi que l'argent ne peut pas tout acheter, même pas une seconde de vie de plus et encore moins de l'amour. On peut bien se payer une pute comme dans le récit : La Maison, mais cela est très éloigné de l'amour. C'est peut-être la raison pour laquelle nous parlons plus d'argent que d'amour !
Bonne nuit Carmilla et dormez bien tout en espérant que vos placements ne troublent pas votre sommeil.

Richard St-Laurent

Carmilla Le Golem a dit…

Merci Richard,

Je ne connais pas le dossier judiciaire Carlos Ghosn et serais bien en peine de dire s'il a ou non pratiqué l'abus de bien social. Je doute qu'il ait par ailleurs bénéficié de complicités autres que privées pour son évasion. Évasion que chacun de nous aurait tentée, je crois, placés dans la même situation que lui. Par ailleurs, je ne suis pas sûre qu'un quidam sans argent est généralement délaissé par les ambassades de France.

Libre à chacun de juger l'affaire Ghosn morale ou immorale. Ce qui est sûr, c'est que l'avenir de l'industrie automobile, avec la généralisation de l'électrique, est très sombre et qu'elle a besoin de grands stratèges pour échapper à l'écroulement.

Bombardier, oui, j'en ai entendu parler. 3 chiffres peuvent résumer la situation: un déficit 2019 de 1,5 milliard rapporté à un chiffre d'affaires de 15 milliards et une dette à long terme de 10 milliards. Il y a vraiment le feu ! C'est triste mais Bombardier est visiblement trop petit pour pouvoir supporter les investissements colossaux liés aux secteurs (aéronautique, ferroviaire)dans les quels il s'est engagé.

Quant à l'argent, on peut en effet dire qu'il ne s'agit que d'argent et que ça ne mérite pas le déchaînement de tant de passions. Mais il me semble tout de même que s'il a un tel pouvoir d'attraction, c'est parce qu'il permet d'espérer un changement complet de notre vie. Sortir de sa condition, c'est tout de même une aspiration humaine essentielle. Il a existé de nombreuses sociétés quasiment sans argent, c'était même une perspective marxiste, mais c'étaient des sociétés vouées à la désespérance.

Pour ce qui me concerne, je souhaite avant tout que l'argent ne soit pas un souci ou une préoccupation. Je recherche en fait une certaine tranquillité, je ne veux pas avoir à me demander comment je vais m'en sortir.

Bien à vous,

Carmilla

Richard a dit…

Bonjour madame Carmilla.

Je ne vois pas pourquoi on avait incarcéré Ghosn. Les accusations m'ont semblé futiles, voir ridicules. Abus de biens sociaux, abus de confiance aggravée, dissimulation de revenus. C'est quoi un abus de biens sociaux ? Un abus de confiance aggravée ? Puis une dissimulation de revenus ? Voyons, Ghosn avec ce qu'il manœuvre au niveau international, voir s'il va s'occuper de dissimuler des revenus, quand même il ne doit être le type à faire son rapport d'impôt. Il doit certainement avoir un ou deux comptables à son service.

En réalité Ghosn s'est fait piéger, ce dossier sent la jalousie, l'envie et la vengeance, ce qui rappelle le dossier de DSK. Peut-être, qu'il y aura quelques dirigeants de Nissan qui auront intérêt à ne pas quitter le Japon ! Le nationalisme japonais est chatouilleux de nature.

Ghosn a une excellente feuille de route, il a relevé plusieurs compagnies et lorsqu'il prend une décision il sait où s'en va. Du moins c'est ainsi qu'il m’apparaît. Les parties politiques en France auraient peut-être intérêt à regarder dans sa direction ?

Nous sommes ainsi nous les québécois, et je ne le dis pas cela de gaieté de cœur. On s'arrachent le cœur pour bâtir des entreprises, puis après on les liquide. Bombardier, c'est plus qu'une défaite économique, c'est une honte. Contrairement à plusieurs pays de par le monde, nous n'avons pas une section spécialisée dans l'armement. Là où c'est le cas, cela facile la recherche et le financement des appareils civils. À réfléchir... L'univers scientifique et celui de la finance, sont souvent étrangères l'un à l'autre.

L'argent pour sortir de sa condition, je veux bien ; par contre d'après ce que j'ai pu voir en fréquentant des personnes riches, il ne semble pas que l'argent soigne bien les névroses. Tu peux peut-être sortir de ta condition, mais sortir de sa névrose c'est autre chose.

Reste que dans un certains sens, j'ai fait la même chose que vous. Nos emplois en aviation de brousse étaient très précaires. La première paye que je recevais allait intégralement à la banque, toujours dans l'esprit que je pouvais perdre mon emploi dans la minute qui venait. Il fallait être prêt à lever le camp. Cela faisait parti de l'aventure et ce fut une grande aventure.
Ce sujet de l'argent est universel, ce qui ne manque pas d’intérêts. Je crois que cette discussion n'est pas terminée !

Bonne fin de journée Carmilla

Richard St-Laurent

Carmilla Le Golem a dit…

Merci Richard,

L'affaire Ghosn m'apparaît en effet étonnante même si je ne dispose guère d'éléments pour juger.

Carlos Ghosn n'est sûrement pas quelqu'un de très humain ni de très sympathique (ce sont, du moins, les rumeurs). Mais ce n'est pas ce qu'on demande à un chef d'entreprise et ça ne le rend pas automatiquement coupable. Quoi qu'il en soit, il s'est sûrement fait beaucoup d'ennemis en raison de son caractère impitoyable.

Qu'il ait pu se livrer à quelques montages financiers un peu ridicules à son profit, cela m'étonne aussi un peu. Le risque n'en valait pas la chandelle et cela pouvait être négocié en interne.

J'ai tendance à penser en effet que les Japonais ont cherché à le débarquer à un moment crucial de reconversion nécessaire de l'industrie automobile mondiale. Mais à vrai dire, comme presque tout le monde, je ne connais pas le dossier.

Cette affaire a du moins porté un éclairage inquiétant sur le fonctionnement du système judiciaire japonais. Avec une instruction à charge et un taux de condamnation proche de 99 %, il fait aussi bien qu'en Russie. Mieux vaut donc ne pas tomber entre leurs pattes.

Bien à vous,

Carmilla

PS : je répondrai ultérieurement à votre dernier message

Carmilla Le Golem a dit…

Merci Richard,

S'agissant de votre second message, je préciserai qu'effectivement, je n'aimerais pas du tout vivre au jour le jour, sans savoir de quoi le lendemain sera fait.

J'ai toujours eu l'angoisse du déclassement, de me retrouver à la rue. Qui m'aiderait alors si ce n'est moi-même ?

Avoir un travail, un emploi à peu près stable, c'est très important pour moi.

Quand j'ai pu obtenir cela, je me suis sentie tout de suite plus libre, plus sereine. C'est à partir de là, quand on a un havre de refuge, qu'on peut dire que l'argent n'a pas d'importance. C'est à partir de là qu'on peut choisir de pimenter sa vie d'un peu d'aventure et d'explorer le monde.

J'ai conscience que mes propos peuvent apparaître petit-bourgeois.

Bien à vous,

Carmilla

Carmilla Le Golem a dit…

Excusez-moi Richard,

Une erreur de manipulation m'a fait malencontreusement supprimer votre second message du 16/02 (auquel je viens de répondre).

Carmilla

Richard a dit…

Rebonjour Carmilla
L'identité stable demeure un combat de tous les instants. Certains comme vous en éprouvez un besoin viscéral. La vie semble impossible autrement. Personnellement, la vie m'a offerte les deux possibilités. Celle de la possession familial un vieux fond de terre. Élevé dans cette passion de la terre, de la possession et surtout de ne pas devoir rien à personne j'assumais mon identité. Mais cela ne me suffisait pas même si pour une partie de ma vie j'ai assumé cette manière de vivre. D'autre part mes années comme aviateur, (surtout dans le genre d'aviation que je pratiquais), dans une existence indéfinie, je me retrouvais à l'autre bout du spectre, mais toujours dans une passion incontournable. Ne posséder rien, ne pas savoir où je coucherai le soir venu, ignorant si demain j'aurais encore un emploi, tout en mesurant à ce vaste territoire du nord du Québec et ses conditions de météorologiques changeantes, j'éprouvais une grande liberté. Je ne dilapidais pas mon argent, je n'en n'avais pas le temps. Comme l'évoquait mon paternel : « Il lui aura fallu douze années pour revenir sur terre ». Je ne vivais que pour la vibration du frisson. Certes, j'ai accumulé quelques dollars, tout en dilapidant, vitesse grand V, ma vie. Je me grisais au quotidien. Puis un jour j'en ai eu assez, moi qui pensais n'en n'avoir jamais assez. Je suis revenu à la ferme que j'ai acheté. Je revenais à la stabilité de la terre, celle qu'on aime, qu'on cultive, mais je n'ai jamais oublié mes frissons de jadis. Je peux dire que je possède les deux identités. Lorsque le désir revient, que ça flotte étrangement, je charge le Jeep et je m'enfonce dans le nord. Il n'y a rien comme de planter sa tente près d'un lac, d'allumer un feu, de manger n'importe quoi, de rêver, parce que je reviens à la non-possession. Je peux vivre n'importe comment, autant dans l'abstinence que dans l'abondance. Voilà un beau privilège, celui de vivre en toutes circonstances, maintes expériences, dans l'incertitude de la vie, qui elle un jour ne manquera pas de nous quitter. J’appelle cela : faire la paix avec soi-même. De quoi manger, un abri, quelques vêtements chauds, une hache, du feu ; je peux me rendre loin avec tout cela, même si j'ignore ma destination. Ce matin, je viens encore une fois de m'éprouver, deux heures de marche en forêt, sans raquette, me fiant qu'après les -30 degrés des dernières nuits, la surface de neige serait solide, j'en ai bavé pour retrouver mes bidons de carburant caché sous la neige. En forêt, l'argent n'a plus de valeur, dans le bush tu ne peux compter que sur tes propres forces. Ce sont des sensations que j'aime. Ici tu peux gagner sur toi-même , mais tu peux tout perdre aussi. Carmilla, j'ai bien aimé la fin de votre texte, la différence c'est beau et grandiose.
Bonne nuit

Richard St-Laurent

Richard a dit…

Voilà je viens de vous renvoyer le texte que vous aviez perdu.

Richard

Richard a dit…

Bonjour Carmilla.
Au Québec, le mot « bourgeois », est très peu employé. Il n'a pas la même puissance évocatrice péjorative qu'en France ou en Belgique. C'est comme la droite ou la gauche que les québécois ont du mal à comprendre, ce qui n'est pas très significatif ici. La chanson, Les Bourgeois, composé par Brel n'aurait jamais pu être écrite au Québec. Nous n'avions pas ce genre de culture et d'imaginaire. Qui plus est, Brel était très provocateur pour écrire ce genre de texte. Je tiens cependant à vous rassurer, nous employons les mots, parvenus, arrivistes, et vernis, pour ceux qui vivent avec une petite cuillère en argent dans la bouche.

Certes, j'ai connu des personnes qui ne pouvaient pas sortir de chez elle sans quelques centaines de dollars dans leur poche. Il y a des personnes de cette nature particulière, qui pour vivre, doivent assurer leur sécurité. Ce n'est ni bien, ni mal, c'est ainsi. Nous sommes tous différents et se sont ces différences qui font la richesse de notre humanité.

C'est une chose que d'envier quelqu'un, s'en est une autre d'être la proie de l'envie. Facile d'envier, c'est plus difficile de s'apercevoir qu'on est la proie des envieux. C'est ce qui m'est arrivé de constater en parlant avec certaines personnes de mon village, alors que je racontais une de mes histoires. Lorsque l'expression ressort : « On sait bien toi Richard tu es chanceux, tu as vécu ». En écoutant leurs propos, je pense souvent : Ouais, si tu avais été dans mes bottes, tu ne serais pas rendu très loin et tu aurais sans doute été malheureux. Pourquoi envier ? Je préfère comme présentement, regarder cette jolie neige qui tombe pas -18 degrés, ça c'est du bon temps que d'avoir le temps pour des choses qui semblent inutiles, mais qui sur le fond sont essentielles.


Ce qui ressemblent à nos échanges, vous la femme du tout Paris, de la mode, des librairies qui débordent, de la culture qui semble inépuisable, de l'ouverture sur le monde ; et moi, le bouseux des fonds de campagnes, des bouts de routes qui ne débouchent nulle part, des grosses bottes de sécurité, des forêts incommensurables, et des livres que j'attends parfois pendant des mois. Tout cela est très bien, et ça rend nos échanges intéressants, parce que nous sommes différents, ce qui nous permet d'autres ouvertures sur le monde.

Je dirais comme le Père Gédéon de La Beauce : « Sais-tu Richard, l'argent c'est inspirant ».
Bonne fin de journée Carmilla

Richard St-Laurent

P.S. Le Père Gédéon est un personnage fictif de l’humoriste québécois Doris Lussier.

Carmilla Le Golem a dit…

Merci Richard,

Je ne m'intéresse pas aux généalogies mais je crois que nous sommes tous, à 99 %, des bouseux ou originaires de bouseux.

Qu'est-ce qui est le plus formateur dans la vie ? Les lumières de la ville ou la mélancolie de la campagne ? Un écrivain que j'aime beaucoup, Nicolas Gogol, a répondu à sa manière en écrivant d'une part: "Les nouvelles de Petersburg" et d'autre part "Les âmes mortes" ou "les soirées du hameau".

Je crois, en effet, que l'on a en Amérique du Nord un rapport plus décomplexé à l'argent. Tocqueville soulignait que l'esprit démocratique était devenu le moteur de l'Histoire. Mais il exprimait également une crainte: que la passion égalitaire ne se fige en jalousie puis en haine. C'est une grave menace qui explique le populisme renaissant.

Bien à vous,

Carmilla

Richard a dit…

Qu'est-ce qui est le plus formateur dans la vie ? Les lumières de la ville ou la mélancolie de la campagne ?

Bonjour Carmilla !
Voilà de belles questions intéressantes. Naturellement, je penche vers les bouseux dont la mélancolie inexistante nous renvoie à la joie de vivre, aux moqueries, à la débrouillardise, à l'imaginaire. La campagne comme la forêt sont des endroits très formateurs, et je pense souvent que je ne serais pas ce que je suis devenu si je n'avais pas vécu à la campagne.
Par contre, j'aime les lumières de la ville dans le lointain, celles qui nous indiquent qu'on rentre au port, que la journée s'est bien déroulée, que notre assiette débordera de nourriture sur la table, le tout dans la chaleur des grandes gueules qui rouspètent, qui s'apostrophent, au travers des taquineries et des rires sonores.
Les lumières de la ville me pèsent, lorsqu'elle ne retient, que je suis incapable de de m'évader, qu'elles me masquent les étoiles au cœur de la nuit, qu'elles me refusent comme si je ne faisais pas parti des humains.
Je suis un bouseux et j'en suis fier. Pourquoi ? Parce que nous touchons à tout, autant la mécanique que le travail du bois, la biologie des animaux, nous sommes capables de réchauffer, de soigner, de réparer, de construire, puis nous passons à autre chose que nous n'avons jamais touché. Aujourd'hui, je constate que le métier de cultivateur, de bûcheron, ne sont pas très éloignés du pilotage de brousse. Ce qui requière de la débrouillardise et de l'imagination, de l'audace. Dans ces états, je me sens particulièrement bien.
J'ai toujours remarqué que je passais en ville, que je ne m'y suis jamais établi, que je n'y ai jamais vécu, que je ne m'y suis jamais reconnu. La ville n'a jamais été mon univers.
Lorsque vous avez évoqué Gogol, j'ai mis du temps à me rappeler ce que j'avais lu de cet auteur. Ma connaissance de Gogol, se résume à un seul ouvrage : Tarass Boulba. Ce qui est étrange lorsque j'ouvre des livres des auteurs Russes du XIX siècle, cela me touche parce que ça ressemble à la campagne du Québec et du Canada. Ouvrir un livre de Tolstoï c'est comme entré chez moi. Qui plus est, Tolstoï ressemblait à un vieux conteur du coin dont j'étais apparenté : Frédérique St-Laurent. Il n'a jamais écrit une ligne, mais s'il se mettait à raconter une histoire pendant un repas, les assiettes avaient le temps de refroidir. Vous avez raison Carmilla, le sujet de l'argent, c'est révolutionnaire et ça peut nous conduire hors des sentiers battus.
Sous le soleil, par -17 degrés, bonne fin de journée Carmilla.
Richard St-Laurent

Carmilla Le Golem a dit…

Tarass Boulba, c'est peut-être le bouquin de Gogol dont je ne raffole pas.

Folio vient d'éditer (pour 2 €) "Deux nouvelles de Pétersbourg". C'est une très bonne introduction à Gogol, à compléter par "Les âmes mortes".

Bien à vous,

Carmilla