samedi 9 avril 2022

Sur les pas de Théodora et autres Savonarole, Casanova et Marco Polo

 

Il y a deux semaines, j'étais en Italie. Plus précisément à Bologne, Ravenne et Ferrare. Ça m'a permis de moins ruminer sur la guerre.

 
Et puis, c'est vrai que ça m'a dépaysée parce qu'il faut bien dire que les pays "latins" en Europe, je ne les connais pas trop. D'abord, je suis une "bille" en italien, infichue de comprendre et de dire deux mots, ce qui n'est pas habituel pour moi et m'irrite profondément. Mais apparaître une idiote, ça m'a finalement reposée parce que ça m'a mis à l'abri des sollicitations et permis de vivre dans ma bulle.


Et surtout, j'ai trouvé dans ces villes moyennes, épargnée par les touristes, le calme que je recherchais. Une Italie moins Disneyland, plus authentique, si ces expressions peuvent avoir un sens.


Et puis, l'Italie, c'est quand même la Beauté parce qu'il faut bien reconnaître que la richesse architecturale des villes y est époustouflante. La plupart ont été édifiées entre le 12ème et le 15ème siècle. Quel contraste avec les villes des provinces françaises de la même époque. La Renaissance italienne, la sortie du Moyen-Age, ça a démarré plus tôt que partout ailleurs et  ça s'est accompagné d'une démocratisation politique (la plus ancienne université d'Europe, c'est celle de Bologne, fondée dès le 11ème siècle alors que la Sorbonne ne date que du 13ème siècle. Elle a notamment eu Copernic pour élève). Mais il est vrai que ça n'a pas duré.


J'ai retenu un précepte formulé au 13ème siècle. "La Beauté est le seul problème qui devrait préoccuper ceux qui se mêlent du gouvernement de la cité". Les élus politiques contemporains devraient s'en inspirer à l'heure où ils ne cessent de parsemer le paysage urbain de centres commerciaux déprimants, de monuments ineptes et de ronds-points grotesques. Le malaise contemporain, la dépression sociale, ça a  peut-être quelque chose à voir avec la laideur de nos villes

 
Mais je ne me rends pas dans un pays parce qu'il est beau et agréable. Un pays "moche" m'intéresse tout autant et peut-être même davantage. En fait, je cherche surtout des "points de rencontre" avec mes préoccupations, des lieux où s'incarnent mes rêveries, lubies, tocades. 


Aller en Italie, c'était donc avant tout pour moi partir à la recherche de Théodora. Théodora, "prostituée et impératrice de Byzance" au VIème siècle après JC. Une courtisane assumée, épouse de Justinien, qui, après avoir conquis une large partie du pouvoir, allait bouleverser le paysage politique et culturel de Constantinople. Un destin à ce point fabuleux qu'elle allait initier la naissance d'une nouvelle civilisation et d'une esthétique qui allait imprégner la religion orthodoxe. Et on peut souligner que l'Istanbul d'aujourd'hui porte encore la marque profonde de Théodora et Justinien (même si Erdogan n'est évidemment pas d'accord). 


 Mais quel rapport avec l'Italie allez-vous me dire ? C'est bien simple: Byzance a disposé, sous Justinien, d'une ville "annexe" à l'Ouest. Cette ville, c'était Ravenna, une "greffe" byzantine complétement singulière en Europe, presque une anomalie. Ce lieu qui vous immerge dans les profondeurs des temps les plus reculés est d'ailleurs aujourd'hui étrangement méconnu des touristes alors que ses monuments comptent parmi les plus stupéfiants qui soient.

 
Si vous n'avez ainsi plus le courage de visiter l'église Sainte-Sophie à Istanbul, récemment convertie en mosquée, vous pouvez découvrir, à Ravenne, la basilique San Vitale, son exacte contemporaine avec une même architecture. Elle comporte, surtout, une magnifique mosaïque représentant Théodora.


Mais il n'y a pas que Théodora qui m'intéresse en Italie. Il y a aussi, dans un tout autre registre, le moine Savonarole (1452-1498), né à Ferrara. Il est le prototype de nos dictateurs contemporains. Quand je pense aujourd'hui à Poutine, à Le Pen, à Zemmour, je le trouve vraiment d'actualité.


Ce moine despote a pris le pouvoir à Florence en succédant aux Médicis. Voici le récit de ses exploits : 

"Il fait brûler les livres, les parfums, les étoffes, interdit les jeux, torture les sodomites et les blasphémateurs. Il veut faire de la ville marchande un vaste couvent. Il règne alors dans les rues de Florence un climat de terreur proche de la révolution culturelle chinoise."


"Le prêtre a mis en place dans la ville un maillage policier étroit. Comme à Cuba, ou jadis dans l'Allemagne hitlérienne, chaque quartier, chaque rue est livrée à la surveillance d'un fidèle de Savonarole. Mais Savonarole s'appuie sur des milices d'enfants, son "armée d'anges", vêtus de blanc qui sont censés sauver ce monde dépravé. Ils procèdent à des distributions de richesses ou à des opérations morales. Les "anges" bloquent les femmes dans les rues, leur ôtent leurs bijoux précieux, les forcent à se voiler. La morale devient terrible". Jacques de Saint Victor


Intéressant n'est-ce pas ? Ça s'est passé dans l'une des villes les plus développées du monde et ça a tout de même duré 4 ans jusqu'à ce que Savonarole finisse pendu et brûlé. Je ne sais pas si ce sera le destin de Poutine ou de Le Pen, mais ça prouve bien qu'aucun système démocratique n'est à l'abri du pire.

 
Enfin, outre Théodora et Savonarole, il y a deux Vénitiens qui m'intéressent : Marco Polo et Casanova. Deux grands voyageurs (au même titre que Christophe Colomb et Amerigo Vespucci, tous Italiens).

 
Je ne vais bien sûr pas vous parler de Marco Polo et du merveilleux "Devisement du monde". Mais il me semble qu'il nous pose une juste question, à nous qui vivons dans une véritable boulimie touristique, qui ambitionnons de "faire" un maximum de pays. Qu'est-ce qu'un voyage, sa nature, sa finalité ? Ce n'est bien sûr pas le goût du dépaysement, la distraction, qui guidait Marco Polo. Il était, en fait, animé d'une prétention scientifique, il voulait être un savant. Est-ce que c'est encore notre ambition aujourd'hui ?


Quant à Casanova, on peut rappeler qu'il "est l'homme le plus admiré des imbéciles et le plus décrié des gens d'esprit" (Dominique Fernandez). La caricature du dragueur italien. Difficile de le défendre aujourd'hui à l'époque "me too" et "balance ton porc". Pourtant Casanova était un homme remarquablement cultivé, adepte de l'Esprit des Lumières. Il voue, sans arrière-pensée, un culte aux femmes et au plaisir partagé avec elles. Et ce goût est communicatif car, comme l'a bien montré Chantal Thomas, la lecture de Casanova intéresse tout autant les hommes que les femmes.


Mes petites photos italiennes (à Ravenne, Ferrare, Bologne) avec, bien sûr, la fresque de Théodora et la statue de Savonarole (sûrement l'un des rares dictateurs qui ait conservé sa statue).
 

Je préconise, enfin, de lire :
 
- Jacques de Saint Victor : "Le roman de l'Italie insolite". Ce livre m'a vraiment passionnée. Très vif, très plaisant et intelligent. L'Italie ou "l'Art plus fort que la vie".

- Catherine Toesca : "Marco Polo et Casanova - Les Vénitiens". Des voyages extraordinaires et des amours flamboyants, comment ne pas être séduit par ces récits d'aventures ?

- Chantal Thomas : "Casanova, un voyage libertin". La merveilleuse littérature du 18ème siècle, largement méconnue en fait. Rappelons que Casanova écrivait en français et Chantal Thomas en dévoile ici l'éblouissante prose.

- Marquis de Sade : "Voyage d'Italie". En 1775, pour ne pas être arrêté, Sade fuit en Italie. Il y séjournera plus d'un an (notamment à Rome, Naples, Florence) en compagnie d'Anne-Prospère, la sœur de son épouse, son amour fou, son amour véritablement sadien. Il se révèle dans ce recueil de textes un véritable esthète. Sade ambitionnait même de rédiger un guide de l'Italie. Ce recueil est à compléter par son roman "Histoire de Juliette" qui se déroule largement en Italie. Son meilleur livre, à mes yeux. 

- Sigmund Freud : "Notre cœur tend vers le Sud". Après Sade, un autre fanatique de l'Italie. Curieusement, de même que le divin Marquis, il s'y est parfois rendu en compagnie de la sœur de son épouse mais on n'en sait pas plus. C'est toute sa correspondance de voyage, de 1895 à 1923, qui est ici publiée.

4 commentaires:

Nuages a dit…

Merci pour ce petit récit de voyage. Ce sont des villes italiennes que je trouve attirantes. Je suis allé à Bologne, mais c'était il y a très longtemps. Je ne sais pas si je ferai encore un voyage urbain solitaire, celui de Venise ayant été assez difficile.

Pour les ivres de pouvoir, cet article sur les délires géopolitiques du pouvoir russe fait froid dans le dos :
https://blogs.mediapart.fr/thierry-reboud/blog/050422/denazification-de-lukraine-leffrayante-tribune-de-t-sergueitsev

Carmilla Le Golem a dit…

Merci Nuages,

J'ai beaucoup aimé Bologne d'autant plus qu'il n'y avait pas de touristes. Mais la ville vraiment exceptionnelle, c'est Ravenne (à une heure de train de Bologne)dont l'architecture et les monuments sont absolument singuliers en Europe de l'Ouest.

Je comprends la difficulté à voyager seul même si le problème se pose différemment pour un homme ou une femme. Le sentiment de solitude peut se trouver renforcé. J'ai par exemple éprouvé ça au Japon où personne n'ose s'adresser à un Occidental et où la pratique de l'anglais est très faible. Il faut sans doute avoir l'audace d'une démarche active, de parler directement aux autres. Mais se pose alors le problème de la barrière de la langue.

Merci pour la référence au "penseur" russe. Des horreurs de ce type, j'en ai malheureusement lu et entendu beaucoup. Le plus terrible, c'est que ça a, malgré tout, une certaine efficacité. Beaucoup de gens sont en effet convaincus, pas seulement en Russie, qu'il y a réellement, en Ukraine, plein de nazis. On m'a souvent renvoyé ça, notamment en France où on m'a maintes fois affirmé que le "coup d'Etat" du Maïdan était conduit par des nazis avec l'appui de la C.I.A.. Qu'est-ce que je pouvais dire à ces gens sûrs d'être mieux informés que moi (même s'ils n'ont, généralement, jamais mis les pieds en Ukraine)?

Mais c'est vrai aussi que le délire russe va aujourd'hui très loin. Il s'agit carrément d'éradiquer la nation ukrainienne, de la traiter comme une mauvaise graine. Les vrais Nazis ne semblent pas être les Ukrainiens.

Je me permets enfin de vous signaler, même si cela m'ennuie un peu, que, sur votre blog, il y a toujours quelques messages qui semblent passer à la trappe.

Bien à vous,

Carmilla

Nuages a dit…

Vous avez raison de me signaler certains de vos commentaires que je n'avais pas validés.
Je ne sais pas comment ça se fait, en général je reçois un mail qui m'informe du dépôt de nouveaux commentaires, mais il y en a certains qui, visiblement, échappent à cette notification.

Je viens donc d'aller dans la rubrique "Commentaires" de mon blog, j'ai validé plusieurs commentaires qui y étaient encore en attente, et je viens d'y répondre.

Carmilla Le Golem a dit…

Merci Nuages,

Ce sont un peu les mystères de l'informatique.

Je travaille avec plusieurs ordinateurs et de l'un à l'autre, il y a de petites différences dans le traitement des données de mon blog. Mais je renonce à me préoccuper de ça.

Bien à vous,

Carmilla