samedi 30 avril 2022

L'éducation à la violence


La guerre en cours révèle une face épouvantable de l'armée russe (même si elle s'était déjà révélée en Tchétchénie et en Syrie, mais on n'y avait alors guère prêté attention). De l'armée et peut-être aussi de la société russe toute entière. 

Vols, viols, massacres de la population civile après avoir détruit, rasé, avec application les villes. Tant d'horreur a un effet sidérant. Comment est-ce possible, comment peut-on s'abandonner à de pareilles extrémités ?

On ne peut que s'interroger sur les racines du Mal. Il faut d'abord incriminer la formation militaire. Il faut bien le dire, le service militaire en Russie, ça n'est vraiment pas une partie de rigolade. Rien à voir avec un séjour bucolique par les champs et les forêts. Les mauvais traitements font partie de la formation des conscrits. Les violences physiques et psychologiques y sont continuelles. Violences exercées non seulement par les officiers qui exigent une obéissance aveugle mais aussi par les appelés plus anciens. 


Ces derniers se livrent avec sadisme à ce qu'on appelle, en russe, la "dédovchtchina", une sorte de grand bizutage institutionnalisé à l'occasion duquel sont pratiqués sur les nouveaux arrivés, sans aucun contrôle, non seulement brimades et humiliations, mais aussi tortures, viols et même meurtres. Les provinciaux se vengent des citadins, les pauvres des riches, les brutes des éduqués. Bien sûr, un grand silence, une chape de plomb, sont apposés sur les morts et accidents suspects. Mais, dans la population russe, tout le monde sait ..... mais ne dit à peu près rien (sauf quelques comités de mères de soldats). 


Et puis avant l'armée, il y a eu l'école. Là encore, en Russie, ça ne rigole pas. Disons que la discipline y est encore à peu près aussi stricte que celle qui sévissait en France jusque dans les années 60 (cf. les intéressants souvenirs de Daniel Cohn-Bendit sur l'école en Allemagne et en France). On a vite fait, en Russie, de vous mettre au pas, de vous classer, cataloguer.

Chaque chose doit être à sa place, c'est un peu le système d'éducation à la russe. Ca veut dire que la déviance, c'est vite réprimé. L'homosexualité, la théorie du genre, c'est considéré comme des aberrations intellectuelles occidentales. Ca explique que les relations entre les hommes et les femmes sont plutôt conventionnelles. Il y a une nette séparation des sexes avec un univers propre à chacun : un homme doit "assurer" et une femme doit "figurer".

Cette vision sans nuances, "tranchée", du monde s'accompagne d'un rapport différent à la Mort. La vie est moins prisée qu'en Europe de l'Ouest. On le sait, l'espérance de vie des Russes est très éloignée des normes occidentales. Ca tient d'abord à une hygiène de vie désastreuse (on mange des cochonneries, on boit et on fume sans limites) et à une culture du risque et de la prévention quasi inexistante (les accidents, ça fait partie de la vie, semble-t-on considérer et c'est comme ça qu'on a laissé filer le Covid).

Tout ce façonnage des mentalités, à travers l'armée, l'école, le système de santé, explique, au final que toute la société russe demeure aujourd'hui militarisée, enrégimentée, dans les institutions et dans les esprits. Cette militarisation, on l'éprouve aux niveaux les plus élémentaires de la vie quotidienne. Le contact avec la rue est souvent désagréable en Russie. On se fait souvent apostropher, agresser, par d'autres passants ou bien réprimander, engueuler, par une multitude d'"employés" irascibles. Les préposés à l'"accueil", ils sont, par exemple, ma bête noire et j'ai souvent envie de les gifler; je me dis alors qu'il vaut mieux ne pas comprendre le russe, ça aide à garder son calme. Mais il est vrai aussi qu'on rencontre parfois des gens extraordinaires.  

 Il est pour moi troublant de constater que la Russie n'a connu que deux dirigeants "démocrates": Gorbatchev et Eltsine. Mais ce sont justement les plus détestés aujourd'hui : deux "chiffes", un mou et un alcoolique. Deux personnalités qui n'avaient rien à voir avec les "hommes forts" que l'on prise tant en Russie. 

On oublie en particulier que Gorbatchev puis Eltsine ont permis à la société russe de se libérer de l'emprise, de la main de fer, du KGB. On oublie qu'il y a eu, sous Eltsine ce Président tant méprisé, une vraie liberté de pensée et d'action en Russie (pendant une petite décennie, la presse, les médias et la création artistique ont été libres).

Ca laisse rêveur parce que le premier travail de Poutine a justement été de restaurer le KGB. Certes les noms ont été changés avec le FSB (la sécurité intérieure) et le SVR (le service central de renseignement). Mais les effectifs actuels de ce KGB "relooké" seraient aujourd'hui deux fois plus importants que du temps de l'URSS (le KGB, c'était, selon Sergueï Jirnov, 420 000 personnes pour 290 millions d'habitants, ce serait aujourd'hui 1 million de personnes pour une population de 155 millions).

Et le premier travail de ce KGB à la sauce Poutine, ça a été de revivifier, avec un support messianique, la propagande post Grande Guerre Patriotique : on est puissants, on est les plus forts, le reste du monde nous est redevable de sa liberté, on est craints et respectés pour nos grands succès militaires et technologiques.

On éduquait la population à la fierté d'être soviétique. Tant pis si c'était ridicule dans un contexte où le pays était dans un état lamentable et rejoignait, à grande vitesse, le Tiers-Monde. La Grandeur, la Puissance, c'est cette fierté que Poutine a d'abord ressuscitée. La modestie démocratique, on ne connaît pas.

Mais il s'agit cette fois d'une fierté non plus communiste, universelle, mais exclusivement russe et on se met alors à détester les autres, les Occidentaux décadents, les Asiatiques primitifs, les autres Slaves d'un rang inférieur (à l'exception des Serbes). On rêve de dominer à nouveau les autres. L'engrenage de la violence, amorcé par toute une éducation, peut maintenant s'enclencher.


Affiches de cinéma des frères Stenberg datant de la période constructiviste (années 20). 

Je recommande :

- Galia ACKERMAN : "Le régiment immortel - la guerre sacrée de Poutine". Très juste, très pertinent. J'aime bien écouter Galia Ackerman, parfaitement bilingue, dans les médias.

- Vassili AXIONOV : "Une saga moscovite". Une grande peinture historique de l'URSS parue dans les années 90.

- Roman SENTCHINE : "Les Eltychev". Le roman de la province russe et de sa déchéance après la chute du mur. Glaçant.

- Gouzel IAKHINA : "Zouleikha ouvre les yeux" et le tout récent "Les enfants de la Volga". La vie d'une femme tatare durant les répressions staliniennes et les Allemands de la Volga. Un grand succès en Russie et c'est effectivement excellent.

18 commentaires:

Nuages a dit…

Cette brutalité, cette agressivité, ces pathologies sociales russes sont-elles en partie dues à la longue période soviétique ?
Existent-elles aussi en Ukraine, dans les régions russophones ou ailleurs ?

Quant à Eltsine, sa présidence a quand même été marquée par les deux guerres en Tchétchénie, où les atrocités ont été encore plus répandues que pendant l'invasion russe en Ukraine.

Carmilla Le Golem a dit…

Merci Nuages,

Cette brutalité, cette violence, sont effectivement liées, en grande partie, à l'éducation soviétique.

Quant aux Ukrainiens, il m'est difficile de prétendre être objective. Mais je pense quand même que les Ukrainiens sont beaucoup plus sympathiques (ça se constate simplement dans la rue) que les Russes envers lesquels ils ont toujours entretenu une certaine défiance. Ils ont de plus toujours été hermétiques au discours de la puissance et de la force. C'est l'effroyable souvenir traumatique des années 30, de Staline et de la grande famine. Ils ont déjà eu ce sentiment que les Russes voulaient les exterminer.

Dans les autres pays communistes satellites, l'empreinte de l'éducation soviétique est, pour ce que j'en sais, moins marquée mais subsiste encore plus ou moins. Elle est devenue très faible en Pologne, République tchèque, Slovaquie.

Quant à Eltsine, je ne vais bien sûr pas faire son éloge mais je trouve qu'il est trop décrié. Il a tout de même mis fin au KGB et, ensuite, c'était la liberté totale pour tout le monde. Ca a tout de même été la seule décennie vraiment libre de toute l'histoire russe. Ca s'est bien sûr traduit par un effondrement économique complet et une espèce de Far West social mais ça n'a pas non plus été pire que dans les autres pays autrefois communistes. je sais bien que les Russes n'arrêtent pas de pleurnicher sur cette période mais ça n'a pas été vécu de la même manière dans d'autres pays.

Quant aux guerres en Tchétchénie, il me semble que c'est surtout la seconde guerre (conduite par Poutine alors 1er ministre) qui a été atroce avec une quasi extermination de la population. La 1ère guerre a même été carrément piteuse pour l'armée russe.

Bien à vous,

Carmilla

Richard a dit…

Bonjour Carmilla

Merci pour votre texte encore une fois très pertinent.

Comme vous le dites, dans l’ordre immuable des choses, nous pouvons concevoir que les changements en Russie ce n’est pas pour demain matin. Les résultats sur le terrain parlent d’eux-mêmes. Certes les Ukrainiens marquent des points en profitant de l’incurie des russes. Voilà ce que ça donne l’éducation autoritaire et violente. Plus personne n’ose prendre d’initiative. Une armée qui doit voler dans les magasins pour se nourrir, ce n’est plus une armée, c’est une bande de voleurs qui cherchent leur pitance. Je n’en croyais pas mes yeux lorsque j’ai visionné ces vidéos où l’on peut voir des soldats russes en train de dévaliser la nourriture dans des magasins. Ils arrêtaient même dans les dépanneurs pour faire le plein de leurs véhicules militaires! Ce qui explique le nombre de véhicules russes qui sont tombés en panne de carburant.

Reste, qu’ils sont dangereux. Et, pourquoi ils sont dangereux? C’est parce qu’ils ont peur. Ce genre d’éducation qui se nourrit de la peur, c’est leur principale faiblesse. Ils peuvent bien tout démolir, massacrer, ruiner, cela ne fait pas d’eux des gagnants. Et, ne parlons pas de victoire, se sera comme d’habitude une victoire sur un tas de cendre et de cadavres. Sur le fond, qu’est-ce qu’ils ont à gagner?

Les armées les plus modernes dans le monde s’aperçoivent que ce n’est plus des gros bras qu’ils ont besoin, mais des gens intelligents, qui ont une tête sur les épaules et surtout qui sont capables de prendre des initiatives sur le terrain en plein combat. Qui plus est, être non seulement capables d’exploiter des armes complexes avec le maximum d’efficacité, mais aussi comprendre ce qui se passe autour d’eux. Ce que semble avoir compris les Ukrainiens. Ce qui explique présentement que plusieurs combattants Ukrainiens ne sont pas sur les champs de bataille, mais en formation ailleurs dans le monde.

Galia Ackerman, je ne connaissais pas, elle semble très lucide, et surtout très compétente historiquement. Je viens de regarder une vidéo, vous avez raison Carmilla elle parle un français excellent. Si je puis épuiser ma pile de livres en attente, je pense que je vais aller faire un petit tour dans son jardin.

J’ajouterais à votre liste de lectures : L’Archipel du Goulag par Soljenitsyne. Je sais, ça date, mais c’est dans la même vague pour comprendre l’esprit russe. C’est un ouvrage qui m’a marqué.

Bonne fin de journée

Richard St-Laurent

Paul a dit…

Bonjour Carmilla, merci pour ces affiches remarquables, comme pour les précédents portraits-morceaux de vous-même. Ça produit son effet sur le style anti poétique, carrément pas lyrique. Les yeux bleus puis verts feraient facilement dévier notre fil.

"Je goûte maintenant ces pages de livres où il ne se passe rien en apparence, et que je sautais autrefois impatiemment ; elles servent de préparation à ce qui va venir, et qui n'aurait pas d'intérêts si la curiosité n'était aiguisée, si en même temps nous n'étions pas détachés de la suite des événements et pour ainsi dire soulevés au-dessus d'eux ; bref, ces pages qui ne disent rien ont le prix des vacances qui suspendent le travail, pour le rendre possible." (Jean Grenier, Les Grèves - 1957)

Carmilla Le Golem a dit…

Merci Richard,

Disons que la désorganisation, le foutoir, la pagaille, ça a toujours été une caractéristique du fonctionnement de la société russe. On parvient à concevoir des produits techniques sophistiqués mais quand il faut développer cela à grande échelle, il y a toujours des défauts, des dysfonctionnements. C'est au point que la population russe elle-même n'a pas confiance dans les produits de son industrie (par ex. le vaccin Sputnik), il y a toujours quelque chose qui ne marche pas.

Cette incapacité à planifier, organiser, est, à nouveau, mise en évidence dans les difficultés actuelles de l'armée russe. Elle se trouve dans l'obligation de voler et piller pour assurer sa subsistance.


Le gros problème de cette guerre, c'est que maintenant plus aucun accord n'est possible. Poutine est incapable d'envisager une défaite et les Ukrainiens ne sont disposés à aucune concession tant la guerre est atroce.

Quant aux conseils de lecture, je ne prétendais nullement être exhaustive (il faudrait ajouter au moins Oulitskaïa). Soljenitsyne, donc oui, bien sûr, encore que je l'ai peu lu. Il a trop la fibre panslave, âme russe, pour moi. Je préfère Varlam Chalamov, Gustav Herling et Juliusz Margolin.

Bien à vous,

Carmilla

Carmilla Le Golem a dit…

Merci Paul,

Le constructivisme russe, ça a vraiment bouleversé toute l'esthétique même si bien sûr, à cette époque, ça n'a touché que des milieux intellectuels très limités. Dans les domaines de l'image, de l'affiche, de la photographie, je trouve que les résultats en sont très beaux. J'ai l'impression que c'est assez mal connu en Europe de l'Ouest.

Le constructivisme, c'est aussi un grand courant architectural. On entend parler beaucoup, en ce moment, de la ville ukrainienne de Kharkiv. C'était une grande ville universitaire et elle abrite plusieurs bâtiments remarquables du constructivisme. Je me demande ce qu'il va en rester.

Et puis le constructivisme a influencé et est très lié au Bauhaus. Si vous allez à Tel-Aviv, vous remarquerez que beaucoup de ses architectes sont issus de l'ancienne Europe Centrale de l'Autriche-Hongrie et de l'Ukraine.

Bien à vous,

Carmilla

Richard a dit…

Bonjour Carmilla!

En cette époque trouble, il faut penser un peu à soi.

Heureux anniversaire Carmilla

Richard St-Laurent

Carmilla Le Golem a dit…

Merci Richard,

Vous avez bonne mémoire.

Je pensais qu'avec le Covid, j'avais atteint le sommet de l'incroyable en matière d'événements associés à mon anniversaire. Et bien, cette année, c'est encore mieux et encore plus inattendu avec la guerre. Qu'est-ce qui peut encore se passer ? C'est sûr que je vois le monde avec moins de certitudes. Mais c'est vrai qu'on avait presque effacé, considéré même comme devenu impossible, ce qui était, il y a encore peu de temps, l'horizon banal et régulier des sociétés: les guerres et les épidémies.

Merci encore pour votre attention et votre persévérance à me lire,

Carmilla

Richard a dit…

Bonjour Carmilla!

L’incroyable de l’incertitude!
Nous sommes vraiment des êtres incroyables dans la recherche et l’assurance de nos certitudes. Pourtant, la vie, n’est qu’incertitude. Par expérience, nous devrions le savoir, mais nous préférons la certitude, nous en faisons un dogme pour nous y accrocher ferme, comme si cette certitude constituait une bouée de sauvetage. L’incroyable n’a pas de sommet parce qu’il est omniprésent. Il poursuivra sa route longtemps après que nous aurons tous disparu. Y a-t-il dans cet univers quelque chose de plus durable que l’incertitude? L’évolution n’est qu’incertitude aléatoire. Et, ce n’est pas seulement que du petit hasard. On dirait que c’est un fondement mathématique incontournable qui dépasse nos philosophies, nos croyances, et surtout nos incertitudes. Ne soyez pas surprise que cela se produit à votre anniversaire de naissance. Ça arrive comme cela tout simplement. Quoi, que s’il y avait un gros orage, je ne vous enverrais jamais vous promener dans la plaine avec une barre en acier sur l’épaule, surtout si c’est votre anniversaire, parce que l’incertitude pourrait se transformer en certitude. Trêve de plaisanterie... Qu’est-ce qui peut encore se passer? Je répondrais, tout, même ce que nous n’avons jamais imaginé, et pourtant au niveau de l’imagination, l’humain n’en manque pas. Crise sanitaire, guerre, inflation, et pourquoi pas une crise économique mondiale, et l’on parle même de bombardements atomiques tactiques, ce qui pourrait nous conduire aux bombardements stratégiques, sans oublier la famine pour ceux qui auront échappé à l’apocalypse des radiations. Nous pourrions redevenir des primitifs, où même disparaître entièrement. Il faudrait peut-être oublier notre prétention, que nous les humains, nous constituons une fin. Après l’humain, il n’y aurait plus rien? N’ayez crainte les galaxies vont continuer à danser dans l’espace. La réalité vous a rattrapé et vous voyez le monde avec moins de certitudes, voilà ce qui s’appelle la lucidité. Ce qui n’est pas toujours agréable, mais au moins cela est réaliste. Nous pensions que les épidémies étaient derrière nous et que les guerres n’étaient plus possibles. Et, soudain, nous voilà tous nus devant notre destin comme des enfants pris en faute. Qu’on se le dise, toutes les guerres sont des gaspilles purs. J’ai passé ma fin de semaine en randonnée dans la forêt. Je me suis émerveillé devant les sapins, les cèdres, les pruches, devant les bourgeons d’érables et de trembles qui éclosent au grand jour, devant le miracle de la vie, je me suis abreuvé de lumière, j’ai senti ce parfum de terre humide qu’on ne sent qu’au printemps. J’ai senti que j’étais encore vivant, oui vivant et pas autre chose, de ce sentiment plus basique et intime. Et, par nos folies, on sacrifierait tout cela? Cette persévérance à vous lire comme vous l’écrivez, n’est pas seulement une persévérance, c’est un plaisir, le plaisir de la réflexion, dans la lucidité dérangeante, souvent déstabilisante, dans des échanges qu’on voudrait sans fin, dans toutes les directions, dans tous les genres, dans tous les domaines. Ce qui nous fait sentir humain, malgré la lenteur du printemps qui tarde à s’établir sur cette terre du Québec. Mars et avril ont été humides et gris, même des fois avec des précipitations mélangées de neige et de pluie. Carmilla, je vais continuer de vous lire parce que j’aime être le témoin de votre évolution.

Bonne fin de journée
Richard St-Laurent

Carmilla Le Golem a dit…

Merci Richard,

Je ne sais trop quel regard porter sur l'actualité. Je me dis quand même que le pire n'est pas toujours sûr et que les troubles que nous vivons sont peu de choses en regard des événements qui agitaient le monde dans un passé récent.

C'est peut-être notre incorrigible manie d'idéaliser notre passé qui nous rend aujourd'hui si pessimiste.

Et puis il y a ce poids croissant des médias et des réseaux sociaux qui nous font vivre dans une fièvre permanente et une surenchère narcissique.

Quant à moi, je ne sais pas si j'évolue beaucoup. J'ai l'impression de n'avoir guère changé depuis que je suis étudiante. Quasiment la même dans ma vision du monde.

J'ai quand même récemment essayé de faire évoluer un peu mon blog en le développant davantage. Mais c'était délibéré et je ne suis pas sûre que cela ait été une bonne idée.

Bien à vous,

Carmilla

Richard a dit…

Bonjour Carmilla!
C’est rudement dérangeant de ne pas savoir pour des personnes qui carburent aux savoirs. C’est tout à fait normal, nous voulons savoir parce que nous voulons comprendre. Mais, lorsque l’on perd tous nos petits bidules électroniques et qu’on revient à la boussole, on se sent démuni. C’est peut-être pire présentement dans le conflit Ukrainiens, parce que depuis une semaine les nouvelles sont rares. Les deux camps cachent leurs plans. Nous sommes encore vivants, nous avons des provisions, un toit, des livres, de la musique et des amis. Nous ne sommes pas à Marioupol.

Idéaliser notre passé, est-ce que cela nous rend plus pessimiste? C’est étrange, depuis le début de ce conflit, je suis optimiste, j’ai confiance parce que la raison est du côté des Ukrainiens, qui ont été attaqués. Les russes n’ont rien à faire en Ukraine. Il me semble que c’est très clair. Au début je ne donnais pas cher de peau des Ukrainiens, mais après une semaine de combat, je me suis dit : pourquoi pas!

Il sera sans doute plus difficile de sortir des médias sociaux. Nous avons développé une dépendance parce que c’était si facile d’y entrer. On dirait qu’on est incapable de se faire des opinions personnelles sur les événements. Médias sociaux qui ne me manquent pas de nous rendre vulnérables aux opinions de la masse.

Nous évoluons tous, tout en nous imaginant que nous n’évoluons pas. Nous changeons quotidiennement sans nous en apercevoir. Un jour nous redécouvrons des vieux papiers qui provoquent la surprise pour nous arracher cette exclamation : Moi, J’ai pensé cela…

Je tiens à vous rassurer. J’ai senti cette évolution dans votre blog, qui a pris un tournant, qui est plus soigné, plus intéressant, plus fouillé. Je trouve que ce fut une bonne idée de le développer d’avantage. Les textes sont plus longs, plus denses, et que dire de vos illustrations, qui sont souvent provocantes et qui habituellement illustrent bien vos propos.

C’est étrange, votre blog évoque chez moi un souvenir de jeunesse, alors que piqué par une curiosité insatiable j’explorais les greniers poussiéreux des vieilles maisons de bois. J’y retrouvais souvent une revue hebdomadaire qui s’appelait : Le Samedi. J’y retrouvais des photos car en 1930, on en était encore au noir et blanc, des textes sur la politique, sur la société en général, sur la science, et comment à cette époque on voyait l’avenir. On s’interrogeait même sur un certain Benito Mussolini. Puis, il y avait la publicité avec les prix des produits. C’est étrange, votre blog du samedi évoque cette revue. Il n’y manque plus que la poussière des greniers.

Bonne fin de journée

Richard St-Laurent

Carmilla Le Golem a dit…

Merci Richard,

Oui ! Quant à l'évolution des événements, je préfère ne pas m'avancer.

Et je me méfie des gens qui "savent", des "spécialistes" auto-proclamés, qui affirment que c'était prévisible. On a tendance à devenir de plus en plus péremptoires (encore une tendance "réseaux sociaux").

Les Ukrainiens font en effet preuve d'une admirable et imprévue résistance mais combien de temps cela peut-il durer ? A quoi servent votre courage et votre héroïsme quand vous êtes submergés de bombes et que votre ville est complétement rasée ? Vous n'avez même pas l'occasion de combattre. Il faudrait d'abord disposer d'une meilleure défense anti-aérienne.

On évolue tous, bien sûr, mais peut-être pas tant que ça et, sans doute, sans rupture complète. Je me suis toujours sentie "à côté", dissidente, et je n'ai sûrement pas changé. Mais ça veut dire aussi que je suis quelqu'un de compliqué et de pas facile à vivre.

Quant aux blogs, ils sont de plus en plus concurrencés par d'autres supports. L'image devient prépondérante au détriment de l'écrit. Le texte, l'analyse, ça devient répulsif. On préfère l'interjection, l'émotif pur.

J'espère toutefois que mon blog n'apparaît pas trop comme un vieux truc remisé dans un grenier. Etre inactuelle, c'est en effet mon ambition mais je me sens, en même temps, résolument moderne. J'essaie surtout de dénoncer le conformisme et le puritanisme contemporains.

Bien à vous,

Carmilla

Richard a dit…

Bonjour Carmilla!

Tout ce que j’espère, c’est que les Ukrainiens s’en tirent, après 70 jours de guerre, ils le méritent amplement. Ils sont en train de renforcer leur défense anti-aérienne. J’espère que les nouveaux matériels arrivent. Est-ce une impression, on dirait que les russes piétines? Je suis encore plus éloigné que vous. Peut-être que vous avez plus d’informations que moi. Il ne faut pas que tous leurs sacrifices ne servent à rien. Se serait très décevant, si cela devait se terminer par une défaite ukrainienne.

Certes, l’image s’impose aux textes, aux réflexions, aux discussions intelligentes, aux analyses. J’aime bien lire : Le Monde Diplomatique sur papier. Il n’y a pas trop de publicité. Nous recevons aussi au Québec : Le Monde Hebdomadaire. Ici, nous avons Le Devoir, qui joue dans les mêmes eaux. À mes yeux, le papier n’est pas encore déclassé. Et, tant pis, si je suis un peu poussiéreux, mais je ne me sens nullement dépassé par tous les nouveaux médias. C’est étrange, il y a beaucoup d’informations, mais les gens en général, me semblent peu informés. Je suis sidéré lorsque je discute avec des personnes, et que soudain, je m’aperçois qu’ils ne suivent plus. Je me retrouve alors dans un étrange soliloque. Comment peut-il en être ainsi? Je sens comme un malaise.

Les vrais dissidents sont rares, ils sont beaucoup plus que des contestataires. Vous avez raison se sont des personnes difficiles à vivre. Elles sont complexes, souvent rebutantes par leurs propos, elles dérangent, bousculent, mais se sont des personnes libres qu’il fait bon de rencontrer.

Qui sait, peut-être qu’un jour, un bambin ou une bambina, retrouvera un de vos vieux ordinateurs et se perdra dans la lecture de vos textes, et se sera le début d’une nouvelle évolution. Ne riez pas, tout cela est fort possible.

Je dois reconnaître que j’ai passé du bon temps dans les greniers, dans les vieilles maisons abandonnées, les vieilles granges, les vieux hangars, je m’y suis senti très vivant. Tout cela donnait un sens au temps, à mon temps. J’émergeais renouvelé de mes explorations, je sentais que les vieux murs, les vieux meubles et les vieux papiers faisaient parti de l’histoire. Ce qu’on me racontait avait réellement existé. J’en avais la confirmation sous mes yeux.

Merci pour vos commentaires et bonne fin de journée

Richard St-Laurent

Carmilla Le Golem a dit…

Merci Richard,

Puissent vos espoirs quant à l'Ukraine se réaliser !

Mais je suis toujours dubitative. Une guerre n'a que faire de la Morale. Il ne suffit pas d'être dans son bon droit et d'être courageux pour gagner. C'est malheureusement le plus bestial qui finit par l'emporter.

C'est vrai que les Russes ont démontré qu'ils étaient beaucoup moins forts qu'ils ne s'en vantaient. C'est vrai qu'ils se sont retirés piteusement de Kyïv où ils ont compris qu'ils allaient se faire hacher menu par la population. Mais leur force, c'est maintenant la persévérance. Poutine n'abandonnera jamais et il est même prêt à une guerre longue. Un conflit gelé avec une guerre de tranchées (comme celle de ces 8 dernières années) risque de lui convenir. L'objectif, c'est de déstabiliser et épuiser l'Ukraine. Jusqu'à ce que la population n'en puisse plus et accepte la paix à n'importe quelles conditions.

En attendant, je n'ai pas de bonnes nouvelles. Les bombardements se sont beaucoup intensifiés dans l'Est de l'Ukraine et ça devient épouvantable. L'armée ukrainienne ne dispose pas de suffisamment d'armes lourdes et est au bord de la rupture.

Mais je ne sais pas si je dispose d'informations fiables. Il faudrait pour cela que je siège à l'Etat-Major de l'armée ukrainienne. Tout le reste n'est que supputations.

Je crois malheureusement que le papier, les livres, la presse, sont de plus en plus déclassés. Il n'est qu'à regarder ses voisins dans un train, dans le métro, au restaurant. Ils sont tous penchés sur leur smartphone. La principale source d'information, ce sont maintenant les réseaux sociaux avec toute leur propagande complotiste et haineuse.

On assiste vraiment à un grand basculement cognitif. Une minorité de gens continueront de lire des livres et des journaux tandis que la majorité se perdra dans un monde virtuel. Mais j'ai peut-être un point de vue élitiste.

Bien à vous,

Carmilla

Richard a dit…

Bonjour Carmilla!

« Il n’avait rien à faire de son destin. C’est plutôt le destin qui avait besoin de lui. »
Andrzej Stasiuk
Taksim
Page 116

C’est un vision du monde que je partage avec cet auteur, moi qui n’a jamais fait parti de l’élite et encore moins de la majorité. Mais, qu’est-ce qui peut bien me pousser à croire en l’homme et en l’humanité? Je me le demande encore après toutes ces années vécues. Je dirais comme Albert Camus : Parce que l’humanité c’est tout ce que nous avons. Alors, il faut s’accrocher même dans les heures les plus sombres.

Rien ne nous laisse croire que tout est joué en Ukraine. Jamais nous n’avions imaginé que lorsque la pandémie nous est tombée dessus, qu’autre chose nous pendait au bout du nez, et que nous ne sommes pas encore au bout de nos surprises. C’est lorsqu’il ne se dit plus rien que les choses se passent. S’ajoute à cela, cette inflation galopante, ici ce matin dans certaines localités du pays, le litre d’essence régulière vient de franchir la barre du $ 2.00 le litre, et le diesel a atteint des sommets avec $ 2.50 le litre. Mais tout ce qui grimpe finit toujours par redescendre un jour, et la chute anticipée risque d’être brutale.

Ce n’est pas toujours le plus brutal qui gagne une guerre, parce qu’il y a trop d’impondérables, trop d’inconnus, le paranoïaque de Moscou joue une jeu dangereux, il peut bien vouloir une victoire finale, mais je suis pas sûr que le conscrit sur le champ de bataille soit du même avis. Savoir pourquoi on se bat est aussi, si non, plus important que la force brutale. En cela, je tracerai un parallèle avec le course aux armements au cours de la guerre froide; course que les russes ont perdu, parce qu’ils ont été incapables de vaincre les USA, dans cette joute de surenchères. Finalement cela aura été la défaite du communisme et de la Russie. La partie de poker était terminée. En conclusion, c’est le peuple russe qui a payé la note.

Présentement, les enjeux sont beaucoup plus élevés, parce qu’il faut bien se le dire, que ce conflit pour une part, et surtout pour les Ukrainiens, c’est une guerre nationale, je dirais même que c’est du nationalisme à l’état pur, qui est en train de se transformer en conflit de civilisation. Vous aviez raison Carmilla, nous vivions, avant tout cela, dans un monde insouciant, dans la facilité de notre inconscience, dans l’abondance de nos produits. Nous cultivions notre paresse comme si c’était une vertu. La réalité vient de nous sauter à la gorge. Nous pouvions nous permettre un optimisme béat. Vos certitudes en ont pris un coup, les miennes aussi.

Peut-être que le destin a besoin de nous.

Bonne fin de journée Carmilla.

Richard St-Laurent

Carmilla Le Golem a dit…

Merci Richard,

S'agissant de la guerre en Ukraine, je ne sais plus trop que penser et prévoir. Je reçois et entends tellement de rumeurs et informations contradictoires.

Je pense cependant que l'on doit prendre Poutine au sérieux quand il brandit la menace nucléaire. Non seulement, il fait généralement ce qu'il dit mais surtout la perspective de l'Apocalypse ne l'émeut guère.

C'est largement dans la mentalité russe. il y a une assez grande indifférence aux questions matérielles. On s'en fout d'être ramenés à zéro. Le pays est tellement grand qu'on trouvera bien un bout de terrain préservé en Sibérie où on vivra de pommes de terre et d'élevage. L'essentiel, c'est qu'on sera toujours Russes. C'est ce que se dit une grande partie de la population. C'est une autre rationalité bien différente de l'Occidentale. Le destin, en Russie, s'impose à nous.

Bien à vous,

Carmilla

Nuages a dit…

Je suis en train de lire "L'Ukraine. Une histoire entre deux destins", de Pierre Lorrain, Ed. Bartillat, et je trouve ce livre excellent et passionnant. Ça se lit comme un roman, et en même temps, c'est très touffu, détaillé. J'apprends plein de choses, que je ne retiendrai pas toutes, tellement ce livre est foisonnant. Le connaissez-vous ?

Carmilla Le Golem a dit…

Merci Nuages,

J'avais vu ce livre mais ne l'avais pas acheté.

Sans doute parce qu'il s'agit d'un livre d'histoire et que j'ai tendance à croire que je connais bien l'histoire de l'Ukraine.

Mais c'est sans doute prétentieux de ma part parce que c'est très complexe: une superposition de plusieurs histoires (russe, polonaise, autrichienne).

Si vous avez lu "la garde blanche" de Boulgakov, vous comprenez que s'y retrouver dans cette histoire n'est vraiment pas facile. C'est, personnellement, cette période de l'histoire ukrainienne (1917-1922) qui me fascine le plus. Le Destin du pays a alors maintes fois oscillé : les Autrichiens, la Pologne, Makhno, Denikine, Skoropadsky, Petlioura etc...

Bien à vous,

Carmilla

Bien à vous