samedi 9 décembre 2023

Maître et Esclave : devenir humain par le conflit

 

La conflictualité est au cœur de l'esprit humain, disais-je dans mon dernier post. Dès que sont réunies au moins deux personnes, celles-ci sont vite portées par une irrépressible tendance à se quereller, s'affronter, même si c'est de manière feutrée. On a tous le souvenir de repas de famille explosifs, de pots de bureau où les meilleurs collègues en viennent à s'invectiver, voire de fêtes de mariages qui s'achèvent dans un grand déballage familial. La paix, on s'en lasse très vite, on préfère la guerre de tous contre tous. 


Cette guerre perpétuelle, c'est d'abord l'expression de notre besoin éperdu de reconnaissance, de notre "désir d'être désiré par l'autre". Ce "désir d'être désiré", ça peut apparaître une expression prétentieuse mais ça se rapporte à cette effroyable "dialectique" des relations humaines qu'a décrite le philosophe Hegel. On peut ainsi la résumer en quelques mots : l'homme se nourrit de désirs et il n'est humain que dans la mesure où il veut s'imposer à un autre homme.


Même si elle est très sombre, je crois qu'elle est profondément vraie: confrontés à quelqu'un d'autre, on essaie, d'emblée, d'établir une relation de domination - sujétion avec lui. On s'affirme, s'affiche, à telle fin qu'il nous "reconnaisse" comme son maître. On cherche, à tout prix, à se sentir désiré par celui que l'on cherche à dominer. Le regard de l'autre et la conflictualité façonnent, en fait, notre identité, la conscience que nous avons de nous-mêmes. Et ça va très loin: on engage, avec l'autre, une véritable lutte. C'est même une lutte à mort, tout de même pas physique mais du moins mentale, un meurtre psychique: on veut tuer, réduire à néant, l'individualité de l'autre. Et ce désir de meurtre, il concerne aussi bien le maître que l'esclave.


Ca passe évidemment, par des voies subtiles et sophistiquées et ça ne marche pas à tous les coups parce que c'est, parfois, le supposé inférieur qui prend  le dessus. C'est alors le triomphe de l'esclave. Mais, au total, c'est bien ce jeu cruel du dominant et du dominé, du maître et de l'esclave, avec tous ses renversements potentiels, qui règle la sinistre logique des relations humaines. On accède à l'humanité par le conflit. Refuser la lutte, c'est se condamner à n'être que l'instrument des autres.


Même si ça va à l'encontre de toutes nos convictions humanistes, il faut se rendre à l'évidence: considérer l'autre comme notre égal, ce n'est vraiment pas notre penchant naturel. L'homme qui serait bon par nature, c'est un grand mensonge. Dominer et assujettir l'autre, c'est plutôt notre inclination première. Et ça va bien sûr au delà des logiques individuelles. Ca s'étend à un groupe, voire à un Etat tout entier. Et le vaincu en perd tous ses repères propres au point de se placer sous la dépendance du maître.


Même avec ses amis les plus proches, même (et peut-être surtout) au sein d'un couple, ça fonctionne ainsi: il y en a toujours un qui cherche à se mettre en avant et à dominer les autres. 


Le conflit et le désir de reconnaissance font l'essence de la vie. Ca en fait même le sel et c'est, éventuellement, positif si ça aide à se construire, si les positions du maître et de l'esclave basculent et s'inversent régulièrement. Savoir se quereller, dans certaines limites, c'est souvent formateur. Par exemple, je m'engueule régulièrement avec ma copine Daria. On ne prend pas de pincettes, on se raconte même des horreurs mais ça n'a pas d'importance, ça ne nous affecte pas. On juge même ça positif  parce qu'il n'y en a pas une qui écrase définitivement l'autre. Je la reconnais ainsi comme plus forte, moins timorée, que moi dans beaucoup de domaines de la vie. Mais sa domination n'est pas totale parce que je crois qu'elle me juge plus experte dans d'autres domaines.


Mais le grand problème, ce qui fait, finalement, le malheur des hommes, c'est que, le plus souvent, les situations se figent. Les positions se bloquent, le maître et l'esclave sont définitivement en place. 


Et puis, il y a notre propre aveuglement vis-vis de cette mécanique universelle du conflit et du désir de reconnaissance. L'agresseur, en particulier, ne cesse de la nier. Il n'y participe pas, n'en est pas partie prenante. La preuve : il est tellement sympa, tolérant, convivial. Et d'ailleurs, il n'a que des amis formidables et de chouettes copains. Et surtout, il accorde la même attention à tout le monde parce que, bien sûr, on est tous égaux. 

Quant au dominé, il bat, généralement, bien vite en retraite: il se contente de ravaler silencieusement son humiliation. Il sait que s'il riposte trop vivement, il s'enfoncera davantage. Alors, il se tient coi et se conforme à cette relation inégalitaire au point de reprendre les goûts et opinions de son maître, de devenir, en tous points, comme lui.


Finalement, on s'accorde tous à vivre dans l'illusion de relations humaines entièrement pacifiées et égalitaires. Jamais, on ne cherche à dominer l'autre, affirme-t-on. On est incapables de considérer que cette belle proclamation n'est que le vernis social qui dissimule notre hostilité générale envers nos "frères humains". 


Cette hostilité, ça se joue, bien sûr, au plan symbolique. Mais on en fait quotidiennement l'expérience, dans nos échanges les plus anodins. Rien de plus humiliant ou plus gratifiant, par exemple, que d'avoir le dessus ou le dessous dans une discussion, une conversation. On veut, à tout prix, apparaître celui qui cloue, plutôt que celui qui se fait clouer, le bec.


D'emblée, l'autre m'irrite, m'horripile, me déstabilise. Il est un intrus dont j'ai l'impression qu'il cherche à remettre en cause mon identité, celle que je me suis forgée. Pour sauver sa peau, rester droit dans ses bottes, ne pas se sentir rabaissé, relégué, on cherche donc, tout de suite, à s'affirmer pour le contrer.



Bien sûr, on se casse parfois, souvent, la figure et on est finalement dominés. Mais je pense, vraiment, que ça ne doit pas porter à conséquence, qu'on doit plutôt tirer des leçons de l'expérience. C'est pour ça que je n'aime pas du tout l'esprit victimaire aujourd'hui tellement répandu surtout parmi les femmes. On devient apeurées, pétochardes, on prône une méfiance généralisée envers une foule de pervers et de manipulateurs qui nous entoureraient. Probablement... et même sans doute... mais, à se proclamer victime, le risque est de ne jamais sortir de ce statut, de s'exonérer de tout regard critique sur soi-même: les autres sont, certes, des méchants mais on est, aussi, un(e) méchante(e). 



Comment sortir de cette mécanique infernale ? Personnellement, j'ai horreur des conflits au point de m'enfermer souvent dans le silence. Mais cette attitude irrite, paradoxalement, beaucoup. Pourquoi, elle ne répond pas celle-là ? A jouer l'insaisissable, est-ce qu'elle se croit supérieure, au-dessus de nous, de la mêlée ?

Ca ne m'a pas fait changer d'attitude. En société, je refuse, en général, de m'extérioriser. Au point d'apparaître franchement pas drôle.


Mais ça n'est pas, non plus, une protection suffisante. On ne parvient jamais à se mettre hors-jeu. Et d'ailleurs, une multitude de fois, je me suis ramassée et je continue de me ramasser. Presque quotidiennement, quelqu'un cherche à m'humilier. Ca va du simple sifflement dans la rue aux remarques dépréciatives ou enjôleuses dans mon activité professionnelle: une tonne quotidienne d'horreurs ou de louanges aussi excessifs les uns que les autres. Ca a pu me bloquer, me tétaniser, autrefois, mais je me dis, aujourd'hui, qu'au moins j'existe. Que j'irrite, ça prouve que je suis vivante, que je ne perds pas le fil de la vie.  



Si ça fait plaisir à certains de considérer que je suis une conne ou une nulle, c'est peut-être bien. Ca conforte leur assurance ou leur doute. Il faut savoir accepter ça et y réfléchir. L'erreur, c'est de s'auto-justifier et, peut-être, de vouloir se corriger immédiatement pour se conformer à la pression exercée.


La reconnaissance, j'ai, bien sûr, moi-même pas mal carburé à ça. Je ne suis donc pas naïve. Comment peut-il en être autrement quand on vient d'un pays misérable dont on ignorait tout jusqu'à l'an dernier ? Dont l'image des femmes était celle de prostituées prêtes à tout ?


Comment se positionner, s'affirmer, dans pareil contexte ? Le problème de la plupart des femmes, c'est qu'elles se laissent, généralement, submerger par leur affectivité. Que leur sentimentalité, leur trop grande compassion, les met en situation de dépendance. On a trop peur de blesser, de faire du mal. Et puis, on est ravagées par le "désir d'être désirée" au point d'être prêtes à toutes les compromissions. On veut faire plaisir et on essaie de jouer la partition que l'on attend de nous; on cède finalement sur son propre désir au point d'adopter celui de l'autre. Mais on ne perçoit pas que c'est notre propre survie psychique qui est, ici, en jeu.


Il ne faut pas donner prise à l'adversaire, celui qui, voyant la brèche ouverte, n'hésitera pas à vous étouffer. Se montrer une fille sympa, souriante, avenante, se plier au désir de l'autre et non pas à son propre désir, c'est, en fait, redoutable, c'est le meilleur moyen de tomber sous emprise, de devenir esclave. 

Il ne faut pas apparaître en demande d'amour. Ne pas se révéler dans sa chair et dans son sang parce que "l'adversaire" saura, tout de suite, exploiter cette faille et qu'on s'engage, alors, dans des joutes sentimentales infinies. Apprendre, au contraire, à apparaître maîtrisée, quasi-abstraite, voire indifférente. La marquise de Merteuil, dans "Les liaisons dangereuses" est, à cet égard, exemplaire. C'est de cette manière que les relations de pouvoir peuvent devenir réversibles. Que l'esclave, la femme, peuvent, à certains moments, renverser la table.

Préserver sa capacité de penser et d'agir par soi-même, c'est finalement cela qui est le plus important..


Images de Franz Von Stück, Henri-Charles de Villeneuve, Delacroix, Frank Duveneck, Heinrich Füssli, Franz Sedlacek, Emile Vernet, Cuno Amiet, Edgard Maxence, Pierre-Jean Maurel, William Blake

Un post qui apparaîtra, peut-être, abscons mais j'avoue être fascinée par cette idée de la lutte pour la reconnaissance, de la dialectique du maître et de l'esclave. On sait que Marx avait repris cette idée à Hegel mais il l'avait outrageusement simplifiée en l'inscrivant simplement dans les rapports économiques et la lutte des classes. Hegel, c'est bien plus fort en développant un jeu symbolique et mortel. Je crois vraiment que l'esprit humain fonctionne comme ça. C'est une idée qui a, d'ailleurs, été largement reprise par la psychanalyse française (Jacques Lacan). C'est évidemment à mille lieux des thérapies actuelles du bien-être et de la pensée positive. Ca réclame une nouvelle lucidité: accepter le conflit et le canaliser

Hegel, entendons nous bien, on n'y comprend absolument rien, c'est décourageant, c'est, de loin, le philosophe le plus obscur. J'ai personnellement vite renoncé. Mais il a eu, dans les années 1930, un lecteur génial et énigmatique, d'origine russe, Alexandre Kojève. On a édité ses cours: "Introduction à la lecture de Hegel". Et là, c'est franchement lumineux avec, justement, des pages extraordinaires sur le maître et l'esclave.

En littérature, je n'ai pas trouvé grand chose inspiré par la dialectique du Maître et de l'Esclave:

- Michel Tournier: "Vendredi et les limbes du Pacifique". Un des livres les plus célèbres et les plus lus de la littérature française (notamment par les enfants avec une version dédiée). "Autrefois, il ne pouvait pas y avoir vraiment de dispute entre eux. Robinson était le maître. Vendredi n'avait qu'à obéir; Robinson pouvait réprimander ou même battre Vendredi. Maintenant que Vendredi était libre et l'égal de Robinson, ils pouvaient se fâcher l'un contre l'autre".

- Joyce Carol Oates : "La fille tatouée". Fascinante Joyce Carol Oates qui produit, chaque année, des livres retors et monstrueux. Montrer comment les êtres négocient avec la violence, ça indispose évidemment. C'est ce qui explique probablement les réserves du jury du Nobel de littérature.

- Philip Roth: cette thématique générale de l'affrontement et des rapports de domination irrigue l'ensemble de son œuvre.

- Jean-Paul Sartre: son œuvre serait profondément marquée par cette dialectique du Maître et de l'Esclave. Mais j'avoue que je n'ai quasiment rien lu de lui. J'éprouve, peut-être à tort, une sorte d'antipathie instinctive pour le personnage.

Enfin, il faut absolument essayer de voir le film "The servant" de Joseph Losey. L'intrigue est une illustration directe de la relation maître-esclave et se conclut par un renversement vertigineux.

17 commentaires:

Richard a dit…

Bonjour Carmilla

« La conflictualité est au cœur de l'esprit humain. »

Si on se fie à ce qui se déroule présentement dans le monde, les dominants s’en donnent à coeur joie, je dirais même que c’est une débauche de domination, il fallait voir le Maître du Kremlin en compagnie du dépeceur de Riyad, et le lendemain, il rencontrait le gros dominateur de l’Iran. Entre dominateurs, s’ils avaient le temps, ils pourraient eux-mêmes se sauter à la gorge. Mais, ils sont tellement dominants, qu’ils ne manquent pas d’ennemies, et surtout de vaste populations dominées. Et ils dominent outrageusement. C’est pourquoi il ne faut pas devenir leurs victimes. Demandez aux esclaves de Daesh, s’ils aiment et respecte leurs dominateurs, leurs maîtres, demandez aux femmes comment elles aiment la polygamie. Non seulement la conflictualité est au coeur de l’humain; mais l’humain est au coeur des conflits qu’il entretient. Et puis vous avez le choix, faire carrière dans le Hezbollah, ou dans le Hamas, ou encore chez Les Frères Musulmans. Les opportunités ne manquent pas! Le tout à la sauce religieuse à saveur très particulière entre le catholicisme orthodoxe et les djihadistes d’Allah, qui aujourd’hui se considèrent comme des alliés. C’est à qui domine qui? Le cousin de Moscou n’est pas très regardant, aujourd’hui il embrasse ceux qu’il combattait hier et qu’il combattra peut-être demain. Nous sommes dans le temps long et le temps long s’allonge dans un fouillis d’horreurs. N’oublions pas qu’ils vous laisse le choix, vous convertir à l’islam, mourir à la guerre, ou bien être décapité, dans le grand luxe conflictuel. Vu sous cet angle, la guerre en Ukraine, et le conflit en Israël, c’est peut-être juste le commencement d’une nouvelle époque où nous serons gâtés au niveaux des conflits, où nos petites disputes domestiques nous apparaîtrons bien fades. Remarquez qu’on ne nous laisse pas beaucoup de choix, il faudra sans doute plonger jusqu’au fond de la fosse à purin. Ce n’est pas le meilleur endroit pour faire de l’apnée. Ces gens-là, ne discutent pas, le débat n’est pas leur tasse de thé, aucun argument ne les touche, et ils ne s’en cachent pas, ils veulent te faire la peau. Point barre! Chez les musulmans cela se bouscule pour aller au paradis, mais personne ne se bouscule pour aller en Arabie Saoudite ou en Iran, et encore moins en Russie qui est loin d’être un paradis qui fait rêvé. Non, trois fois non, parce que sur le fond tout le monde rêve d’Amérique, parce que l’Amérique fait rêver, terre de toutes les possibilités qu’on jalouse à juste titre. On voudrait bien dans certaines officines remplacer le dollar américain, comme monnaie de référence, oui le remplacer, mais par quoi? Certes on déteste les américains et les canadiens, mais on aime bien leurs dollars. Allah n’est peut-être pas très éloigné de : In God We Trust, entre les dieux on sait se reconnaître. Ce n’est pas demain matin que les européens vont courir au bureau de change pour changer leurs euros pour des roubles! Je ne pense pas que la fortune de Jacques Sapir se compte en rouble! Pour l’heure nous restons dans les conflits, et rester dans les conflits c’est préférer ses ennemis. Rien ne vaut un ennemi, parce qu’il est honnête dans sa haine. Vaut mieux être bien détesté, qu’être mal aimé. Nous pouvons peut-être vivre sans amour, mais jamais sans la haine, cette époque en est un exemple éloquent!

Bonne fin de journée Carmilla
Richard St-Laurent

Carmilla Le Golem a dit…

Merci Richard,

J'envisageais plutôt la relation maître/esclave au niveau des relations interindividuelles. Mais ça fonctionne également, quoique de manière plus complexe, pour les relations entre Etats.

Il me semble que les conflits armés ont pris une nouvelle tournure inquiétante. Jusqu'alors, et disons depuis le 19ème siècle, les guerres étaient principalement justifiées par l'ambition coloniale et par la volonté d'exporter la civilisation occidentale et les valeurs démocratiques. Il y avait cette conviction, bien sûr critiquable, que l'on apportait les Lumières aux pays conquis, qu'on les aiderait à sortir de la misère et du sous-développement matériel et moral.

Mais depuis quelque temps, les conflits ont pour motif la haine et l'esprit de vengeance. On ne cesse de rendre l'Occident responsable et coupable de tous les maux. Une grande coalition de dictatures (Russie, Chine, Iran, une grande partie du monde musulman) se déclare en guerre contre l'Occident et ses valeurs. Ils n'ont, bien sûr, pas de contre-modèle à offrir si ce n'est un système ultra répressif ignorant le Droit.

Leur haine est si forte qu'ils en viennent, en effet, à s'acoquiner avec leurs pires ennemis d'autrefois (la Russie avec l'Iran et la Turquie par exemple).

Tous ces Etats n'ont, bien sûr, aucun contre-modèle à proposer mais leur propagande grossière marche, néanmoins, en partie. Leur succès tient d'ailleurs, pour une bonne part, à la condamnation des mœurs dépravées des Occidentaux.

Mais leur détestation a quand même des limites. Vous le soulignez bien. Où les ressortissants des pays du Golfe, de Chine, de Russie, de Turquie etc... rêvent-ils d'aller passer des vacances ? Certainement pas dans leurs dictatures puritaines mais dans les pays occidentaux. On déteste le dollar mais je ne suis pas sûre qu'on soit disposés à le remplacer par le rouble ou le yuan ou mieux (?) le bitcoin.

C'est inquiétant mais la situation est instable dans plusieurs pays: l'Iran explosera tôt ou tard, Erdogan sera bientôt remplacé de même que Orban en Hongrie.

L'important, c'est que l'Occident ne batte pas trop sa coulpe et sache défendre ses valeurs. A ce sujet, j'espère surtout qu'il ne faillira pas dans son soutien à l'Ukraine. Se résigner, renoncer, serait désastreux. Ce serait un effroyable message négatif.

Bien à vous,

Carmilla

Nuages a dit…

A propos de l'Ukraine, précisément, une vidéo de Xavier Tytelman, qui s'engage concrètement pour ce pays, et qui sonne l'alarme :

https://www.youtube.com/watch?v=XgWmkRGWMqw

Carmilla Le Golem a dit…

Merci Nuages,

J'aime bien Xavier Tytelman. Ce qui m'interroge d'ailleurs parce qu'il se proclame, par ailleurs, souverainiste (ce qui ne correspond pas à mes idées).

Cependant tous ses propos sur la guerre en Ukraine sont justes et il ne craint pas d'aller sur le terrain.

Ce qui m'énerve beaucoup, aujourd'hui, c'est que l'on répand un défaitisme généralisé concernant l'Ukraine.

Certes, la contre-offensive est au point mort aujourd'hui. Mais l'Ukraine n'a pas non plus reculé. Quant à la Russie, elle ne peut se prévaloir d'aucun succès militaire.

On parle également du coût exorbitant de la guerre pour les pays occidentaux. Mais personne ne prend la peine de regarder les chiffres. Les contributions des pays occidentaux à l'aide à l'Ukraine sont ainsi très faibles, sensiblement inférieures à 1% de leur PIB: seulement 0,32% pour les USA et 0,06 % pour la France. Cette semaine, l'UE doit se prononcer sur une aide de 50 milliards d'euros. Orban juge ça exorbitant mais personne ne fait la remarque que c'est insignifiant en regard du PIB total de l'Europe. D'autant que les sommes allouées seront probablement payées de retour à moyen-court terme.

Les médias occidentaux semblent contaminés, aujourd'hui, par le "narratif" russe. Je trouve ça désolant.

Bien à vous,

Carmilla

Richard a dit…

Bonjour Carmilla

Vous avez remarqué, nous traitons du même sujet, vous de manière individuelle, toujours très intéressée par l’individu; moi c’est au niveau de l’ensemble des sociétés; pourtant, nous arrivons souvent aux mêmes constatations. Vous êtes proche de l’humain comme unité, ce qui ne manque pas de se conclure par une influence sur une société, personnellement s’il n’y a pas de politique dans mon scotch, cela manque de caractère. Avec Maîtres/esclaves, l’Occasion était trop belle.

Effectivement, on ne fait plus la guerre pour des raisons matérielles, et encore moins pour des raisons morales; on fait la guerre pour supprimer, pulvériser, détruire, et l’évocation des fondement religieux, moreaux, ou politiques s’estompent dans les esprits, comme si la guerre était la guerre pour la guerre. C’est peut-être ainsi que nous sommes entrés dans une nouvelle phase qu’on n’arrive pas à comprendre parce qu’elle se transforme en absurdité. C’est plus violent que jamais et qu’il est aussi absurde de tuer un bébé dans un kibboutz que dans un village palestinien. Ça rime à quoi tout cela? On ne tue plus pour s’emparer d’un territoire, on tue pour tuer. Ce qui est en train de se transformer en une tendance dangereuse. Et dire que nous pensions en avoir terminé avec les génocides. Irrémédiablement, nous y sommes tous entraînés

Que deux individus se trappent sur la gueule à la sortie d’un bar un vendredi soir, c’est une chose, ou encore comme vous l’avez très bien indiqué par cette photo de Cassius Clay, alias Mohamed Ali, qui vient de planter son adversaire, ( en passant une très belle photo en noire et blanc), j’ignorais que vous vous intéressiez à la boxe. Mais que des groupes de combattants pénètrent dans un village et assassinent des gens sans défense, les mains attachées derrière le dos pour leur mettre une balle dans la tête, ça c’est autre chose, et n’en déplaise à certains, voilà notre nouvelle direction. Comme dirait certains : c’est l’incontournable.

Dans ce sujet grave, il y a quelque chose comme une perte. Sommes-nous en train de perdre le peu d’humanisme qui nous reste? Cassius Clay n’a jamais tué un autre boxeur, certes, certains diront ce n’est qu’un jeu, un sport, passé cette ligne, je me demande ce qu’est devenu le jeune soldat russe qui a participé au massacre de Boutcha, qui sait, il est peut-être décédé? Mais, il est peut-être bien vivant en train de vider sa bouteille de Vodka pour oublier.

Votre texte n’est pas une petit texte Carmilla, il nous interroge, il est à relire. Dans toute cette folie meurtrière, qui sait, nous serons peut-être les victimes suivantes, à moins que nous aussi, nous nous transformions en bourreaux. Est-ce que nous désirons protéger nos libertés, nos États de Droit, nos manières de vivre, notre soif de paix, de moins en moins étanchée?

Tout comme vous comme vous j’espère que l’aide à l’Ukraine ne faiblira pas, et s’ils ne sont pas parvenus à leurs objectifs au cours de l’année 2023, c’est qu’ils ont manqué de moyens. Voilà la réalité, et renoncer serait désastreux, j’espère qu’on ne se rendra pas là.

Bonne fin de journée Carmilla

Richard St-Laurent

Carmilla Le Golem a dit…

Merci Richard,

Votre point de vue est, bien sûr, entièrement légitime et d'ailleurs Karl Marx a été le premier à transposer, sur le plan politique, cette affaire de maître et d'esclave développée par Hegel. Ca a donné la lutte des classes et l'affrontement entre les prolétaires et les bourgeois capitalistes.

Néanmoins, si tout le monde admet sans difficultés ces rapports de domination avec cette lutte politique entre les riches et les pauvres, il n'en va pas de même quand on se situe au niveau de la psychologie individuelle.

On a du mal à admettre que, dans ses relations les plus banales avec les autres, on entretienne toujours un rapport de dominant/dominé, de maître ou d'esclave. Cela parce qu'en tant qu'humains, on est portés par un désir puissant qui est un désir de reconnaissance par l'autre. L'homme est désir, désir de reconnaissance, et personne n'échappe à ce jeu cruel. Je trouve ça une idée très forte et très juste qu'a totalement évacuée Marx. .

Cela dit, je reconnais qu'aujourd'hui, en matière politique, on a assisté à l'émergence de maîtres vraiment inquiétants. Ca contraste fortement avec les deux dernières décennies du 20èeme siècle: les principaux dirigeants des grandes puissances étaient alors plutôt "bonasses", il n'y avait plus de vrais maîtres. Aujourd'hui, on a Poutine, Trump, Xi Jinping, Erdogan et tous les partis d'extrême-droite de plus en plus puissants. Et les choses sont triviales: les maîtres sont devenus les maîtres parce que les autres lui ont cédé le pouvoir.

Et il faut remarquer que les nouveaux maîtres d'aujourd'hui assoient leur domination et la cohésion de leur société sur une dénonciation morale du plaisir et de la supposée dépravation des moeurs. "Regardez la jouissance et l'obscénité des autres, de l'Occident en particulier", disent-ils. Il s'agit pour eux de faire honte du désir, de promouvoir l'abstinence. Le monde est devenu incroyablement puritain mais presque personne ne s'interroge sur cette évolution.

Bien à vous,

Carmilla

Richard a dit…

Bonjour Carmilla

L’objet du plaisir!

Voilà, vous venez de mettre le doigt sur le sujet qui dépasse tous les autres, cette difficulté de non seulement de profiter du plaisir sous diverses formes, mais de l’assumer, d’être ce que nous sommes, des êtres de plaisirs, sans honte et sans contrainte. Le plaisir c’est un mécanisme puissant d’évolution, de devenir, de perfection, de conscience, et de liberté pour s’accrocher sans compromis à la vie. Nous n’avons qu’à penser à ce fabuleux domaine des arts porté par la puissance de l’imagination. Créer, c’est se faire plaisir. Découvrir c’est plonger dans le plaisir, on n’a qu’à voir tous ces peintres que vous nous présentez semaine après semaine, ces gens-là, ils ouvrent aussi souvent qu’ils le peuvent la porte de leur atelier pour en premier lieu se faire plaisir, puis reprendre le travail de la veille, ou bien, créer quelque chose de complètement nouveau. L’invention est un plaisir pour l’humain. Mais, il y a des êtres et surtout des sociétés, qui ont un commerce biaisé avec le plaisir, exemple l’Église Catholique, a toujours eu une relation ambigu avec le plaisir, parce que le plaisir a été édifié en faute, certains systèmes politiques ont repris le relais même s’ils se disaient athées, ce qui a donné le communisme d’essence totalitaire. Le communisme a sombré, mais le totalitarisme est resté. À ce chapitre inventer le communisme, ou bien, la faute originelle, sur le fond, c’est une condamnation du plaisir. Je remarque que lorsque je visionne un documentaire sur la Russie, que les russes ne sourient pas, du moins très rarement, et s’ils leur arrivent se sourire, c’est comme leur maître, dans cette esquisse de sourire, il y a comme une crispation comme s’ils allait avoir une crampe au visage. En Chine non plus, il me semble que ça ne sourit pas beaucoup. Je sais, le plaisir fait rêver, mais des types comme Poutine, Xi Jinping, Erdogan, Orban, sont loin de faire rêver. Pas de plaisir pas de rêve. Mais le rêve est encore plus dangereux que le plaisir pour ces régimes. Ils sont le biens, nous sommes le mal, mais ils n’en reste pas à la dialectique, non seulement ils désirent nous dominer, mais nous exterminer. Voilà une bonne raison de s’enlever les doigts dans le nez. Xavier Tytelman l’a bien souligné dans sa présentation produite à bord d’un train, la situation est dangereuse, et les pays occidentaux se doivent d’agir rapidement. À moins que les pays occidentaux refusent le plaisir, l’inventivité, et la liberté. Et comme l’affirmait Gauthier Rybinski : nous sommes tellement gavés de démocratie que nous ne savons plus ce qu’est la démocratie. Et, voilà que Orban vient de semer la chaos dans l’Union Européenne. En cela je reprendrais la phrase de Michel Eltchaninoff, lu dans le Philosophie magazine de décembre 2023 et janvier 2024 :  « À force de barboter dans la nuance, on risque de s’accommoder de l’intolérable. » C’est étrange comme on s’éloigne rapidement du plaisir, il ne faudrait pas trop s’en éloigner, on risque de le perdre de vue, parce que dans cette aventure nous risquons de perdre beaucoup, parce que nous sommes timorés, paresseux, indifférents et lâches. Voilà ce qui explique les difficultés des Ukrainiens sur le champ de bataille : un manque de moyens, un vulgaire manque de moyens. Je l’ai mentionné dès le début de ce conflit en Ukraine, qu’on avait intérêts à régler ce conflit rapidement surtout par la force, nous aurions sauvé beaucoup de vies humaines, et le Hamas n’aurait pas bouger en Israël.
Quoi qu’il en soit, merci Carmilla pour vos nombreuses réflexions, c’est toujours un plaisir de vous lire et encore plus de vous écrire, même au coeur de sujets douloureux. Bonne fin de journée!

Richard St-Laurent

Carmilla Le Golem a dit…

Merci Richard,

"Ils rient quand ils se brûlent"; j'ai entendu récemment cette expression et je trouve qu'elle s'applique bien aux Russes. Il faut savoir, en effet, qu'il n'est pas bien considéré de sourire en Russie: ça fait "plouc", "benêt" ou "américain" estime-t-on. D'où ces gueules patibulaires dans les rues. Mais c'est une attitude qui remonte à très longtemps, antérieure même, je crois, au communisme. Ce qui fait que les Russes n'en ont pas eux-mêmes conscience. Quand je leur dis qu'ils ont l'air sinistre, ça les étonne et les vexe. Mais je ne suis pas sûre, moi-même, d'être très souriante.

Par ailleurs, des maîtres, des vrais maîtres inflexibles, c'est sûr qu'on a assisté à leur renaissance au cours de ces deux dernières décennies. Ce sont des maîtres qui, rien que par la parole, font obéir tout le monde. Rien à voir donc avec les "mous" que sont Macron, Biden ou Scholz; ceux-là, plus ils parlent, moins on les écoute.

Mais les nouveaux maîtres tiennent leur communauté parce qu'on ne discute pas et surtout qu'on ne se dissipe pas: pas de plaisirs, pas de fantaisie. Il s'agit de bosser et de mettre, hors la Loi, tous ses désirs. Pour cela, les nouveaux maîtres montrent du doigt ceux qui s'amusent et prennent du bon temps: "regardez ces feignasses et ces jouisseurs". Il s'agit de leur faire honte.

L'extrême puritanisme affiché de ces nouveaux dirigeants est ainsi significatif (Hitler s'affichait lui-même extrêmement vertueux et irréprochable). C'est bien entendu d'une hypocrisie totale et ne dit rien de l'état réel des moeurs d'un pays. Je puis ainsi vous assurer qu'en Iran et en Russie, les gens ne sont nullement vertueux. Mais ce qui est grave, c'est que la relative permissivité débouche souvent sur la violence. Pas question que "me too" s'invite là-bas. C'est peut-être cela d'ailleurs: les nouvelles dictatures s'appuient sur une forte répression des mouvements féministes.

Quant à l'Ukraine, je préfère ne pas en parler en ce moment. Il me semble qu'on est dans un brouillard complet.

Bien à vous,

Carmilla

Richard a dit…

Bonjour Carmilla

Au contraire, il faut en parler, il ne faut pas cesser d’en parler, parce que le danger se rapproche, et ce que vivent les Ukrainiens présentement nous regarde au plus haut point. Le chapitre deux, c’est que le Hamas a attaqué. L’axe, Moscou, Téhéran et Pékin semble se solidifier. Et l’on vient d’ouvrir le chapitre trois, ça brasse en Mer Rouge, dans le golfe d’Aden, dans la mer D’Oman, c’est contre toutes les lois internationales de la diplomatie et du commerce. Je fais remarquer en passant, qu’il n’y a pas seulement les navires appartenant à des Juifs qui sont visés : n’importe qui peut être envoyé par la fond, n’importe quand. Le tout collé sur la poudrière africaine. Ça commence à faire beaucoup de monde à la messe. Plus le chaos sera grand, plus cela favorisera les agresseurs de l’est, ceux qui ont attaqués et ceux qui vont attaquer. Le but semer la confusion. Visiblement tout ce qui a été annoncé comme aide à l’Ukraine n’a pas été livré. C’est le moins que l’on puisse dire. Comment comme citoyens occidentaux ne pas se sentir responsables? Moins nous en faisons, plus cela nous coûtera cher dans le temps. Non seulement nous serons responsables de la défaites de l’Ukraine, si cela devait malheureusement se produire, mais coupables par omissions de ne pas s’être impliqué. Et les marchands de tapis ne manquent pas, d’Orban en passant par certains Républicains aux USA, avant de se farcir Erdogan en Turquie, qui manigance on ne sait quoi.

Pas besoin de se cacher, la réalité c’est que les nouvelles ont été mauvaises pendant toute l’année 2023. Et, cette actualité internationale risque d’être déplaisante encore pendant une longue période. Peu importe ce qui va se dresser devant nous, nous n’aurons pas d’autres choix que de l’affronter, surtout si le Hamas, le Hezbollah et autres groupes du même acabit nous tombe dessus. Il semble bien qu’on n’y échappera pas. À ce chapitre, je pense que vous en connaissez un bout en France sur ces genres d’attaques terroristes. C’est loin d’être rassurant. Lorsque ces genres de propos commencent à faire surface, il y a de quoi perdre le sourire. Nous pouvons perdre le sourire, mais nous n’avons pas le droit de perdre notre confiance, si non, nous ne méritons pas la vie que nous vivons. Je le sais d’expérience que le brouillard est un état dangereux, ou bien tu sors de là, ou bien tu luttes tout en ignorant si tu vas t’en sortir vivant. Ça vaut au propre comme au figuré. Les Ukrainiens désiraient un état moderne, maintenant, ils sont à la tâche depuis presque deux années, à essayer de sauver leur peau, et je puis comprendre que des fois, ils doivent se sentir abandonnés. Comment ne pas avoir de compassions pour eux? J’admire leur courage et leur détermination et je puis comprendre leurs périodes de découragement, ce qui est parfaitement normal pour un humain, après toutes les pertes qu’ils ont subi, toutes les destructions, tous les blessés et les morts, avec toujours la peur au ventre, le doute qui vous mine, et l’insoutenable incertitude. Je me dis, que Zelenski ne devrait pas être obligé de courir le monde pour supplier. Ce marchandage à la longue c’est humiliant, que d’être obligé de quêter pour simplement survivre. Au moins, il y en a un qui ne veut pas devenir esclave, et c’est tout à son honneur! Nous n’avons pas besoin de Maître; nous n’avons qu’être les maîtres de nous-mêmes.

Je sais qu’il n’y a peut-être pas beaucoup de raisons de sourire, mais peu importe il faut avancer.

Bonne fin de journée Carmilla

Richard St-Laurent

Carmilla Le Golem a dit…

Merci Richard,

Chaque matin, dès mon réveil, je consulte toutes les informations possibles sur la guerre en Ukraine.

C'est absolument décourageant. On a l'impression que les médias occidentaux reprennent la propagande russe suivant laquelle l'Ukraine est sur le point de s'écrouler et de capituler tandis que la grande Russie survole les difficultés et se révèle, chaque jour, plus glorieuse et plus puissante.

Pourtant, pour autant que je sache, si l'Ukraine n'a pas progressé, elle n'a pas non plus reculé. Et la Russie n'a pas, non plus, bougé d'un pouce. Il n'y a donc guère de raisons de triompher d'un côté ou de l'autre.

Ce que je sais tout de même, c'est que la population ukrainienne commence à être épuisée, déprimée, traumatisée.

On n'imagine pas d'abord les conséquences d'une guerre qui ravage, depuis bientôt 2 ans, tout un pays, y compris la population civile. Les Français n'ont pas vraiment connu cela, au cours de la première puis seconde guerre mondiale: à l'écart du front, la vie demeurait à peu près normale.

Mais en Ukraine, chacun, à tout moment, peut, n'importe où, se prendre un missile sur la tête. Il y a une inquiétude permanente.

Et puis, il y a les incessantes coupures d'eau, d'électricité, de chauffage et le pays sombre, peu à peu, dans la ruine et la pauvreté.

Et aussi, il y a l'avenir. Comment pourra-t-on vivre dans un pays détruit, traumatisé, dont la jeunesse a été massacrée ? Il y aura forcément un ressentiment immense. Retrouver une vie normale, ça prendra toute une génération. Et plus cette guerre dure, plus c'est sombre et lugubre.

Ma seule certitude, c'est que les Ukrainiens n'accepteront jamais de conditions de paix qui ne feraient pas droit à leurs normales revendications.

Bien à vous,

Carmilla

Richard a dit…

Bonjour Carmilla

Chaque jour je me livre au même exercice que vous, je consulte, je lis, je m’informe.

Ce qui est frustrant et inquiétant à la fois, c’est que les problèmes des politiques internes aux USA sont en train de saper tous les efforts que les Ukrainiens ont fait depuis deux ans; et pire, l’Union Européenne est incapable de prendre le relais à cause de Orban en Hongrie. Il y a 61 milliards de dollars aux USA qui sont figés, et 50 milliards d’euro en Europe de bloqués, et pas moyen d’y toucher. D’autant plus que c’est étrange, les deux phénomènes se produisent en même temps. On dirait que le tout a été orchestré! Cela se produit juste après l’attaque du Hamas. Je trouve que cela fait beaucoup de coïncidences en même temps. Mais comme vous le mentionnez, tout n’est pas joué, et les Ukrainiens savent qu’ils n’ont pas fait tous ces sacrifices pour rien, si non, se serait désolant. Mais plus désolant encore se sont les réactions des médias occidentaux, autant en Amérique qu’en Europe, voilà six mois La Russie était fini et aujourd’hui l’Ukraine va perdre la guerre. Faut pas s’y méprendre et faire la part des choses, on sait quand un guerre débute, mais on ignore quand et comment elle se terminera. Et celle-ci, est loin d’être terminé, le Hamas a allumé un incendie au Moyen-Orient, et comme tout allumeur, il est incapable de l’éteindre. D’autre part, toutes ces mauvaises nouvelles nous permet de savoir vraiment qui sont nos alliés, ce qu’ils valent, et s’ils sont fiables. À ce sujet je suggère la lecture de Françoise Thom sur comment la Russie veut saper le soutien des occidentaux, là on n’est pas dans la représentation, on est dans une analyse sérieuse, texte qui date du 16 septembre dernier. En plus de l’information quotidienne, voilà ce que je cherche, des analyses, des gens qui réfléchissent et qui ont des choses à dire, et qui ne se contente pas des gros titres. Lorsqu’on fait le tour, on s’aperçoit très rapidement que de tels penseurs ne sont pas nombreux. Le reste des journalistes, c’est du spectacle, du sensationnalisme, tout ce qui les intéressent c’est se gaver du malheur des autres, ils ne veulent rien savoir ni des causes, ni comment on en est arrivé-là, et comment nous allons nous en sortir. Et lorsqu’ils n’ont rien à se mettre sous la dent, ils s’ennuient. Il ne faut pas oublier les fausses nouvelles, les rumeurs, les coups fourrés, la propagande, une guerre, cela se joue sur plusieurs échelons. On ne peut pas oublier les civils qui sont au prise avec des problèmes multiples du quotidien. Je pense aux femmes avec les enfants qui doivent sortir pour aller chercher de l’eau, ou quelques débris de bois humide pour essayer de se chauffer, au moins chasser l’humidité, sans oublier les problèmes d’hygiène comme se laver et changer de vêtements, trouver quelque chose à manger, s’occuper des enfants, toujours la peur au ventre, aussi de l’inquiétude de na pas avoir de nouvelles de son mari parti combattre. Tout cela est bien lourd à porter, sans oublier aussi les vieux et les vieilles qui se traînent misérablement. Non, vraiment, il n’y a rien à négocier, surtout pas avec ces genres de racailles qui bombardent sans discernement. Thom évoque dans ses textes un autre Katyn. Les journalismes se taisent, ils évitent d’employer un mot terrible, c’est tout simplement de l’extermination. Qu’on se le dise, ce n’est pas autre chose que de l’extermination. Je bouille lorsque j’entends parler de négociations. Vous avez raison, c’est sombre et lugubre, et cela risque de ne pas s’arrêter à l’Ukraine. Le pire présentement, c’est que tout cela s’étend au travers du monde. Il ne faut surtout pas perdre courage, les prochains sur la listes, c’est peut-être nous autres! J’ose croire que nous pourrons être digne de répondre. J’ai apprécié vos chiffres sur PIB de l’aide américaine et française, le moins qu’on puisse dire, ce n’est pas faramineux. Nous sommes capables de faire beaucoup mieux.

Merci pour votre commentaire très humain!

Richard St-Laurent

Nuages a dit…

Je ne connais pas bien la question, mais apparemment il y a des combattants ukrainiens qui sont sur le front depuis le début, donc depuis près de deux ans. Une partie sont volontaires, mais d'autres sont mobilisés, je ne sais pas en quelle proportion ni sur quels critères. Nombre de ces combattants sont épuisés, alors que d'autres hommes, nombreux, continuent à mener une vie normale à "l'arrière".

Cela a suscité des tensions récemment, concrétisées par des manifestations de femmes qui demandent que leurs pères, leurs maris, leurs fils, puissent rentrer chez eux (sans oublier les femmes combattantes).

Quelle est la part de la population qui pourrait être mobilisée, en plus de celle qui combat actuellement ?

D'autre part, il faut évidemment que l'Occident livre plus rapidement le matériel et les munitions nécessaires. Peut-être que les sommets récents entre Zelensky et des chefs d'Etat occidentaux permettront de progresser dans ce sens.

Carmilla Le Golem a dit…

Merci Richard,

On a effectivement l'impression que les médias occidentaux reprennent maintenant la propagande russe. On annonce déjà la victoire prochaine de Poutine et on en déduit, évidemment, qu'il ne sert plus à rien de financer, à fonds perdus, l'Ukraine. C'est un retournement complet alors même que, sur le terrain, la Russie n'a engrangé aucun résultat significatif.

C'est malheureusement très dangereux parce que ces élucubrations deviennent vite des prophéties auto-réalisatrices.

Et il est vrai que Poutine recommence à plastronner. Il vient d'être reçu avec faste par ces deux grandes démocraties que sont l'Arabie Saoudite et les E.A.U.. Il va jusqu'à annoncer la victoire et reprend ses objectifs initiaux: annihilation politique complète de l'Ukraine par la force.

Il faut reconnaître que la situation est maintenant très difficile pour l'Ukraine: manque de soldats et manque de munitions. L'inégalité du rapport des forces est considérable. Et puis Poutine veut obtenir un succès, à tout prix, avant les élections. Dans la situation actuelle, la seule ambition des Ukrainiens est donc, aujourd'hui, de simplement "tenir" le front, en attendant des jours meilleurs.

Il y a donc un incontestable changement d'ambiance générale. Mais attention: les prophéties ne sont pas toujours auto-réalisatrices. Elles peuvent se révéler auto-destructrices. Quand il a lancé sa guerre, Poutine était convaincu de régler l'affaire en 10 jours.

Bien à vous,

Carmilla

Carmilla Le Golem a dit…

Merci Nuages,

Je confirme vos informations.

Le premier problème de l'armée ukrainienne est, en effet, celui du niveau de ses effectifs.

On ne dispose d'aucune évaluation chiffrée fiable du nombre de ses soldats engagés. Mais c'est sûr que, par rapport aux plus de 600 000 soldats russes avancés par Poutine (recrutés dans les prisons et dans les contrées déshéritées avec des rémunérations alléchantes), la disproportion est énorme, dans un rapport d'au moins 1 sur 2. L'armée ukrainienne se dit souvent submergée par des flots de soldats russes envoyés "à l'aventure" comme des viandes de boucherie. En outre, l'armée russe ne fait rien pour récupérer ses morts et ses blessés (ce sont des opérations très dangereuses et très coûteuses en vies humaines pour l'armée ukrainienne).

En principe, tous les hommes, jusqu'à l'âge de 60 ans, sont mobilisables. Sont exemptés: ceux qui ont entamé un cycle d'études et ceux qui occupent une fonction essentielle à l'économie ou au fonctionnement de l'Etat.

C'est sûr que de plus en plus d'hommes essaient aujourd'hui de se soustraire à l'armée. Il n'y a plus l'enthousiasme du début parce qu'on s'est rendu compte que cette guerre devenait, sur le front, une horreur absolue, une épouvantable boucherie.

Mais je précise, aussi, qu'à l'arrière, on ne continue pas vraiment à mener une vie normale. C'est une image trompeuse trop diffusée par les médias et qui m'agace beaucoup. C'est simplement formulé parce qu'il y a des cafés et des restaurants ouverts et, quelquefois, quelques spectacles offerts. Mais on ne dit rien de la misère générale dans chaque ville, de la mal nutrition de la population, de la quasi non scolarisation des enfants, des coupures d'eau, de chauffage, d'électricité, d'internet. Et puis de l'angoisse des bombardements quasi quotidiens sur les villes. Personne n'est sûr d'être encore en vie demain. La vie n'est donc vraiment pas normale à l'arrière. Je puis vous assurer que l'ambiance est, au contraire, ultra-dépressive. On ne voit plus trop d'avenir, ni à court, ni à moyen-long terme.

Il y a donc pas mal de déserteurs (ça demeure facile de franchir illégalement la frontière) et aussi, sans doute, de passe-droits et de corruption. Difficile de condamner ça quand on n'est pas directement concernés.

Zaloujny, commandant en chef de l'armée, a dénoncé ça. Mais c'est plus facile à dire qu'à faire.

C'est sûr, néanmoins, que ça devient le problème majeur de l'armée ukrainienne. Il paraît (mais c'est invérifiable) que la moyenne d'âge des soldats ukrainiens serait supérieure à 40 ans. C'est évidemment très inquiétant. Il n'y aurait bientôt plus de soldats pour utiliser les matériels fournis.

Je tiens enfin à rappeler (parce qu'on en parle trop peu) qu'il y a beaucoup de femmes qui se sont engagées dans l'armée ukrainienne (y compris dans les unités combattantes). Je ne suis pas sûre que les féministes d'Europe de l'Ouest feraient de même.

Bien à vous,

Carmilla

Richard a dit…

Bonjour Carmilla

Ce qui me fâche, se sont tous ces atermoiements, ces recherches constantes de compromis vaseux, à la recherche d’une porte de sortie honorable qui ressemblent à une mauvaise fuite. Ce qui serait une reconnaissance que nous les occidentaux nous sommes incapables de défende et de protéger nos valeurs, nos systèmes politiques, nos pluralités, et que tous agresseurs peut nous humilier à sa guise. Cette mauvaise fuite se transforme en soumission, et dire qu’ils y a des gens, mais aussi des politiques qui sont prêts à ces gestes abjectes. Se serait jeter à la poubelle tous ce que nous avons fait depuis deux ans, et pour les Ukrainiens des sacrifices inutiles après tant de souffrance. Tout ceci est abjecte, surtout dans cette croyance, dans le but de revenir à la vie d’avant, à ses petits conforts, pour ne pas dire à ses petites gâteries en pensant que tout s’arrêtera. Il faut oublier tout cela, le monde d’hier ne reviendra pas pendant que nous fonçons vers le futur vitesse grand V. Dans la vie comme dans la guerre, on s’engage, ou bien, on ne s’engage pas. C’est aussi simple que cela. Nous avons pris la décision de soutenir l’Ukraine et bien on soutient l’Ukraine jusqu’au bout. On respecte notre parole. Il n’y a rien à négocier, surtout lorsque ce type nous dit, il y a seulement 48 heures : que si l’Ukraine veut faire partie de L’union Européenne qu’elle y aille, puis 24 heures plus tard, avance que il n’y aura pas de de négociation sans avoir (dénazifiez, et vaincu totalement l’Ukraine). Comment négocier avec un tel individu? Quand comprendrons-nous qu’il n’y a rien à négocier? Négocier exige une certaine confiance. Et cette confiance présentement n’existe pas. Tout ce que l’on fait présentement, c’est de se promener avec les pantalons sur les chevilles. Ce qui est ridicule et par très indiquer pour courir. Pour le dire autrement, nous avons l’air stupide. Ce qui a fait dire à madame Merkel lorsqu’elle était aux affaires, et qui avait des relations assez rapprochées avec Poutine : « qu’il n’était jamais aussi dangereux lorsqu’il vous faisait des compliments en souriant. » Poutine sourit souvent présentement. Voilà la situation, cette incontournable réalité détestable, que nous sommes non seulement incapables d’affronter, mais surtout, que nous ne voulons pas affronter, d’où nos atermoiements. C’est un état d’esprit détestable, surtout lorsqu’on se livre à de telles futiles balivernes, alors qu’à l’autre bout, des gens souffrent et meurent tout simplement parce qu’ils ont été agressés. Faire croire à quelqu’un qu’on va l’aider pour finalement l’abandonner, c’est de la trahison! Pendant que les occidentaux se tripotent ensemble, Poutine sourit. Il n’y a pas de porte de sortie, il n’y a qu’un gouffre. Malgré tous les commentaires défavorables cette histoire est loin d’être terminée, tout n’est pas joué, il y a encore un long chemin avant que la conclusion se pointe. C’est à nous de faire surgir cette conclusion, surtout à notre convenance et à celle des Ukrainiens. Nous sommes entrées dans une phase où le destin nous interpelle et il nous commande d’aller jusqu’au fond de cette histoire malheureuse. C’est plus que notre devoir, c’est notre obligation.

Bonne fin de journée Carmilla

Richard St-Laurent

Richard a dit…

À tous ceux que cela intéresse, et ça devrait tous nous intéresser…

https://desk-russie.eu/2023/09/16/le-deuxieme-front.html

https://desk-russie.eu/2023/10/14/le-vortex-dautodestruction-dans-lh

https://desk-russie.eu/2023/10/17/pourquoi-poutine-choisit-le-chaos.html

Trois textes de Françoise Thom très pertinent, certes pas faciles à avaler, mais lucides, qui ne sont pas dans la représentation médiatique du loisir et de la distraction.

Bonne lecture et surtout bonne réflexion

Richard St-Laurent

Carmilla Le Golem a dit…

Merci Richard,

Je souscris, bien sûr, à l'intégralité de vos propos.

Malheureusement, vous ne prêchez ici que face à des convaincus.

Parce que le problème, c'est que l'immense majorité des gens est à peu près indifférente à ce qui se passe en dehors de son quartier, de sa région, de son pays. Et cette attitude n'est pas forcément condamnable.

J'entendais une Ukrainienne qui disait: il faudrait que Zelensky dise devant le Congrès américain ou devant le G7: "Vous vous souvenez du 11 septembre à New-York ? Est-ce que vous aviez alors cherché à contextualiser, à comprendre, à trouver une solution diplomatique négociée ou une riposte graduée qui ne froisse personne ? Non ! Parce que vous aviez compris qu'il s'agissait d'une guerre contre l'humanité. Et bien nous, en Ukraine, c'est tous les jours que nous vivons un 11 septembre".

Je n'ai rien à ajouter. Enfin si : J'ai entendu Poutine déclarer, jeudi dernier à l'occasion de sa rencontre-bilan avec le peuple, que la Russie se proposait pour installer des hôpitaux russes venant au secours des populations. En Ukraine ? Bien sûr que non mais sur le territoire de Gaza. Personne n'a bronché face au loup généreux qui propose de garder des agneaux. C'est d'autant plus glaçant.

Bien à vous,

Carmilla