samedi 26 septembre 2020

Féminité, félicité

 

Le triomphe de l'esprit victimaire et les jérémiades continuelles en viennent à occulter cette réalité première : quoi qu'on en dise ( et tant pis si je risque de me faire assassiner pour oser dire ça), c'est quand même mieux d'être née femme. C'est généralement plus agréable et d'ailleurs beaucoup d'hommes rêvent d'être des femmes. Mais des femmes qui rêvent d'être des hommes (des transsexuelles "F to M"), c'est rarissime.


 L'avantage principal, ce n'est même pas une espérance de vie plus importante (6 ans tout de même dans presque tous les pays), c'est d'être le point de focalisation des désirs et de l'attention. On en retire un pouvoir exorbitant, un pouvoir essentiellement issu du corps et de son expression. Le pouvoir, la puissance féminine, c'est un thème curieusement occulté tellement on s'obstine à voir dans les femmes de pauvres petites créatures sans défense. C'est pourtant à cause de ça que je me sens des ailes de vampire. C'est le désir des autres qui, tout à coup, nous fait exister plus fort. Nier cette réalité, c'est se condamner à une vie grise et morne.

Je commencerai par quelques éléments très triviaux que personne, à commencer par les féministes, n'ose évoquer. Moi, j'aime bien quand on m'aide à passer mon manteau (cette règle de politesse des pays du Nord quasi-inconnue en France). La politesse, d'une manière générale, depuis les portes qu'on retient et jusqu'au baise-main (qui est encore couramment pratiqué en Pologne), ça ne me déplaît pas. Quand je mets une nouvelle robe ou étrenne un  manteau, je me sens mortifiée si je ne reçois aucun compliment. Ce que j'aime aussi, c'est que quand je me rends dans un café, un restaurant, je n'attends pas, les serveurs se précipitent, on me sert tout de suite. Ou alors, quand je dépose ma voiture ou sollicite un quelconque service, on se décarcasse et on consacre du temps à tout m'expliquer.(du moins si j'ai affaire à des hommes). J'irai plus loin : si je m'ennuie parfois, je n'ai pas beaucoup d'efforts à faire pour combler ma solitude, je n'ai qu'à puiser dans la meute de tous ceux qui n'attendent que de me sauter dessus. Je n'ai jamais à m'épuiser en recherches, il me suffit même de m'asseoir sur un banc du Parc Monceau. Ce sont plutôt des crétins qui m'abordent mais pas toujours. Et enfin scandale absolu : j'oserais même dire qu'être une fille m'a sans doute valu quelques points supplémentaires dans les épreuves orales des concours.

Il y a en revanche, une règle personnelle avec la quelle je ne transige pas : c'est toujours moi qui paie, non seulement ma part propre mais aussi, si possible, celle de l'autre.  Ce n'est même pas de la relation débiteur-créancier, l'équilibre bourgeois des bons comptes qui feraient de bons amis, c'est plutôt du "potlach", du défi, et ça change tout dans l'esquisse d'une relation. Il est certes plus facile de se soumettre que de dominer mais je suis convaincue que le Pouvoir doit  être exercé sinon il vous fait basculer dans la faiblesse et la sujétion.

Certes, dans l'espace public, on me siffle, on m'insulte, on me pelote aussi. Mais j'ai le cuir épais. Je me dis que ma vie est malgré tout plus facile. L'embêtant dans la condition féminine, c'est surtout les règles et les mammographies (mais ça vaut peut-être mieux que les problèmes de prostate). Et puis je crois qu'il faut surtout échapper aux pièges de la conjugalité, du couple installé. Rien de plus anti-rêve, et donc de plus anti-féminin, que des gosses. Rien non plus, de plus abrutissant, normalisateur. On y perd tout esprit d'entreprise et de séduction.

T'es vraiment une pov'connasse, vous allez me dire. Tu vois pas que tu reproduis, en t'y conformant, tous les schémas de la domination masculine. Tu ne te rends pas compte que tous les "égards" dont tu crois aujourd'hui bénéficier, ils disparaîtront dès que tu seras une vieille peau. T'as une vision ultra-stéréotypée des relations entre les sexes.

Sans doute mais je crois à la "différence", à celle des sexes en particulier. Je veux d'ailleurs bien admettre que cette différence est avant tout "symbolique", qu'elle n'est pas fondée en "nature", par l'anatomie, mais ça ne change rien au problème. Je vois surtout, en effet, dans "l'indifférence" que l'on prône aujourd'hui, les filles qui seraient comme des garçons et inversement, une violence encore plus grande, un véritable retour de la barbarie.

 Et puis, j'éprouve aussi une certaine compassion pour les types. J'ai l'impression que, dans leur majorité, ils souffrent d'une immense frustration. Une humeur sombre aujourd'hui les submerge. Parce que, quoi qu'on dise, on ne vit pas dans une société de la libération sexuelle mais dans une société de la compétition sexuelle. Et la compétition sexuelle, elle est aussi impitoyable que la compétition économique. C'est un nouveau monde, très cruel, au sein duquel il y en a quelques-uns qui s'en sortent (bien voire très bien), mais dont l'immense majorité est exclue, complétement hors-jeu.

Un type, on ne le regarde pas, à peu près tout le monde s'en fiche. S'il est beau, ce n'est même pas un atout, c'est éventuellement un handicap. Innombrables sont les hommes "transparents", les hommes "sans qualités", tellement gris qu'ils sont exclus de la compétition sexuelle.

 Être transparent, jamais remarqué, regardé, au contraire moqué, ridiculisé; bien comprendre qu'on n'est pas dans la même catégorie et qu'on n'aura jamais accès au "marché" des jolis filles, ça doit être terrible. C'est peut-être à cause de ça qu'on devient, un jour, un tueur, un agresseur.

 Je crois qu'aucune femme ne souffre d'un pareil rejet. Chacune, même la plus moche, parvient à se "modeler" sur le regard des autres, à y trouver un point d'appui dans le quel elle puise son assurance. Que les femmes soient narcissiques, c'est évident. Afficher sa séduction, même de façon presque imperceptible, c'est gratifiant. A la différence des hommes, l'accès au désir se fait presque sans tuteur, sans médiation. De sa propre apparence, on retire plaisir et réconfort. Une jolie coiffure, un maquillage réussi, une belle paire de pompes, ça vous remonte souvent largement le moral. A la limite, un partenaire se révèle presque inutile. A quoi bon d'ailleurs les hommes, leurs embêtements et leur terreur, si ce n'est pour enfanter ? C'est ce qui rend sans doute les femmes plus confiantes et plus heureuses et c'est ce qui explique, surtout, qu'elles se suffisent davantage à elles-mêmes.

 Les femmes vivent finalement moins dans l'angoisse et la culpabilité. J'ai pu comprendre ça à la suite de la lecture d'un petit texte de Lou Andreas Salomé : " Ce qui découle du fait que ce n'est pas la femme qui a tué le père". Pour s'affirmer en société, les hommes sont en effet soumis à l'exigence de tuer leur père (la société repose sur un meurtre commis en commun, dit Freud) pour incarner à leur tour la Loi, l'ordre et sa violence légitime.

 De cet impératif exorbitant, les femmes sont largement exemptées. Elles n'ont pas besoin d'assassiner leur mère pour pouvoir désirer un homme. Leur accès au père, mais aussi à la mère, est moins "barré", proscrit. Ce qui explique non seulement qu'elles soient moins violentes, moins criminelles, mais aussi que leur sexualité soit plus polymorphe, moins attachée à des normes, des stéréotypes. La sexualité féminine, c'est une exploration en toute "innocence", sans discrimination aucune, non seulement de son corps narcissique propre mais aussi de celui de tous les hommes (jeunes ou vieux, moches ou beaux) et même de toutes les femmes. Les femmes sont, au total, moins soumises aux interdits de la société et à ses idéaux normalisateurs d'accomplissement. L'allégement du sentiment de culpabilité, c'est la recette du bonheur d'être une femme et même du bonheur tout court.

Images de la jeune photographe russe Anka Zhuravleva

Des contraintes professionnelles m'ont conduit à différer mes congés. Ça devrait quand même pouvoir débuter à la fin de la semaine prochaine.

12 commentaires:

KOGAN a dit…

Bonjour Carmilla

"Les femmes se suffisent à elles-mêmes " cela se vérifie bien, partout, à notre époque, pour les hommes c'est peut-être plus dur ou quasiment impossible .Les femmes ont la main, définitivement, et dire que le premier sabotage de la création a été généré par une histoire de côte... et qu'aujourd'hui beaucoup d'hommes se retrouvent sur ...le flanc! face aux femmes. :-)
Bien à vous.
Jeff

Carmilla Le Golem a dit…

Merci Jeff,

Je constate que vous demeurez un lecteur fidèle et que vous n'avez pas perdu votre humour.

Je crois qu'il est bon, en effet, de renverser quelquefois les perspectives. L'esprit pleurnichard, victimaire et vengeur, ça devient exaspérant.

Bien à vous,

Carmilla

KOGAN a dit…

Bonjour Carmilla
Merci oui je lis tous vos posts mais je n'y réponds pas à tous...que dire de plus?
Pour mon humour qui bien souvent n'est pas apprécié, j'aurai tendance à dériver vers le mode sarcastique dont je suis le premier à en rire, mais en y faisant bien attention. En effet, être sarcastique c'est dire le contraire de ce que l'on pense, sans montrer qu'on pense le contraire de ce que l'on dit, et qui trahit la tendance au culte de soi et à la haine de l'autre, suivant la définition.
Et comme vous le dites, en ces temps de pleurnichages en tous genres et de tous bords , on aurait envie et tendance à tirer dans le tas.:-)image...image...
Bon dimanche à vous
BAV
Jeff

Carmilla Le Golem a dit…

Merci Jeff,

Être sarcastique,i.e. dire le contraire de ce que l'on pense sans montrer qu'on pense le contraire, c'est assez subtil.

Ça entre en résonance avec le nouveau livre de Barbara Cassin : "Le bonheur, sa dent douce à la mort" que je vous recommande vivement. Elle plaide notamment pour le mensonge. Il faut savoir mentir en faisant en sorte que l'autre comprenne que l'on ment mais aussi que l'on demeure en connivence avec lui. C'est différent mais cela relève du même esprit.

Bien à vous,

Carmilla

Nuages a dit…

Dans le même ordre d'idée, il y a ce que j'appellerais le "troisième degré". On dit quelque chose de provocant et de politiquement incorrect, de telle manière que cela passe pour du second degré, alors qu'on le pense réellement.

Evidemment, si on pousse ça encore plus loin, personne n'y comprend plus rien.

Thierry Mattart a dit…

L'homme est comme un coquillage et la femme est comme une perle.
Il n'y a aucune égalité entre un coquillage et une perle.
Mais un coquillage sans perle n'a aucune valeur. Et une perle ne peut pas exister sans coquillage.

Carmilla Le Golem a dit…

Merci Nuages,

Effectivement, ça devient alors effroyablement compliqué. Mais c'est vrai aussi qu'on n'attache de prix qu'à l'univocité des propos alors qu'on sait bien que dans toute conversation, il y a plein de sous-entendus que votre interlocuteur saura généralement décrypter. Dire toujours la stricte vérité (est-ce que ça existe d'ailleurs ?), ça peut aussi être destructeur. Il faut sans doute aussi savoir mentir en certaines circonstances.

Bien à vous,

Carmilla

Carmilla Le Golem a dit…

Grand merci Thierry pour cette comparaison poétique.

Mais il ne faut peut-être pas non plus survaloriser les femmes. Je ne sais pas si ce sont des "êtres précieux".

Bien à vous,

Carmilla

Alban Plessys a dit…

Bonjour Carmilla,

je peux apporter le témoignage, à partir des personnes que je fréquente régulièrement, que les hommes ne souffrent pas des problèmes que vous évoquez. Ils n'ont pas besoin de tuer leur père, même psychanalytiquement, et s'en porte généralement bien. De même, ils se savent en tant qu'homme, avec leur énergie masculine si particulière, dont ils parlent peu, et ne se posent jamais la question de savoir si ce serait mieux d'être une fille. Ce n'est pas une question.

Ils savent aussi que les grandes questions du désir, de la séduction qui conduit à la compétition sexuelle, sont des questions intimement féminines auxquelles, soit ils ne participent pas, soit ils le font par courtoisie ou par excitation provisoire. Et, pour certains d'entre eux, il pourrait même en être de même de l'amour.

Ils font leur jardin, boivent des bières en mangeant des frites, lisent, se baladent, construisent un environnement où ils pourront se retrouver seuls avec eux-mêmes, chaque jour, après avoir fait ce qu'il y avait à faire avec les autres, sourient aussi avec tolérance aux grands mouvements du monde chez les femmes. Il en est ainsi du féminisme, de la féminité, de la sororité, qui ne les concerne pas vraiment, sauf par courtoisie, s'ils sont honnêtes.

Pour conclure, les hommes sont assez bien dans leurs pompes et satisfaits d'eux-mêmes, je trouve.

Bien à vous.

Alban

Carmilla Le Golem a dit…

Merci Alban,

Je prends bonne note de vos intéressantes remarques qui corrigent sérieusement mon point de vue.

Je ne les contesterai pas bien sûr et je veux bien admettre que les hommes sont assez bien dans leurs pompes. Il y a quand même toute une littérature de la désespérance masculine, dont Michel Houellebecq est le dernier représentant, qui n'est pas très gaie.

Il semble également que les hommes soient plus angoissés, anxieux, que les femmes, ce qui explique qu'ils adoptent davantage des comportements à risques (addictions, violences). Le père, ce n'est pas seulement l'individu concret mais c'est aussi la Loi, les interdits et les exigences sociales qui pèsent davantage sur les hommes.

Mais au total, on se rejoint sur un point : l'appréhension de la vie n'est pas la même chez les hommes et chez les femmes et cela ne relève pas de la simple construction culturelle. Quant aux questions du désir et de la séduction, je pense quand même que les hommes s'y intéressent plus que vous ne l'affirmez: vous forcez un peu le trait dans votre commentaire.

Bien à vous,

Carmilla

Alban Plessys a dit…

Bonjour Carmilla,

oui, évidemment, je force un peu le trait, tout comme vous.

Je voulais juste rendre témoignage du fait - parce que c'en est un - que, pour de très nombreux hommes, vivre n'est pas une anxiété et que cela peut même confiner au bonheur d'être, tout simplement. Aussi, je n'ai évidemment pas la prétention de pouvoir corriger des points de vue différents.

Les figures masculines sont aussi variées que les figures féminines et la littérature de Houellebecq ne peut pas correspondre à une représentation des hommes en général parce qu'elle est impossible. Il exprime, comme d'autres, une misanthropie associée à une peur systématique de perdre, de ne pas être aimé, d'être dominé, qui nourrissent sa propre désespérance.

S'agissant des figures du père, celles-ci ont profondément évolué depuis quarante ans et évolueront encore, pour le meilleur et pour le pire. Le rapport à l'autorité et à la Loi ne sont plus exclusivement patriciaux. Faut-il rappeler que, depuis de nombreuses années, et de façon archétypale, plus de 80% des lauréats du concours externe de la magistrature sont des femmes (on pourrait multiplier les exemples de ce surgissement des femmes dans les postures de l'autorité). Par ailleurs, je ne crois pas sérieusement que les femmes, d'expérience, soient moins violentes ou toxicomaniaques que les hommes. L'expression de la violence est distincte, plus feutrée et parfois indicible, mais elle est bien présente. De même, les produits sont différents, les hommes étant davantage alcooliques que sous benzodiazépine ou anxiolytiques que les femmes. Il me semble.

Soyez assurée enfin que, pour la plupart d'entre nous, nous ne posons pas question en termes d'identité, ou très rarement. Je ne m'interroge pas, en sortant la douche, sur le fait d'être un homme, d'être blanc, d'être en phase d'andropause. Ce ne sont pas des questions. Je me rase, m'habille et pars au boulot. Et, sur ce terrain identitaire, je pense au contraire que les femmes sont davantage "au charbon" que les hommes.

Bien à vous.

Alban

Carmilla Le Golem a dit…

Merci Alban,

Je vous comprends. Je précisais que la destinée des femmes ne se confondait pas avec le malheur absolu. Vous estimez que ce n'est pas non plus le cas pour les hommes.

Il me semble quand même que subsiste en chacun de nous une angoisse irréductible, celle que Freud désignait comme "malaise dans la civilisation": les exigences de la vie sociale imposent une répression accrue à nos impulsions premières. C'est potentiellement explosif.

J'admets également qu'on ne se pose pas continuellement la question de son genre mais j'estime toutefois que le désir structure profondément notre vie.

L'ascension professionnelle des femmes est effectivement en train de modifier les rapports de pouvoir et je veux bien admettre que les femmes peuvent se montrer pareillement impitoyables en la matière. Elles peuvent même être sans limites, à la différence des hommes.

Bien à vous,

Carmilla