samedi 31 juillet 2021

Jalousie

 

Le matin, de bonne heure (vers 5/6 heures), j'aime écouter la radio.

Ça me donne d'abord  l'impression d'avoir un temps d'avance sur tous ceux qui flemmardent sous leur couette.

Et puis, je crois qu'à ces heures là, on ne diffuse pas les mêmes musiques, les mêmes reportages. C'est beaucoup moins formaté, on nous sert autre chose que la soupe tiède des idées reçues.

J'entendais ainsi, récemment, Amélie Nothomb parler de la jalousie. Amélie Nothomb, je ne raffole pas de ses bouquins, mais j'aime bien le personnage et elle fait souvent mouche dans ses propos.

Elle osait évoquer ici, ô scandale, les mères qui sont souvent jalouses de leurs enfants et particulièrement de leur fille et cette universelle jalousie qui structure la presque totalité des relations d'amour/haine entre les humains. Elle concluait : "Je crois que j'ai personnellement été jalouse, une fois, pendant une semaine, dans ma vie".


 Exactement comme moi, me suis-je dit tout de suite. La jalousie, dès que j'ai senti poindre ça en moi, je me suis dit : "Tu arrêtes tout de suite avec ces conneries là, tu es au-dessus de ça, ce n'est pas toi !". Rien de plus mortifère pour moi que la jalousie. C'est se flinguer, s'aliéner complétement.

Pourtant rien de plus universel et de plus dévorant que cette affreuse passion. Proust disait même que ça expliquait à 95 % la relation amoureuse.

Par quelle heureuse chance en suis-je donc à peu près exemptée ? Je ne crois pas d'abord que ma mère m'ait jamais jalousée. Elle s'excusait plutôt des conditions de vie qu'elle nous offrait.

 Surtout, je crois que j'ai vécu peu d'humiliations. Je n'ai pas eu à subir la souffrance de la mauvaise élève ou celle de la "fille moche". A l'école, on n'osait, ainsi, pas trop s'attaquer à moi mais je conserve quand même de cette période des souvenirs marquants : si je n'aime pas trop, aujourd'hui, les enfants et les adolescents, c'est parce que j'ai découvert qu'ils étaient souvent d'effroyables crapules adorant choisir des boucs-émissaires. 

 J'ai échappé à ça et j'ai ainsi pu conquérir confiance en moi. Je suis même devenue plutôt pimbêche et un rien hautaine, au-dessus de la mêlée. Mais aujourd'hui encore, je ne cesse de m'interroger. Quel aurait été mon destin si j'avais été cancre ou moche ? Ma sœur était très belle mais une cancre  et je pense que c'est sa confrontation avec moi qui l'a détruite. Ça explique que j'éprouve toujours une sorte de compassion pour les cancres et les moches et je suis reconnaissante au Destin de m'avoir épargné ces malédictions.

Parce que finalement, la jalousie, cette passion triste qui peut aller jusqu'au meurtre, a des ressorts profondément sociaux. Elle est directement issue des valeurs que nous promouvons sans jamais oser l'avouer : la réussite sociale et la beauté physique.


 A cet égard, j'ai donc effectivement un peu moins de motifs que d'autres d'être jalouse. Et en fait, plutôt que jalouse, je suis surtout jalousée, surtout dans ma vie professionnelle. Je sens continuellement peser sur moi le regard de mes collègues qui m'observent, m'épient, bavardent sans doute à mon sujet dans leurs conversations. Beaucoup, sans doute, ne me supportent pas, mes manières, mes attitudes.

Cette sourde hostilité, ça interroge évidemment et je ne peux pas m'absoudre en me disant simplement qu'ils ont tort et que je suis, de toute manière, quelqu'un de bien, d'absolument irréprochable. ? Et puis, ne pas être jalouse, ça peut signifier aussi qu'on ne s'intéresse pas trop aux autres et même qu'on en a rien à fiche d'eux. Et surtout je dois reconnaître que, sous mes apparences détachées, j'aime peut-être, en fait, que l'on me jalouse. Et d'ailleurs, est-ce que je ne vais pas jusqu'à exciter, insidieusement, la jalousie ?

J'ai ainsi un irrésistible goût pour la compétition, intellectuelle et physique. Je veux sans cesse me distinguer et affirmer ma supériorité, pas question d'être comme le commun des mortels. Pour ça, je pratique continuellement la surenchère, c'est sûrement épuisant, "lessivant", pour les autres. On est ainsi vite priés de corriger ses habitudes et de se mettre à niveau quand on fait ma connaissance. J'emploie certes des formes très déguisées mais c'est bien mon mode de fonctionnement, professionnel, personnel. C'est ma manière de capter l'attention, de me sentir regardée, admirée, déshabillée.


 Finalement, la jalousie, on n'en sort jamais. On est tous prisonniers de son jeu, de sa dialectique perverse, de notre besoin éperdu de reconnaissance. Et de quelque côté que l'on se porte, le jaloux ou le jalousé, ce n'est jamais très beau. On a aussi tendance à penser que les femmes sont davantage sujettes à la jalousie. C'est sans doute un point de vue très sexiste et puis il faudrait aussi évoquer, à cet égard, l'espèce de rage destructrice que peuvent éprouver certains hommes à l'égard des femmes, une rage née de leur sentiment d'impuissance face à leur pouvoir.

Au jaloux, quelques soient ses effrayants défauts, je concéderai du moins une talent dont est dépourvu le jalousé : sa passion exploratoire, son extrême attention à l'autre (même si elle est morbide) et à tous les petits détails qui constituent sa vie. Le jaloux est finalement un grand interprète du monde et de ses signes. C'est sa force propre, la force des faibles, une force dont il peut faire œuvre d'Art.

Images, notamment d'Edvard Munch, Gustav Klimt, Bruno Schulz.
 

 La jalousie a, significativement, inspiré les plus grands romans de la littérature mondiale. Je propose, ci-dessous, mon choix personnel auquel s'ajoute, bien entendu, "la recherche du temps perdu".

- Feodor Dostoïevsky :"L'éternel mari". Le roman de Dostoïevsky le plus singulier, curieusement méconnu. En plus, il n'est pas très long. Je recommande à nouveau la traduction d'André Markowicz, plus fidèle à l'original, c'est à dire à la prose relâchée, voire incorrecte, de Dostoîevsky.

- Milan Kundera : "L'insoutenable légèreté de l'Être". L'un des très grands romans de ces dernières décennies.

- Jacob Grimm : "Blanche Neige et autres contes". La cruauté des parents, et notamment des beaux-parents, envers les enfants est évoquée, sans détours chez Grimm.

- Guy de Maupassant : "Pierre et Jean"

- Choderlos de Laclos : "Les liaisons dangereuses"

- Amélie Nothomb : "Frappe-toi le cœur"

3 commentaires:

Richard a dit…

Bonjour Carmilla.

Certes, l’avenir appartient à ceux qui se lève tôt en prenant une longueur d’avance, ce qui ne signifie pas qu’ils triompheront au fil d’arrivé. Chaque jour nous naissons par notre réveil, et nous mourons chaque soir en nous endormant. Entre ces deux extrémités, nous nous livrons à différent jeux, besognes, passions, dont l’envie, la jalousie, se mélangent aux sentiments et aux désirs.

Effectivement, si je rencontrais un jour Amélie Nothomb, ils nous seraient impossibles d’éviter l’affrontement. Les gros yeux, les regards insistants, relèvent d’une représentation, qui n’influencent que les vulnérables.

Nous perdons notre temps entre l’amour et la haine, cela nourrit voluptueusement de belles histoires, comme ces récits de familles, où les parents jalousent leurs enfants qui réussissent au-delà de toutes attentes. Devons-nous, nous livrer à toutes nos perversions, surtout lorsque la jalousie nous étouffe? Cela peut se transformer en actes macabres.

Pour l’une des rares fois, je vais être en accord avec Proust, la jalousie expliquerait 95% des relations amoureuses, donc, de cette affirmation, je pourrais extrapoler que 95% de la population devrait éviter l’amour! Parce que la jalousie nourrit le malheur, et être malheureux c’est souffrir. Nous pourrions exercer à cet égard, le mépris de la jalousie comme le mépris de la souffrance.

« Si ceux qui ont pris l’habitude de vivre dans les plaisirs souffrent quand il faut changer de vie, ceux qui se sont exercés à supporter les choses pénibles méprisent sans peine les plaisirs ».
Diogène Laërce
Tiré de Michel Foucault
L’usage de plaisirs
Page 86

Nous pourrions ajouter sans nous tromper que nous pourrions mépriser la jalousie, l’envie, le tout dans un entraînement stoïque. C’est mon côté stoïcien qui revient, et je ne m’en cache pas, ni m’en excuse, que j’ai peaufiné pendant toute mon existence.

Ce qui aide à supporter l’humiliation et se préparer à la contre-attaque, en cela, l’humiliation représente une occasion d’évolution, qui n’est pas toujours mauvais. Certes, j’en ai toujours imposé, à l’école comme ailleurs, alors les jaloux les envieux évitent d’approcher des êtres comme moi parce qu’ils en sont réduis à médirent dans votre dos. Bien maigre consolation!

Bonne fin de journée Carmilla

Richard St-Laurent

Richard a dit…

Bonsoir Carmilla!
Pour peu qu’on se laisse submerger par la jalousie, la route qui conduit à la haine est ouverte devant nous. Comme vous le mentionnez il faut arrêter ces conneries-là. C’est le temps de prendre une autre direction avant de frapper le mur. Il importe de nous interroger sur ce que nous sommes. Ne pas mépriser le Destin en pensant que nous somme sortis d’affaire, parce que le Destin pourrait bien s’intéresser à nous, et qu’il n’a pas l’habitude de faire de cadeau. J’ai vu des gens riches toucher de fond de la pauvreté, de jolies femmes intelligentes se transformer en laideur. Dans les circonstances impossibles de faire machine arrière.

Difficile de s’échapper de son Destin. Précieuse, pimbêche, et un rien hautaine, dites, cela vous fait une belle jambe! Vous ne devez pas être une personne facile à vivre, mais ça vous appartient. Nous pouvons être pendant un certain temps au-dessus de la mêlée, mais c’est comme une vague, ça finit par casser. Au moins vous le reconnaissez sans pudeur. Le fait de vous demandez ce que vous seriez devenue si vous aviez été cancre ou laide. Au moins vous ne vous en cachez pas. Que serais-je devenu si je n’avais pas vécu la vie que j’ai eu? Vous pouvez le constater, je me pose le même genre de questions.

Nous avons la malheureuse tendance à penser qu’il vaut mieux être jalousé que d’être dans les affres de la jalousie. Être jalousé flatte l’ego, mais peut être aussi inconfortable et épuisant que la jalousie.

Vous êtes incapable de résister à cette pulsion de la compétition, de cela, nous avons eu le plaisir à plusieurs reprises de croiser le fer dans différents débats sur de multiples sujets. Nous n’avons pas reculé d’un pouce le tout sans compromis. Vous n’êtes sans doute pas une personne facile à vivre, moi non plus à ce chapitre, je ne donne pas ma place. Et comme vous l’écrivez : « On est ainsi vite priés de corriger ses habitudes et de se mettre à niveau quand on fait ma connaissance ». J’avoue que j’ai éclaté de rire en lisant cette affirmation. Vous ne faites pas dans le compromis ni dans la guenille molle. Vous devez en faire voir de toutes les couleurs à vos amants. Vos échanges doivent avoir une saveur tout à fait particulière.

Les femmes seraient davantage sujettes à la jalousie? Je pense que c’est vraie d’après ma pauvre expérience personnelle. Il n’y a rien de plus dangereux qu’une femme jalouse. Est-ce uniquement une question de pouvoir? Lorsque je lis les féminismes, prenons un exemple : Andrea Dworkin, je sens immédiatement la jalousie, l’envie, le désir de renverser et piétiner le pouvoir des hommes, comme si nous étions dotés de pouvoirs infinis. Il ne faudrait peut-être pas exagérer la rage destructrice des hommes face au pouvoir des femmes. Il est difficile de conquérir le pouvoir, et il glisse facilement des mains. Certes, il y a des meurtres, lorsqu’un homme assassine une femme, déjà dans l’opinion publique il est condamné; et lorsqu’une femme assassine un homme, elle a le bénéfice du doute. Ce qui nous fait passer pour une belle bande de salauds nous les hommes. Ce que je refuse. Ceci n’est pas une question d’égalité, même pas de pouvoir; c’est une question de justice. En droit, tu es présumé innocent, tant que tu n’as pas été reconnu coupable.
Merci Carmilla de m’avoir lu avec patience.
Richard St-Laurent

Carmilla Le Golem a dit…

Merci Richard,

Il est vrai que lorsque je me lève à 7 heures du matin, j'ai l'impression d'avoir fait une grasse matinée. Moins dormir que les autres a du moins un considérable avantage : ça permet de faire davantage de choses et de gagner, à l'échelle d'une vie plusieurs années d'existence.

Suis-je difficile à vivre ? Disons que j'apparais peut-être plutôt bizarre, déconcertante. Je déteste en fait les querelles, les éclats et les conflits, alors je ne dis rien, je demeure toujours un peu hautaine mais je n'en pense pas moins. Mais c'est sûr qu'on ne me fera pas changer de convictions et de personnalité. Le compromis, ce n'est effectivement pas mon fort. Difficile de me faire plier, peut-être parce que je suis orgueilleuse.

La jalousie, c'est en effet une passion détestable mais je crois qu'on a vraiment du mal à y échapper. Il faut un minimum de confiance en soi et, surtout, avoir conscience de la relativité des choses et de leur caractère éphémère. La roue tourne sans cesse, en effet, avec ses revers de Fortune.

Ce qui est sûr, c'est qu'on assiste, dans nos sociétés, à une explosion des envies, rancœurs et petites jalousies. Tocqueville y voyait la principale menace pour les sociétés démocratiques. Ses craintes sont plus que jamais d'actualité.

Bien à vous,

Carmilla