samedi 30 décembre 2023

"Heureusement que cette vie est la seule"


 C'est maintenant l'époque des bonnes résolutions. Chacun cherche à corriger, plus ou moins, le cours de son existence, mais c'est rarement couronné de succès. Rapidement, on se laisse à nouveau entraîner par nos humeurs; on préfère demeurer inconséquents et continuer de se sentir ballotés, tiraillés, par ce que l'on croit être notre Destin. Autant en prendre son parti: s'amender, ce serait impossible.


Mon antidote à cette résignation, c'est cette petite phrase d' Arthur Rimbaud (Correspondance 1881):

"Heureusement que cette vie est la seule et que cela est évident".

Pas de plus belle profession d'athéisme radical.


On en a bien besoin. Parce qu'en effet, de quoi crève-t-on aujourd'hui si ce n'est d'un vieux fond moral et religieux (d'un vieux fond victimaire) qui ne cesse de nous renvoyer à un supposé déterminisme ? Tout serait écrit, il n'y a pas de hasard, se dit-on. Ou alors, on déclare que les dés sont pipés, que nos comportements sont imprégnés de notre entourage familial, des traumatismes de notre enfance  ou de notre classe sociale. Ces idées, bizarrement, rassurent et réconfortent la plupart d'entre nous. C'est pour ça qu'on est tellement conservateurs, tellement timorés et qu'on se plie si facilement à la tyrannie de l'opinion commune et de la bienséance.


Et puis, quant à atteindre le bonheur, on a tous intégré, quoi qu'on en dise, les vieux préceptes religieux. D'abord, le bonheur se situerait dans un futur indéterminé, il serait sans cesse à venir. Et puis, il faudrait le mériter, être un disciple ou un militant fidèle, savoir refouler ses désirs et envies. La vie serait donc une longue Pénitence, il faudrait se priver, faire des sacrifices, des efforts démesurés. En contrepartie, les religions nous ont concocté un "au-delà" destiné à nous consoler de nos souffrances terrestres. Après la déception, la satisfaction.


La vraie vie, la vie heureuse, serait carrément "ailleurs", dans un futur supposé: au Paradis, pour les Chrétiens et les Musulmans. Mais ce fichu Paradis est décidément plus attrayant du côté islamique. On y goûte tous les plaisirs matériels dont on a jusqu'alors été privés tandis que dans le Paradis chrétien, on se contente de célébrer la gloire de Dieu, ce qui apparaît bien ennuyeux. 


Et puis, il y a la menace de l'Enfer et là, c'est carrément terrifiant parce qu'on a tous quelque chose à se reprocher. Heureusement, on a inventé le Purgatoire (qui existe même chez les Musulmans sous la forme d'un passage transitoire de chaque croyant en Enfer) qui permet de ne pas complétement désespérer.


Quoi qu'il en soit, avec cette idée de Paradis, il y a bien une dépréciation de notre existence présente, de notre vie immédiate. Les conséquences psychologiques, mentales, en sont considérables; A quoi bon entreprendre ici-bas ? Mieux vaut ne rien faire et se tenir, le plus possible, à carreaux, pour qu'on n'ait, après notre mort, rien à nous reprocher.


De ce point de vue, le marxisme a su proposer à l'humanité une solution séduisante. Plutôt que de s'en remettre à nos décisions individuelles pour accéder au Paradis, ne vaut-il pas mieux tabler sur la grande volonté collective du Prolétariat qui permettra de conquérir, ici-bas et sans attendre, le Paradis  du socialisme ouvert à tous les damnés de la terre ? Il y a, ainsi, un messianisme judéo-chrétien chez Marx. Mais ça explique aussi qu'il prône une morale socialiste férocement répressive. Les Paradis marxistes, ça ne rigole vraiment pas. Et que dire des militants gauchistes occidentaux ? Bizarrement, ils m'ont toujours beaucoup draguée, croyant, peut-être, que j'étais une sympathisante naturelle. Mais je me suis, à chaque fois, dépêchée de les éconduire vertement.


Il est vrai que le Bouddhisme offre d'autres perspectives. Un Chrétien ou un Musulman jouent leur salut sur une seule existence. Le Bouddhiste, lui, il est pris, dans le "Samsara", l'implacable transmigration qui entraîne chacun de nous dans un cycle d'existences successives. Rien n'est donc définitivement joué, on peut espérer se rattraper dans une incarnation nouvelle et même, in fine, sortir de cette mécanique infernale, ne plus renaître, ne plus avoir aucune forme d'individuation, atteindre le Nirvana. Devenir un autre, ça peut même être une perspective carrément intéressante: devenir, par exemple, une "femme du monde" ou un "tueur à gages". C'est déjà moins exaltant d'être transformé en cancrelat ou en "âne bâté".


Quoi qu'il en soit, ce que je trouve fascinant dans le bouddhisme, c'est qu'il suscite une compassion générale envers l'ensemble du monde vivant. Il exige une solidarité avec toutes les espèces, même les bêtes de somme, même les insectes, même les "nuisibles", même les "vermines". Dans le regard implorant de cette vache que l'on conduit, sous les coups, à l'abattoir, est-ce que je ne reconnais pas celui qui a été, dans une vie antérieure, un frère en humanité/indignité ?


Krishna écrit ainsi, évoquant la Grande Roue de la Réincarnation: 

"Le Soi passe d'un corps à l'autre:
Après la mort du corps, il s'incarne dans un autre.
Qui connaît le Soi comme indestructible,
Comme éternel, non né, inaltérable,
Cet homme ne tue pas, ô Arjuna,
Cet homme ne fait pas tuer"



C'est admirable bien sûr, ça donne même envie de devenir bouddhiste. Mais cette perfection, elle relève de la religion, d'un ascétisme moral. Elle réclame notre absolue soumission à des idéaux qui brident notre existence et nous deviennent rapidement intolérables. On échoue généralement à être des saints. Est-ce d'ailleurs souhaitable ?


George Orwell écrit dans ses "Réflexions" (parues en 1949) sur les mécanismes du totalitarisme: "La sainteté est elle-même une chose que les êtres humains doivent éviter". Ce qui lui permet de juger les buts fondamentaux de Gandhi et de Léon Tolstoï "anti-humains et réactionnaires".


Dégager notre conduite de toute soumission à des valeurs religieuses ou morales, ça a été l'objectif du philosophe Nietzsche avec sa théorie de l'Eternel Retour du même. L'Eternel Retour du même, ça semble farfelu mais bien sûr qu'il n'y croyait pas lui-même. Mais c'est une perspective suffisamment effrayante, suffisamment intolérable, pour nous inciter  à réorienter complétement nos vies. Revivre à l'infini pas seulement les périodes exaltantes de notre vie mais, aussi et surtout, ses instants les plus minables et médiocres, c'est, en effet, désespérant d'y penser. Pris dans l'Eternel Retour, on voudrait sans cesse modifier l'écoulement du temps, ce qui provoquerait une frustration immense.


On peut donc résumer l'Eternel Retour en un simple précepte: "Mène ta vie de telle sorte que tu puisses souhaiter qu'elle se répète éternellement".


Avec Nietzsche, on est à mille lieux des idées de réincarnation ou d'un avenir radieux que nous confectionneraient de nouveaux maîtres ou des dirigeants politiques.


Notre avenir, notre Destin, il ne dépend pas des autres mais de nous-mêmes. C'est une évidence que l'on a, aujourd'hui, trop tendance à effacer. Notre malheur, notre infortune, on se dépêche de les imputer aux autres, aux méchants et à la société qui nous entourent. On s'en remet alors à un tyran qui nous confortera dans cette idée et assouvira notre esprit de vengeance. Ou alors on se complait dans une névrose permanente qui nous permet d'entretenir une confortable illusion sur nous-mêmes. Tant pis si, en bons névrosés, on ne sait pas ce qu'on dit ni ce qu'on fait. 


Tout cela, ce n'est, à mes yeux, qu'un habillage rhétorique, une manière de se cacher, à soi-même, la vérité. Cette vérité, elle est la suivante: on choisit bien sa vie, on choisit bien qu'elle soit nulle ou magnifique. Inutile d'en rendre responsables les autres.


"Ni Dieu, ni Maître", ce n'est pas seulement un slogan anarchiste, c'est d'abord refuser les embrigadements religieux ou politiques. C'est avoir l'audace de penser et d'agir par soi-même. C'est refuser de céder sur ses désirs. C'est comprendre que chacun est libre et responsable de sa vie. 


Et dans ce contexte, il appartient d'abord, à chacun, de découvrir et de comprendre ce qui fait son désir. Quelle en est la logique. Il s'agit d'une véritable exploration de nous-mêmes qui peut nous conduire très loin parce qu'il faut bien reconnaître une chose:  dès qu'il s'agit d'évoquer son désir, on se montre d'une hypocrisie parfaite. On se contente d'évoquer des choses simples et festives. Rien que des "plaisirs" dans la norme parfaitement conventionnels. Ca correspond d'ailleurs à l'idéologie actuelle, diffusée par les médias et la psychologie positive, suivant la quelle la sexualité est une simple hygiène de vie, l'épanchement normal de besoins organiques.


Sauf que ça n'est pas du tout ça. Sigmund Freud l'a bien montré. Le désir est humain, certes. C'est ce qui nous ravage et nous bouleverse continuellement, c'est ce qui fait l'acidité de la vie. Mais le désir est humain non pas parce qu'il est une expression simple et naturelle, comme on voudrait nous le faire croire, mais parce qu'il est une construction perverse, un échafaudage compliqué, au travers des quels on ne cesse de contourner, manipuler, les interdits. Nous sommes tous pervers. Nous sommes tous habités par le Mal. On s'efforce simplement de donner le change, d'apparaître avenants, désintéressés; mais en réalité, on est tous prêts à assassiner, au moins symboliquement, son prochain. Ce n'est pas glorieux, reluisant, certes. Mais il faut savoir le comprendre, l'accepter, l'analyser. On peut en sortir transfigurés.


Reconnaître son désir, se montrer à sa hauteur en l'accomplissant jusqu'au bout, voilà ce qui doit nous guider. Jacques Lacan disait: ne cède pas sur ton désir. Ce qui signifie qu'on n'est coupable de rien sauf de baisser les bras, de ne pas aller jusqu'au bout de son désir. C'est un chemin certes escarpé parce qu'il n'est pas donné à tout le monde de faire de son désir un destin et qu'il est plus simple et plus rassurant de s'intégrer dans un troupeau, celui du commun des mortels. 


Mais c'est cela, l'Esprit des lumières. C'est balancer des siècles de culpabilité judéo-chrétienne. C'est comprendre que la société démocratique nous offre, enfin, cette possibilité de construire nous-même notre vie en donnant expression à ce qui fait notre désir. Et c'est une chance unique qui est à saisir parce que cette vie est bien la seule. A nous d'assumer la responsabilité de la rendre nulle ou belle.



Belle Année 2024 à vous tous. Qu'elle soit, peut-être, l'occasion de réfléchir sur vous-même. Comment échapper à la morne répétition du quotidien ? Qu'est-ce qui vous fait trembler et comment vous fonctionnez par rapport à ça ? Vous plongez ou vous fuyez ?

"Cette vie est la seule", ne l'oubliez à aucun moment.



Tableaux de René MAGRITTE, Donato GIANCOLA, Boris KUSTODIEV, Daria PETRILLI, Léon SPILLIAERT, Vladimir DUNJIC, Edward OKUN, Felix VALLOTON.

La dernière image, c'est, bien sûr, chez moi, pour vous montrer mon sapin de Noël. Je le couvrais autrefois de décorations russes mais c'est, bien sûr, terminé. Il fait du moins l'admiration de mes merles qui passent leurs journées à venir le contempler par la fenêtre. Vous remarquerez aussi, à l'extérieur, ma grande fougère belge dont la croissance commence à devenir inquiétante.

Un texte sûrement trop long et confus. Mais c'est une manière de conclure l'année et de traduire, encore une fois, mes obsessions freudiennes.

Je recommande :

- Friedrich NIETZSCHE: "Ainsi parlait Zarathoustra". Même si on est allergique à la philosophie (ce qui n'est d'ailleurs pas répréhensible), il faut avoir au moins parcouru ce Zarathoustra. C'est quand même l'un des très grands textes de la littérature allemande. Et puis, c'est très lisible, très compréhensible, d'une grande puissance poétique. Il en existe des traductions modernes. L'une de Maël Renouard (aux éditions Rivages poche) intitulée "Ainsi parla Zarathoustra" et la dernière dans la fameuse Pléiade.

- "L'homme aux loups par ses psychanalystes et par lui-même". Un bouquin passionnant surtout si l'on s'intéresse à la vie dans l'ancienne Russie. Il s'agit principalement des souvenirs de l'homme aux loups. L'homme aux loups, c'est l'un des premiers patients de Freud. Sa véritable identité, c'est Sergueï Constantinovitch Pankejeff (1887-1979), un Russe fortuné d'Odessa. Sa vie a été traversée par l'histoire (avec la révolution russe) et son mal-être perpétuel. Il est toujours demeuré en contact avec Freud à qui il vouait une grande admiration. Ses souvenirs, ça relève des meilleurs romans.

- Patrick DEVILLE: "Samsara". L'un des grands écrivains-voyageurs français. Il s'intéresse ici principalement à l'Inde et à deux de ses personnages ayant œuvré à son indépendance: le pacifiste Gandhi et le révolutionnaire cosmopolite Khankhoje. C'est brillant et érudit comme toujours. Mais il y en a, à la fois, trop et pas assez. On ne cesse de sauter d'un pays, d'une époque ou d'une ville à l'autre. On s'y perd donc un peu et ça semble parfois superficiel. C'est frustrant au total.

- Gabriele TERGIT: "Les Effinger - Une saga berlinoise". Voilà un bouquin que je recommande sans réserve. Il fait tout de même 944 pages mais il est d'une lecture facile et vraiment prenante. Chose étonnante: il a d'abord été publié en 1951 en Allemagne mais il n'a rencontré, à l'époque, qu'incompréhension.  Il a ensuite été republié en 2019 et, cette fois-ci, il a connu un grand succès commercial. Il vient donc d'être traduit en France et c'est vrai que c'est formidable. C'est un pendant aux "Buddenbrook" de Thomas Mann. C'est toute l'histoire de deux familles allemandes juives de 1870 à 1948. Comment, dans un environnement historique dramatique, les uns saisissent leur chance, les autres non. Ca apporte une réponse à mon texte ci-dessus: comment se forge un Destin ?


21 commentaires:

Richard a dit…

Bonjour Carmilla
Un texte trop long et confus? Un texte n’est jamais trop long, et pour la confusion, on repassera, parce que votre écriture est une large réflexion, et elle est bien menée. Sur le fond, c’est Rimbaud qui a raison, il n’y a qu’une seule vie...heureusement… Est-ce que ce désir morbide de se projeter toujours dans le futur, pour revivre sa vie, voir l’améliorer, ou bien vivre autre chose, est une solution? Ce qui remet en cause notre fin, que nous tentons de contourner, de maquiller, de dissoudre, en de multiples façons de faire. Quoi qu’on en dise, et quoi qu’on fasse, sur le fond, reste trois étapes : la naissance, la vie, et la mort. Ce qui est peut-être trop simple pour notre cerveau compliqué, et trop décevant pour nos attentes inatteignables. On avait demandé un jour à Winston Churchill ce qu’il pensait de la vie. Il a répondu : « que le voyage méritait d’être fait une fois. » Autrement dit il n’y aura pas de rattrapage, et que de revivre n’est pas une option séduisante. Pourquoi on devrait repasser éternellement dans nos traces, à moins d’aller en enfer, ou encore dans un espèce de paradis statiques, ou encore de se réincarner en un animal, ou en bandit de grand chemin? C’est d’avoir pour la vie, un genre d’amour-haine, qui est loin de nous satisfaire. Je dirais même : est-ce que nous sommes victimes de notre trop grande imagination. Et nous sommes loin d’en manquer. Pourquoi croire en un type qui est né dans un dalot d’étable, pour terminer sa misérable carrière 33 ans plus tard cloué sur un morceau de bois? Franchement, ce type n’avait aucun avenir. Et pourtant, des millions de personnes ont cru à ces genres d’histoires, toutes religions et politiques confondues, qui tiennent plus de la légende et du mythe, que de la vérité et de la réalité. Il faut être vraiment tordu pour croire au mythe du péché originel. Encore plus pour l’inventer. Tout cela, parce qu’on refuse notre simple nature humaine, et surtout que nous avons une crainte incontrôlable face à la mort. Certes, on ne vit qu’une fois, mais aussi, nous ne mourrons qu’une fois. Il n’y a pas de deuxième essais, et c’est très bien ainsi. Faudrait faire attention à ne pas être réduit à la vie éternelle. Pour ce faire, il faudrait entreprendre le ménage de notre esprit, comme un genre de libération. Ce qui est fait, est fait, on ne peut ni l’effacer, ni le pardonner, ni le condamner, surtout lorsqu’il est gravé dans l’imaginaire. On ne veut pas de l’homme bon, on préfère l’être soumis et niaiseux, ce qui vaut autant pour la politique que pour la religion. Ce qu’on peut appeler, le contrôle des foules, ou encore la dictature. Je me souviens des débats orageux que j’avais avec mon père qui disait : que les hommes avaient besoin de croire, que c’était un besoin viscérale, et moi j’en rajoutais sur le feu, que nous devions nous libérer de nos croyances. Je n’ai jamais cru à (l’homme nouveau), nos malheureux essais démontrent notre faillite à ce sujet. Michel Onfray en fait une brillante démonstration dans son dernier ouvrage : Anima, en évoquant les folies furieuses jacobines, fascistes, nazies, bolcheviques, structuralistes et désormais transhumanistes, sans oublier les religions. Force qui nous est de constater que nous avons évolué au niveau technique, mais que notre psychologie stagne. Nos prouesses techniques nous tire par devant, tandis que notre psychologie nous retient par en arrière. Sortirons-nous de ce dilemme?

Tout en vous souhaitant beaucoup de courage pour cette nouvelle année 2024. Nous allons en avoir besoin! C’est tout ce que je peux souhaiter.

Merci Carmilla pour votre texte

Richard St-Laurent

Carmilla Le Golem a dit…

Merci Richard,

Je crois, en effet, qu'on déprécie trop notre existence présente et qu'on ne cesse de remettre notre bonheur à un ailleurs, à un futur ou à un système politique. On n'arrive pas à assimiler qu'on est les seuls artisans de notre destin et qu'une seule chance nous est offerte.

Cela dit, je ne suis pas aussi radicale que vous et je ne jette pas complétement "aux orties" les religions. Elles ne racontent pas de simples fariboles, elles ne jouent pas simplement sur la crédulité humaine. Si elles ont un pouvoir d'attraction, ce n'est pas parce qu'elles raconteraient des événements historiquement vrais (peu importe à vrai dire et d'ailleurs, presque personne ne croit à la résurrection du Christ), c'est qu'elles énoncent des vérités fondamentales sur la psychologie humaine. Je trouve fascinants, en particulier, la Doctrine du péché originel ou le commandement d'aimer son prochain comme soi-même, dans le christianisme. Et que dire de la transmigration des esprits dans le bouddhisme ou du rapport personnel avec Dieu dans l'Islam ?

Je ne crois donc pas du tout que la psychologie humaine soit simple. Elle est plutôt effroyablement torturée et destructrice et, cela, les religions l'on bien pris en compte. Nous sommes voués au Mal et à la haine et il faut essayer de composer avec cela.

On se libère aujourd'hui de la pensée religieuse mais on ne sait pas encore comment vivre dans un monde sans Dieu. Comment contenir la violence et l'agressivité qui nous habitent tout en permettant à chacun de s'affirmer ? La haine des autres risque de répliquer la haine que nous nous portons à nous-mêmes. C'est un peu ce qui se produit aujourd'hui. Il faut apprendre à, non seulement, ne plus se détester mais aussi à ne plus détester les autres. On en est loin.

Bonne année à vous aussi. Faut-il du courage ? Sans doute parce que l'inattendu et la déception frappent chaque année.

Carmilla

Julie a dit…

Bon dernier jour de l'an, Carmilla
Drôle de sujet que le présent pour une immortelle... Sourire.
Sinon je vous approuve sur toutes les lignes.

Votre intérieur (photo) semble chaleureux, mais il en ressortent quelques contradictions, sans grande importance d'ailleurs : votre âge. J'ai du mal à imaginer qu'il abrite une jeune femme trentenaire. Second sourire.
Puis la décoration de votre table, bien que jolie les tissus attirent la poussière et les acariens. Pour une maniaque (compliment) de la propreté cela intrigue. Dernier sourire 😊
Ma chère Carmilla, je vous souhaite de tout cœur la plus belle des années prochaine !
À bientôt,
Julie

Carmilla Le Golem a dit…

Merci Julie,

Etre immortelle présente un inconvénient majeur (auquel ne pensent pas, bien sûr, les mortels): comme on dispose d'un temps infini devant soi, on a tendance à tout différer. A quoi bon se presser en effet puisque de toute manière cela arrivera un jour. L'immortalité encourage l'inertie et se révèle un frein à l'initiative et à l'esprit d'entreprise. D'où la nécessité, pour une immortelle comme moi, de se secouer, de se mobiliser et de privilégier le présent. Sinon, on passe son temps à dormir.

Quant à mon appartement, je pense qu'il est difficile de porter un jugement sur une petite partie (j'ai la chance de ne pas manquer de place). Mais il est vrai que je n'aime pas le mobilier "jeune". Je suis très attachée à l'ambiance Europe Centrale et puis je cultive un certain style (dans mon habillement, dans mon apparence et dans les objets qui m'entourent). Je crois, en fait, que la décoration de mon appartement est à l'image de mon blog, avec une ambiance que l'on qualifiera de "particulière" ou de personnelle. Ca peut, sans doute, déplaire par son côté sombre.

Quant à ma table, il ne s'agit que des nappes (toujours d'Europe centrale) disposées provisoirement pour un repas de fête.

Bonne année à vous aussi, Julie. Vous rendez-vous régulièrement en Roumanie ? Avez-vous l'occasion de pratiquer votre langue ?

Mes vœux les plus sincères de voyages, belles images et rêves en tous genres,

Carmilla

Richard a dit…

Bonjour Carmilla

Nous sommes voués au Mal et à la haine et il faut essayer de composer avec cela.

Nous serions destinés au mal et à la haine, parce que voué, en autre, c’est être destiné à, (à quoi?), à la soumission, qui plus est, à la soumission volontaire, comme pensée mortifère difficile de faire mieux. Les religions en ont fait leur fond de commerce. Ils n’allaient pas manquer une telle opportunité de domination, avec ses montagnes de souffrances, et de haine. J’ai été élevé dans un milieu ultra catholique pernicieux, pour ne pas dire vicieux et je n’ai pas mis beaucoup de temps à en sortir. Cette religion étouffait le Québec. Pour prendre un comparatif, ça ressemblait à la Pologne de jadis. Les autorités religieuses contrôlaient tout, système de santé, éducation, et même le gouvernement provincial. C’était lourd et paralysant. Si je ne m’étais pas révolté, j’aurais manqué à mon devoir. Parce que je souscris à un certain texte, où je me suis reconnu :

« Dieu a donc créé l’homme libre et pur, mais l’homme s’est choisi et voulu désobéissant, donc impur. Dieu a créé l’homme libre, mais qu’est-ce qu’une liberté si son usage est puni? Créer un homme libre pourvu qu’il se soumette à l’interdiction de faire un libre usage de sa liberté, c’est une ruse de la raison de qui veut qu’on lui obéisse et fait croire que la servitude devrait être volontaire. Augustin peut faire du péché originel une histoire de volition libre, mais il préfère déplacer les choses sur le terrain sexuel. Il peut être philosophe, il se fait moralisateur. »
Michel Onfray
Anima
Page 112

Lorsque Onfray écrit ainsi, je me reconnais, parce que nous originons d’un fond de campagne, condamné à être de bouseux, des cul-terreux, mais il y en a quelques uns comme nous qui se sont révoltés, à force de réflexions, de lectures, remises en cause et de contestations, et ainsi nous sommes parvenus à renverser les autorités religieuses. Les églises se sont vidées. Les fidèles se sont enfuis. Sans doute qu’ils étaient moins croyants que crédules. Visiblement, ils n’étaient pas imprégnés de la foi qui transporte les montagnes. Jusqu’au jour, où j’ai pris conscience que ce n’était pas dieu qui avait créé l’homme; mais ce c’était les hommes qui avaient créé les dieux. Ce qui fait qu’on adore pas dieu, mais qu’on adore notre invention. Je suis radical, oui, et je l’assume comme mon imperfection, qui est ma manière d’être. La soumission n’a jamais été ma tasse de thé. Se sont des convictions très personnelles, et nous sommes peu nombreux à les partager, parce que nous appartenons à une race de proscrits. Loin de moi de penser que je pourrais convertir, convaincre, et réunir sous un dogme, cela me répugne, parce que je crois à l’individu, qui par lui-même parvient à comprendre, l’individu libre qui exerce sa liberté, pas l’individu qu’on entrave. On ne crée pas un être libre pour l’entraver et en faire un esclave. Sommes-nous voué au mal et à la haine? Alors, il nous appartient à nous les humains de changer la donne. C’est sans doute notre plus grand défi!
Bonne fin de journée Carmilla

Richard St-Laurent

Carmilla Le Golem a dit…

Merci Richard,

Certes l'Eglise a longtemps embrigadé les populations en prônant une morale ultra répressive et en développant des idées simplistes. Elle a bien été un "opium des peuples"(Marx).

Mais ce n'est qu'un aspect des choses. Plutôt qu'à Michel Onfray (qui n'est pas "ma tasse de thé"), je me référerais à Marcel Gauchet et à son bouquin "Le désenchantement du monde". Le christianisme a aussi été la religion qui a permis la sortie de la religion, en faisant de l'homme un sujet autonome et capable réflexion sur la portée de ses actes. En quelques mots, le christianisme, c'est ce qui a permis d'accéder à la philosophie des Lumières.

Je ne doute pas que les "bons Pères" vous enseignaient des idioties quand vous étiez enfant, adolescent. Mais il vous était permis de douter, de critiquer. Alors que si vous aviez été dans une école coranique, vous auriez eu de sacrés ennuis.

Et puis, le Christianisme a, dès sa naissance, promu une égalité de tous les hommes et même des hommes et des femmes. C'était révolutionnaire et ça a contribué à l'avènement de la société démocratique.

Mais c'est fini aujourd'hui et on peut penser que le christianisme est en train de mourir définitivement. Ce qui explique, en partie, la dépression qui traverse, aujourd'hui, les sociétés occidentales. Parce qu'on est confrontés à une situation complétement nouvelle et qu'on ne sait pas encore comment vivre dans une société sans Dieu. On ne sait plus à qui s'en remettre, on est dans le grand n'importe quoi et on est prêts à se reporter sur les pires tyrans.

Bonne année 2024,

Carmilla

Richard a dit…

Bonjour Carmilla

«Ce serait une disposition inique de tirer une récompense éternelle d’une si courte vie.»
Michel de Montaigne

Dans vos derniers commentaires, vous souligniez, cette inquiétude universelle, que les humains n’osent pas évoquer, tellement c’est à la fois inquiétante et déstabilisante, qui pose la question : Par quoi remplace-t-on dieu! Ou bien pas qui? Qui sait, nous sommes peut-être sur le seuil d’un changement de civilisation, et c’est une situation qui est inconfortable. Pendant qu’en occident nous vivons cette situation, ailleurs de par le monde, on s’accroche à l’immuable d’un dieu, ou des dieux. En refusant certaines idées modernes, (téléphone cellulaire à la main). Est-ce qu’il nous viendrait à l’idée que les membres du Hezbollah ou du Hamas sont athées? Ils s’accrochent à leurs vieilles valeurs, parce qu’ils n’ont pas autre chose à se mettre sous la dent. À la question par qui remplace-t-on dieu? Ne devrait-t-on pas se demander s’il est impératif et obligatoire de le remplacer? Serions-nous à l’aube du dépassement de notre condition. Les humains, cherchent depuis toujours, un guide, un chef, un roi, un leader, et un dieu, et lorsqu’il ne trouve pas une déité, ils l’inventent, comme ils peuvent monter en épingle, un chef ou un président. Ce qui touche le sujet de la soumission volontaire. Nous avons la possibilité de faire un bond en avant, ou bien de nous accrocher à nos vieilles valeurs conservatrices. Je sens que présentement, les vieilles valeurs conservatrices en mènent large. Ils occupent le terrain au point de provoquer des conflits comme en Ukraine et en Israël, et dans une bonne partie de l’Afrique. Alors, nous retournons à nos vieilles valeurs au ciment effrité, ou bien, on saute dans l’inconnu. Je n’ai nulle envie de retourner à ces religions autoritaires qui s’apparentent à des dictatures, qui ont essayer de s’emparer de tous les pouvoirs afin de nous tenir dans la crasse de l’ignorance. Il faut se souvenir des combats pour le droit de vote des femmes, qui a été conquis de haute lutte, et ce droit à l’avortement, qui a été arraché de peines et de misères, et qui aujourd’hui est remis en question dans plusieurs états du monde, y compris aux États-Unis. Et, le droit à l’éducation, à la santé, à la démocratie, et à L’État de Droit; est-ce qu’on balance tout cela à la poubelle? Il faudrait être conscient de ce que nous pouvons perdre, et si nous le perdons, alors nous serons en régression. Ce qui nous paralyseraient pour continuer à évoluer. Je peux comprendre que certains n’arrivent pas à suivre, changer c’est difficile, surtout lorsque tu ne comprends pas tous les paramètres. La vie passe, le présent est toujours en mouvement, et nous voudrions arrêtés l’évolution, nous accrocher à quelque chose qui ressemble au passé. J’espère que nous n’allons pas jouer encore une fois dans la même pièce d’un théâtre dépassé! Et justement, le passé est le passé parce qu’il est dépassé. J’ose croire, que l’aventure humaine n’est pas terminée, et que peut-être que remplacer dieu, ou les dieux, ce n’est peut-être pas l’idée du siècle. Voilà ce qui explique, la raison pour laquelle, je vous ai souhaité du courage, et d’ailleurs c’est ce que je souhaites à tous ceux qui sont conscients de ce que nous vivons présentement.

Bonne fin de journée Carmilla

Richard St-Laurent

Carmilla Le Golem a dit…

Merci Richard,

C'est sans doute ainsi qu'il faut voir les choses. En prenant du recul, on peut constater que c'est seulement depuis quelques décennies (en gros depuis la 2nde guerre mondiale) que les sociétés occidentales sont sorties de la religion. C'est bien peu de chose à l'échelle de l'histoire de l'humanité.

Mais vivre dans un monde sans Dieu, ça plonge beaucoup de gens dans une forme de dépression. C'est quand même angoissant d'être abandonné seul face à la mort et au malheur. Alors ils cherchent des substituts, des succédanés bas de gamme. Ce sont toutes les thérapies du bien-être, du feel good, de la méditation, du yoga etc...

C'est du moins inoffensif. C'est plus problématique quand c'est une secte ou une organisation extrémiste. La montée en puissance des partis forts et des "grandes gueules" est, sans doute, un symptôme.

Le problème, c'est qu'hors du monde occidental, les autres pays, et particulièrement les pays islamiques, se sont rigidifiés. Les BRICS, notamment, forment une coalition de plus en plus importante. L'Arabie Saoudite, l'Egypte, les E.A.U., l'Iran, l'Ethiopie viennent de rejoindre le bloc des 5 (Chine, Inde, Russie, Brésil, Afrique du Sud). Des pays qui ne font pas vraiment rêver mais dont le PIB total est tout de même supérieur à celui des pays du G7. Ils ne proposent rien de positif, ils affirment simplement vouloir s'opposer à l'influence occidentale (sous entendu: à sa décadence morale et à son système démocratique). On peut le dire: les BRICS forment une espèce de coalition répressive et vertueuse contre l'Occident.

C'est inquiétant mais j'espère que l'Occident ne sera pas lui-même entraîné dans une dérive anti-démocratique.

Mais j'en reviens au sujet qui nous préoccupe: comment vivre dans un monde sans Dieu ? Je pense qu'il n'y a que des solutions individuelles. Je ne parlerai donc que de moi: je trouve principalement dans la littérature les réponses aux questions que je me pose. Les grands écrivains sont inépuisables, ils me donnent force et lucidité.

Et à la littérature, j'ajouterai la psychanalyse, les voyages, l'économie politique et...le sport. Voilà mon bagage existentiel.

Bon début de nouvelle année,

Carmilla

Richard a dit…

Bonjour Carmilla
Comprendre et savoir et pour se faire, lire, apprendre, s’interroger, vraiment, nous n’en sortons pas, être en éveil continuellement. Voilà deux gros piliers de la nature humaine et si tu comprends et que tu sais, tu devrais augmenter ta confiance en soi. Ce qui à mes yeux est très important. Ceux qui ignorent ne peuvent comprendre, alors ils se dirigent vers ceux qui courtisent les foules vulnérables. Dites-moi Carmilla, vous en connaissez beaucoup de ces personnes qui manquent de confiance en elles? Des personnes fragiles face à la vie, avec des valeurs défaillantes? C’est toute la société que j’interroge après avoir écouté quelques malheureux qui se cherchent un guide ou un chef, et même un dieu. Les gens me semblent plus fragiles qu’on se l’imagine. Des fois en discutant avec elles, je tombe en bas de mes souliers. Constater un tel état chez ces personnes m’attriste. Vous avez raison, les pays occidentaux sont sortis de la religion après la Deuxième Guerre mondiale, ce qui au niveau de l’évolution est très peu. Le pire, c’est que nous pourrions y retourner, à cet état de soumission qui n’est pas très éloigné derrière nous. Personnellement, j’ai un tendance à surévaluer les gens, je les crois toujours plus forts, et plus sûrs d’eux-mêmes qu’ils ne le sont. Contrairement à ce que nous croyons, l’évolution ce n’est pas toujours une ligne droite vers de futur, et nous sommes en train de le vivre présentement avec ce retour des conservateurs partout sur la planète. Certes, j’abonde dans votre sens, il n’y a que des solutions individuelles, la croyance d’un individu lui appartient, et lui seul peut la modifier, la rejeter, la changer, et même la chérir jusqu’à l’adoration. Autrement, il restera vulnérable à la force d’inertie du groupe. Il se sentira moins vulnérable aux malheurs et à la mort dans un groupe, mais il n’évoluera pas individuellement. Moi, je ne m’en prive pas, nous allons tous mourir, et en tant qu’humains nous subissons des revers, des malheurs, des peines, mais il faut le dire et le redire, c’est tout simplement la vie, c’est cela la vie et pas autre chose. Il n’est pas toujours de mise d’écouter sa vulnérabilité, de nager continuellement dans l’angoisse, de se perdre dans ses atermoiements. Arrive des moments où nous n’avons plus d’autre choix que celui de faire face. Ce qui s’appelle prendre ses responsabilités, aussi déplaisantes soient-elles. C’est ainsi que je me réconforte en lisant Montaigne, qui est né au début des guerres de religions en 1533 et qui va traverser son époque avec courage et lucidité pour mourir vers 1592, il raconte toujours avec la même verve, ses chutes de cheval, sa maladie de la gravelle, les tensions entre les hommes, les guerres, mais aussi le quotidien, le tout entrelardé de citations de philosophes anciens mêlé aux siennes. Dans l’histoire des idées, il est vraiment unique, le lire m’apporte un réconfort et surtout un plaisir.
« Les prospérités me servent de discipline et d’instruction, comme aux autres les adversités et les verges. Comme si la bonne fortune était incompatibles avec la bonne conscience, les hommes ne se rendent gens de bien qu’en la mauvaise. Le bonheur m’est un singulier aiguillon à la modération et modestie. La prière me gagne, la menace me rebute; la faveur me ploie, la crainte me roidit. »
Michel de Montaigne, Essais III (De la vanité), page 213
C’est étrange en janvier 2023, ma première lecture fut le Mythe de Sisyphe d’Albert Camus, et je termine l’année avec Michel de Montaigne. Et, dans les deux, j’y ai trouvé mon pain. Peut-être que la nature humaine n’a pas changé tant que cela!

Bonne fin de journée Carmilla

Richard St-Laurent

Julie a dit…

Merci chère Carmilla, vous vœux sincères me touchent ! Oui, j'aurais l'occasion de pratiquer le roumain mais à vrai dire ma langue maternelle me passionne guère... C'est comme ça, on ne choisit pas de naître, ni la langue ni ses parents. Ma luobie langagière du moment c'est le Corse :)
En Roumanie je me rends rarement, la dernière fois remonte à 2011. Bien que j'en rêve souvent.
Belle soirée à vous Carmilla.

Carmilla Le Golem a dit…

Merci Richard,

Je ne sais pas si les gens prêts à se laisser embrigader, à se choisir un maître, sont des gens qui manquent de confiance en eux-mêmes.

J'ai plutôt tendance à penser qu'aujourd'hui, les gens sont trop sûrs d'eux-mêmes. On s'en rend compte, notamment, en consultant les réseaux sociaux. Chacun s'y montre arrogant et sûr de sa supériorité. La bêtise est sûre d'elle-même, elle n'a pas peur d'asséner ses certitudes et de mépriser ceux qui ne les partagent pas. On a vite fait, je crois, de s'enfermer dans quelques grandes convictions sommaires. C'est plus facile et reposant.

Et il est vrai que douter, se remettre en cause, lire autre chose que ce à quoi on est habitués, ça réclame beaucoup d'efforts. Etudier une langue rare, visiter un pays non touristique, découvrir une littérature négligée etc..., ça réclame de l'obstination mais ça peut offrir de belles récompenses.

Montaigne, on le redécouvre en ce moment, depuis quelques années, en France. Je pense qu'il est, en effet, un modèle d'ouverture aux autres et au monde. Un homme guidé par une insatiable curiosité intellectuelle et un grand esprit de tolérance. Mais j'avoue que je ne le connais que de manière lacunaire.

Bien à vous,

Carmilla

Carmilla Le Golem a dit…

Merci Julie,

Pour moi aussi, la priorité, c'est la langue du pays où je vis et travaille, le français.

Il n'empêche que je vis, sans cesse, sous d'autres registres. Que d'autres mots, d'autres expressions, slaves bien sûr, me viennent à l'esprit et sont plus évocateurs. J'ai donc toujours l'impression d'être partagée.

Et c'est vrai aussi que je me sens plus à l'aise en Europe du Nord, Europe Centrale. Comme si j'y comprenais mieux les choses. Ne plus y aller me poserait vraiment problème.

Mais étudier la langue corse, c'est vraiment très singulier. J'imagine que vous connaissez bien l'île et y avez découvert quelque chose qui vous correspond.

Bien à vous,

Carmilla

Julie a dit…

Bonjour Carmilla,
C'est bizarre mais des que je dois écrire quelques mots en roumain, je les pense en français. Et souvent je suis frustrée, le roumain n'est pas aussi souple ni riche que le français.
Pourquoi le Corse ? Parce que nous vivons ici depuis un an et demi, mais ça fait trente ans que nous y passons plusieurs mois chaque année.
Mais je me heurte à un triste fait : nos amis Corses ne le parlent pas tous, même très peu. Certains personnes âgées le parlent davantage.

Richard a dit…

Bonjour Carmilla
Je suis arrivé à Montaigne voilà une trentaine d’années. C’est une époque que je n’avais pas beaucoup fréquentée tant en Histoire, qu’en géographie, et en littérature. Mais, j’avais entendu parlé de Montaigne, et la première fois que j’ai entendu prononcé son nom, j’ai trouvé que c’était un beau nom qui se disait bien. Le problème avec Montaigne, c’est qu’il écrivait en vieux français. Vers 1550 on est à la veille de réformer l’écriture en France afin de moderniser l’orthographe et la grammaire, ce qui va occasionner de vifs débats. À l’époque de Montaigne le français était employé par les gens de basse classe, en fait le latin dominait la vie politique, c’était la langue des clercs, sans oublier celle du clergé catholique, on dédaignait le français trop commun. Ce qui est intéressant avec Montaigne, c’est qu’il n’a pas appris le français dans sa famille. Dans ses jeunes année, il fut éduqué en latin, et il le mentionne lui-même dans ses essais, qu’il parlait mieux latin que français. Pourtant, il était fier de son coin de pays, fier de ses gens modestes qui travaillaient la terre, il a reconnu leurs valeurs, et s’est mis à écrire et parler ce vieux français qui n’avait rien de vieux à l’époque. Il est venu tard à l’écriture vers 40 ans. Il lui resta que 19 années pour produire son œuvre. Il avoue encore dans ses essais, qu’il regrettait de ne pas avoir commencé à écrire avant ses quarante ans! Il est très conscient que la vie est courte et qu’un homme à cinquante ans à cette époque c’était déjà quelqu’un qui avait un pied dans la tombe. Il est décédé à 59 ans, ce qui était relativement âgé pour l’époque, si on compare, Spinoza va mourir à 44 ans et Descartes à 59 ans, mais plus d’un siècle plus tard. L’époque de Montaigne, c’est une époque charnière en France comme en Europe, se sont les changements de la Renaissance. Le début d’une certaine modalité du changement qui s’amorce. C’est aussi l’époque des grands chambardements ceux de la Réforme, de l’église réformée, des guerres de religions, que Montaigne va traverser sans trop se mouiller. Si ce n’était pas à la guerre que vous perdiez la vie, c’était sur les routes sauvages que vous pouviez rencontrer les bandits et les voleurs. Montaigne a été lui-même victime de vol à plusieurs reprises, encore il en parle dans ses Essais. La France était loin d’être sécuritaire. Sans oublier les maladies. Montaigne parle de la peste de Bordeaux de 1585, qui fit 14,000 morts en moins de six mois. Il évoque tous ces événements historiques, non pas pour la chronique, mais pour amorcer une sujet comme la santé, sur lequel il revient souvent, la politique, la vie domestique, les mœurs de l’époque, l’éducation, le système judiciaire, sur ce sujet, il évoque qu’il a trop de lois en France, ( la situation ne semble pas avoir changé depuis), et puis, c’est un bon français, il demeure un contestataire, un excellent chialeur, là on les reconnaît les français, ne vous offusquez pas, les québécois sont d’excellents chialeurs, on a de quoi retenir! Moi le premier!

Richard a dit…

D’autre part, c’est un homme de paix qui se dit ne pas être porté sur la (chicane), dispute. C’est aussi un paresseux intelligent, qui aime bien son confort, quoi que en voyage, ne l’oublions pas il a fait un grand tour de l’Europe à cheval. Il mentionnait dans ses écrits qu’il pouvait chevaucher entre 8 et 10 heures par jour. C’est étrange cette lecture, moi qui suis entré dans cette époque qui ne m’attirait pas particulièrement, me retrouver confortable entre les pages de Montaigne, ce fut une révélation. Il aura fallu attendre le XXe siècle pour avoir des traductions du vieux français, au français moderne. Mon édition c’est Folio Classique 1993 en poche. Ils ont fait un tour de force, un immense travail, pour à la fois conserver l’esprit de Montaigne, son style, et la signification des archaïsmes, exemple, le mot besogne vient du vieux français, qui signifie travail, tâche, etc, qui n’est plus employé en France, mais qu’il l’est en Acadie et au Québec. Le mot (douloir), qui signifie : se plaindre, (mécompté) qui signifie tromper. Ce ne sont que quelques exemples. Dès que j’ai commencé à le lire, j’ai senti que le courant passait, que j’avais des affinités avec cet homme. Et pour reprendre les paroles de Montaigne : «  Parce que c’était lui, parce que c’était moi. »
Bonne fin de journée Carmilla
Richard St-Laurent

Carmilla Le Golem a dit…

Merci Julie,

J'aime mélanger les langues avec les personnes qui peuvent me comprendre. Les gens qui ne connaissent qu'une langue, ça me met mal à l'aise. Avec ma sœur, on se parlait dans 4 langues (en ajoutant du persan), ce qui fait qu'il n'y avait quasiment que nous qui pouvions nous comprendre. Aux animaux, je ne parle qu'en russe ou en polonais.

Pour moi, les choses et les mots n'ont pas la même résonnance affective selon les langues.

Quant à la Corse, c'est vraiment une "terra incognita" pour moi. Mais il est vrai que je connais mal la France, surtout celle du Sud.

Bien à vous,

Carmilla

Carmilla Le Golem a dit…

Merci Richard,

Je connaissais, à vrai dire, ces éléments biographiques concernant Montaigne.

Il a été, c'est vrai, le premier penseur universaliste. S'attachant à mettre en évidence ce que les hommes ont en commun plutôt que ce qui les différencie. Il va jusqu'à ne pas considérer les populations cannibales avec horreur. Et puis, il avait beaucoup voyagé, du moins pour son époque. Enfin, comme vous le soulignez bien, il avait choisi de s'exprimer en français, la langue du peuple, plutôt qu'en latin qu'il maîtrisait mieux.

Et ses réflexions sur la douleur, celle du monde et celle du corps vieillissant, demeurent effectivement très actuelles.

Bien à vous,

Carmilla

Richard a dit…

Bonjour Carmilla

Michel de Montaigne demeure mon refuge. Nous pouvons le lire dans tous les sens, commencer par le volume III et revenir au premier. Lire un chapitre plusieurs fois, ou bien de se désintéresser de certains propos qui nous touche moins. Ça part dans toutes les directions et les problèmes d’hier ressemblent à nos problème d’aujourd’hui.

« Au demeurant, mon langage n’a rien de facile et poli : il est âpre et dédaigneux, ayant ses dispositions libres et déréglés; et me plaît ainsi, si non par mon jugement, par mon inclination. Mais je sens bien que parfois je m’y laisse trop aller, et qu’à force de vouloir éviter l’art et l’affection, j’y retombe d’une autre part… »
Michel de Montaigne
Essais II
Page 395
De la présomption

Voilà le Montaigne que j’aime, qui me rejoint, qui me touche, parce que moi aussi mon langage est âpre et dédaigneux ayant ses dispositions libres et déréglés…

J’éprouve le besoin quelques fois, de me retirer de ce monde présent, qui ne m’apporte pas toujours la satisfaction du bien vivre; alors j’ouvre un volume de Montaigne et je disparais au travers ses phrases. Je retrouve l’homme sans talent, l’auteur qui pensait que ses écrits deviendraient vite baroques et qu’il serait oublié. Il se décrivait comme une personne sans qualité, sans talent, très ordinaire. Un être tout comme vous Carmilla qui lisez bien dans les humains. Montaigne ne procédait pas autrement. Sa matière première, c’était lui-même, plus les êtres qu’ils rencontraient. Il ne lui en fallait pas plus pour s’inspirer.

Bonne fin de journée Carmilla

Richard St-Laurent

Carmilla Le Golem a dit…

Merci Richard,

Il y a deux ou trois ans, j'avais lu un bouquin que j'avais beaucoup aimé :

- Gaspard KOENIG: "Notre vagabonde liberté - 2 500 kilomètres à cheval sur les traces de Montaigne".

Gaspard Koenig est journaliste et philosophe et il a refait, pendant 6 mois en 2020, le voyage de Montaigne de Bordeaux à Rome (via l'Allemagne et la Suisse). C'est l'occasion de confronter le passé et le présent et de faire de multiples rencontres avec son cheval. C'est enrichi, bien sûr, des réflexions de Montaigne qui demeurent d'actualité.

Je ne saurais trop vous recommander ce livre. Un site internet lui est dédié avec l'itinéraire précis.

Bien à vous,

Carmilla

Richard a dit…

Bonjour Carmilla

Merci pour cette référence. Gaspard Koenig, je ne connais pas, mais cela m’intéresse et m’intrigue, je n’y manquerai pas. Voilà une recommandation qui va faire ma journée. Vous vous imaginez Carmilla, faire un tour de l’Europe à cheval! J’en serais incapable, je n’aime pas assez les chevaux pour ce faire et je suis un très mauvais cavalier. Il faut imaginer ce que c’était à l’époque. Montaigne avait de l’expérience, il se déplaçait souvent entre Bordeaux et Paris et parcourait aussi les campagnes. Les voyages à cette époque duraient longtemps six mois, un an, et parfois plus.

Bonne fin de journée

Richard St-Laurent

Carmilla Le Golem a dit…

Merci Richard,

Les personnes sachant vraiment monter à cheval sont devenues très peu nombreuses.

Et quand on n'est pas bon cavalier, ça peut être carrément dangereux.

J'ai commencé à travailler dans un grand hôpital (aux finances évidemment). Et j'ai découvert que les accidents de cheval alimentaient les services de traumatologie avec des cas dramatiques. Le pire, c'est quand le cheval glisse, entraîne son cavalier dans sa chute et l'écrase finalement. Je n'ai donc jamais eu envie de faire du cheval. Même une simple chute, ça peut être très mauvais.

Cela étant, il y a encore un certain nombre de pays où l'on continue d'entretenir un grand amour du cheval. En Pologne par exemple, ils demeurent très nombreux car, en dépit de leur coût d'entretien exorbitant, beaucoup de gens les conservent comme animaux d'agrément. En Ukraine aussi, il y en avait beaucoup du moins dans la partie Ouest du pays.

Bien à vous,

Carmilla